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Et si jamais ma povre âme amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,

Faites au moins qu'elle en ait en mensonge!

Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toy regretter;

Et qu'aus sanglots et soupirs résister

Pourra ma voix, et un peu faire entendre;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart lut, pour tes grâces chanter;
Tant que l'esprit se voudra contenter

De ne vouloir rien, fors que toy, comprendre;

Je ne souhaitte encore point mourir:
Mais, quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassée et ma main impuissante,

Et mon esprit, en ce mortel sejour,
Ne pouvant plus montrer signe d'amante;
Priray la Mort noircir mon plus cler jour.

Ne reprenez, Dames, si j'ay aymé;

Si j'ay senti mile torches ardentes,
Mile travaus, mile douleurs mordantes:

Si en pleurant j'ay mon tems consumé,

Las! que mon nom n'en soit par vous blasmé.
Si j'ay failli, les peines sont presentes;
N'aigrissez point leurs pointes violentes:
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
Sans la beauté d'Adonis acuser,

Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses,

En ayant moins que moi d'ocasion,

Et plus d'estrange et forte passion;

Et gardez-vous d'estre plus malheureuses.

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15. ANONYMOUS (Jehan de Paris, late 15th cent.). [S. H. p. 182 note.]

HOW THE KING OF ENGLAND TOLD THE SPANIARDS OF JOHN OF PARIS.

Cependant le roy d'Angleterre, qui bien congneut que Jehan de Paris vouloit venir à la feste, commença à parler en ceste manière :

'Mon très cher seigneur, je vous prie que aux héraulx donnez bonne responce, car vous verrez grand merveilles, et cuyde bien sçavoir que leur maistre demande.

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Et qui est ce Jehan de Paris, dit le roy d'Arragon?

Sire, dit-il, c'est le filz d'ung bourgeoys de Paris, qui maine le plus beau et haultain train que oncques homme mena, pour tant de gens qu'il maine.

Et combien en a il?

Dit le roy d'Angleterre: De deux à trois cens chevaulx, les plus belles gens et les mieulx acoustrez que vous veistes oncques, à mon advis.

- Par Dieu, ce dit le roy d'Arragon, ce seroit une merveilleuse chose se ung simple bourgeois de Paris pouvoit maintenir ung tel estat si longuement comme de venir jusques icy.

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Comment! ce dist le roy d'Angleterre; de la vexelle d'or et d'argent de quoy il est servy seullement, est assez bastante pour achepter ung royaulme, car je vous affie qu'il semble mieulx 20 à ung songe ou fantazie qu'à aultre chose.

Or, par Dieu, dit la royne d'Arragon, il le feroit bon veoir. Si vous prions toutes que, quelque chose qu'il doyve couster, que nous le voyons.

Certes, dit le roy d'Angleterre, il est plus fort à contenter en fait d'honneur que vous veistes oncques, et si vous dy bien tant qu'il ne prise honneur royal n'emplus que le sien; aultrement il est bien doulx, courtois et bien fort communicatif; mais, certes, bien vous diray plus, que il me semble, quelque belle

manière qu'il aye, il tient ung quartier de la lune, car il dit des motz aulcunesfoiz que n'ont ne chef ne queue; aultrement l'on le jugeroit pour très sage homme.

- Et qu'est-ce qu'il dit, beau-filz, dit le roy d'Espaigne ?

- Par ma foy, dit le Roy d'Angleterre, monseigneur, je le vous diray. Ung jour, comme nous chevauchions ensemble, il plouvoit très fort; luy et ses gens avoient prins certains habillemens qu'ilz faisoient porter à leurs chevaulx, que moult bien les gardoient de la pluye. Je luy dis qu'il estoit bien en point encontre la pluye. Et il me respondit que moy, qui estois roy, 10 devois faire porter à mes gens maisons pour les garder de la pluye.' De ce mot tous ce prindrent à rire.

'Or, messeigneurs, dist le roy de Portugal, il ne fault pas mocquer les gens en leur absence. Je ne crois point qu'il ne soit ung saige homme, se il a peu trouver la manière de conduire une telle compaignie si loing. Ce n'est pas vraysemblable que ce ne soit sans grans sens et entendement.'

A ces parolles du roy de Portugal donnèrent grant foy les seigneurs et dames, car moult sage estoit.

'Encores n'avez-vous riens ouy, dit le roy d'Angleterre. Je 20 vous en diray deux, les plus nouvelles que vous ouystes oncques. Ung jour, à passer une rivière, plusieurs de mes gens furent noyez, pour l'eaue qui moult roide alloit et qui estoit hors de rivage, et, comme je regardoye vers la dicte rivière, cil vint à moy, et, pour me bien consoler, il me va dire: Sire, vous qui estes ung puissant roy, deussiez faire porter ung pont pour passer à voz gens les rivières, affin qu'ilz ne noyassent.' Quant il eut dist cela, si commencèrent à rire par la salle, tant que c'estoit une terrible chose, et longuement dura.

Quant tout fut appaisé, la fille du roy d'Espaigne, qui tout 30 cecy escoutoit, luy va dire: Mon très cher seigneur et amy, je vous prie, dictes nous l'aultre qu'il vous a dit.

- Certes, dit-il, ma mye, voulentiers. L'aultre si est que, ainsi que chevauchions ensemble, je luy demanday, pour passer le temps, qui estoit la cause pourquoy il venoit en ce païs. Il me respondit qu'il y avoit environ quinze ans que son feu père estoit venu en Espaigne, et à son retour il avoit tendu

ung las à une canne, et il venoit maintenant veoir si la canne estoit prinse.' Quant l'on ouyt ses parolles, le ris fut plus grant que devant.

Et tellement fit durer le roy d'Angleterre ce qu'il récitoit de Jehan de Paris, que le soupper fut parachevé. Quant les tables furent levées et Graces dictes, le roy envoya querir les héraulx et les fist venir devant toute la compaignie, lesquelz entrèrent en la salle moult hardiment, et suluèrent le roy et la compaignie moult honnorablement, comme vous orrez.

16. FRANÇOIS RABELAIS (1495–1553).
[S. H. pp. 183-188.]

PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION.

DES MALADIES DE CESTE ANNÉE.

Ceste année les aveugles ne verront que bien peu, les sourdz 10 oyront assez mal, les muetz ne parleront guières, les riches se porteront un peu mieulx que les pauvres, et les sains mieulx que les malades. Plusieurs moutons, beufz, pourceaulx, oysons, pouletz et canars mourront, et ne sera sy cruelle mortalité entre les cinges et dromadaires. Vieillesse sera incurable ceste année à cause des années passées. Ceulx qui seront pleureticques auront grand mal au cousté. . . . . . . Les catharres descendront ceste année du cerveau és membres inferieurs ; le mal des yeux sera fort contraire à la veue; les aureilles seront courtes et rares en Guascongne plus que de coustume. Et regnera quasi 20 universellement une maladie bien horrible et redoