Page images
PDF
EPUB

se perfectionnaient par cela seul que le temps s'écoulait, parceque dans la chute même des sciences et du goût, les besoins de la vie les conservent, et parceque dès lors dans cette foule d'artisans qui les cultivent successivement, il est impossible qu'il ne se rencontre quelqu'un de ces hommes de génie qui sont mêlés avec le reste des hommes, comme l'or avec la terre d'une mine.

De là quelle foule d'inventions ignorées des anciens, et dues à un siècle barbare! notre art de noter la musique, les lettres de change, notre papier, le verre à vitres, les grandes glaces, les moulins à vent, les horloges, les lunettes, la poudre à canon, 10 l'aiguille aimantée, la perfection de la marine et du commerce. Les arts ne sont que l'usage de la nature, et la pratique des arts est une suite d'expériences physiques qui la dévoilent de plus en plus. Les faits s'amassaient dans l'ombre des temps d'ignorance, et les sciences, dont le progrès, pour être caché, n'en était pas moins réel, devaient reparaître un jour accrues de ces nouvelles richesses; et telles que ces rivières qui, après s'être dérobées quelque temps à notre vue dans un canal souterrain, se montrent plus loin grossies de toutes les eaux filtrées à travers les terres. Différentes suites d'événements naissent dans les différentes con- 20 trées du monde, et toutes comme par autant de routes séparées concourent enfin au même but, à relever l'esprit humain de ses ruines. Ainsi pendant la nuit on voit les étoiles se lever successivement; elles s'avancent chacune sur leur cercle; elles semblent dans leur révolution commune entraîner avec elles toute la sphère céleste, et nous amener le jour qui les suit. L'Allemagne, la Dannemarck, la Suède, la Pologne, par les soins de Charlemagne et des Othons, la Russie par le commerce avec l'empire des Grecs, cessent d'être des forêts incultes. Le Christianisme, en rassemblant ces sauvages épars, en les fixant dans les villes, va 30 tarir pour jamais la source de ces inondations tant de fois funestes aux sciences.

L'Europe est encore barbare; mais ses connaissances portées chez des peuples plus barbares encore, sont pour eux un progrès immense. Peu à peu les mœurs apportées de la Germanie dans le midi de l'Europe disparaissent. Les nations, dans les querelles des nobles et des princes, commencent à se former les principes

d'un gouvernement plus fixe, à acquérir par la variété des circonstances où elles se trouvent, le caractère particulier qui les distingue. Les guerres contre les Musulmans dans la Palestine, en donnant à tous les états de la Chrétienté un intérêt commun, leur apprennent à se connaître, à s'unir, jettent les semences de cette politique moderne par laquelle tant de nations semblent ne composer qu'une vaste république.

Déjà on voit l'autorité royale renaître en France; la puissance du peuple s'établir en Angleterre ; les villes d'Italie se former en républiques et présenter l'image de l'ancienne Grèce; les petites to monarchies d'Espagne chasser les Maures devant elles, et se rejoindre peu à peu dans une seule.

Bientôt les mers qui jusques-là séparaient les nations, en deviennent le lien par l'invention de la boussole. Les Portuguais à l'Orient, les Espagnols à l'Occident, découvrent de nouveaux mondes. L'univers est enfin connue. Déjà le mélange des langues barbares avec le latin a produit, dans la suite des siècles, de nouvelles langues; tandis que l'italienne moins éloignée de leur source commune, moins mêlée avec les langues étrangères, s'élève la première à l'élégance du style et aux beautés de la 20 poésie. Les Ottomans répandus dans l'Asie et dans l'Europe avec la rapidité d'un vent impetueux, achèvent d'abattre l'Empire de Constantinople, et dispersent dans l'Occident les faibles étincelles des sciences que la Grèce conservait encore.

149. JEAN ANTOINE NICOLAS DE CONDORCET (1743-1794).

[S. H. p. 491.]

PERFECTIBILISM.

La perfectibilité ou la régénération organique des races dans les végétaux, dans les animaux, peut être regardée comme une des lois générales de la nature.

Cette loi s'étend à l'espèce humaine, et personne ne doutera,

sans doute, que les progrès dans la médecine conservatrice, l'usage d'aliments et de logements plus sains, une manière de vivre qui développerait les forces par l'exercice, sans les détruire par des excès; qu'enfin, la destruction des deux causes les plus actives de dégradation, la misère et la trop grande richesse, ne doivent prolonger, pour les hommes, la durée de la vie commune, leur assurer une santé plus constante, une constitution plus robuste. On sent que les progrès de la médecine préservatrice, devenus plus efficaces par ceux de la raison et de l'ordre social, doivent faire disparaître à la longue 10 des maladies transmissibles ou contagieuses, et ces maladies générales qui doivent leur origine aux climats, aux aliments, à la nature des travaux. Il ne serait pas difficile de prouver que cette espérance doit s'étendre à presque toutes les autres maladies, dont il est vraisemblable que l'on saura toujours reconnaître les causes éloignées. Serait-il absurde, maintenant, de supposer que ce perfectionnement de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un progrès indéfini, qu'il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l'effet, ou d'accidents extraordinaires, ou de la destruction de plus en 20 plus lente des forces vitales, et qu'enfin la durée de l'intervalle moyen entre la naissance et cette destruction, n'a elle-même aucun terme assignable? Sans doute l'homme ne deviendra pas immortel; mais la distance entre le moment où il commence à vivre et l'époque commune où naturellement, sans maladie, sans accident, il éprouve la difficulté d'être, ne peut elle s'accroître sans cesse ? Comme nous parlons ici d'un progrès susceptible d'être représenté avec précision par des quantités numériques ou par des lignes, c'est le moment où il convient de développer les deux sens dont le mot indéfini est susceptible. 30 En effet, cette durée moyenne de la vie qui doit augmenter sans cesse, à mesure que nous enfonçons dans l'avenir, peut recevoir des accroissements, suivant une loi telle, qu'elle approche continuellement d'une étendue illimitée, sans pouvoir l'atteindre jamais; ou bien suivant une loi telle que cette même durée puisse acquérir, dans l'immensité des siècles, une étendue plus grande, qu'une quantité déterminée quelconque

qui lui aurait été assignée pour limite. Dans ce dernier cas, les accroissements sont réellement indéfinis dans le sens le plus absolu, puis qu'il n'existe pas de borne, en deçà de laquelle ils doivent s'arrêter.

Dans le premier, ils le sont encore par rapport à nous, si nous ne pouvons fixer ce terme, qu'ils ne peuvent jamais atteindre, et dont ils doivent toujours s'approcher; surtout si, connaissant seulement qu'ils ne doivent point s'arrêter, nous ignorons même dans lequel de ces deux sens, le terme d'indéfini leur doit être appliqué; et tel est précisément le terme 10 de nos connaissances actuelles sur la perfectibilité de l'espèce humaine; tel est le sens dans lequel nous pouvons l'appeler indéfinie.

Ainsi, dans l'exemple que l'on considère ici, nous devons croire que cette durée moyenne de la vie humaine doit croître sans cesse, si des révolutions physiques ne s'y opposent pas; mais nous ignorons quel est le terme qu'elle ne doit jamais passer; nous ignorons même si les lois générales de la nature en ont déterminé, au delà duquel elle ne puisse s'étendre.

20

Mais les facultés physiques, la force, l'adresse, la finesse des sens, ne sont elles pas au nombre de ces qualités, dont le perfectionnement individuel peut se mettre? L'observation des diverses races d'animaux domestiques doit nous porter à le croire, et nous pourrons les confirmer par des observations directes faites sur l'espèce humaine. Enfin, peut on étendre ces mêmes espérances jusques sur les facultés intellectuelles et morales? Et nos parents, qui nous transmettent les avantages ou les vices de leur conformation, de qui nous tenons et les traits distinctifs de la figure, et les dispositions à certaines af- 30 fections physiques, ne peuvent-ils pas nous transmettre aussi cette partie de l'organisation physique, d'où dépendent l'intelligence, la force de tête, l'énergie de l'ame ou la sensibilité morale? N'est il pas vraisemblable que l'éducation, en perfectionnant ces qualités, influe sur cette même organisation, la modifie et la perfectionne? L'analogie, l'analyse du développement des facultés humainés, et même quelques faits, sem

Constantin François de Chassebauf-Volney. 407

blent prouver la réalité de ces conjectures, qui reculeraient encore les limites de nos espérances. Telles sont les questions dont l'examen doit terminer cette dernière époque. Et combien ce tableau de l'espèce humaine, affranchie de toutes ces chaînes, soustraites à l'empire du hasard, comme à celui des ennemis de ses progrès, et marchant d'un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur, présente au philosophe un spectacle qui le console des erreurs, des crimes, des injustices dont la terre est encore souillée et dont il est souvent la victime! C'est dans la contemplation de ce 10 tableau qu'il reçoit le prix de ses efforts pour les progrès de la raison, pour la défense de la liberté. Il ose alors les lier à la chaîne éternelle des destinées humaines: c'est là qu'il trouve la vraie récompense de la vertu, le plaisir d'avoir fait un bien durable, que la fatalité ne détruira plus par une compensation funeste, en ramenant les préjugés et l'esclavage.

Cette contemplation est pour lui un asîle, où le souvenir de ses persécuteurs ne peut le poursuivre; où vivant par la pensée avec l'homme rétabli dans les droits comme dans la dignité de sa nature, il oublie celui que l'avidité, la crainte où l'envie 20 tourmentent et corrompent; c'est là qu'il existe véritablement avec ses semblables, dans un élysée que sa raison a su se créer, et que son amour pour l'humanité embellit des plus pures jouissances.

150. CONSTANTIN FRANÇOIS DE CHASSEBŒUFVOLNEY (1757-1802).

[S. H. p. 492.]

THE EAST IN OLD TIME.

Et le Génie me détaillant et m'indiquant du doigt les objets ces monceaux, me dit-il, que tu aperçois dans cette vallée étroite, que le Nil arrose, sont les restes des villes opulentes, dont s'enorgueillissait l'antique royaume d'Ethiopie. Voilà les débris de sa métropole Thèbes aux cent palais,

« PreviousContinue »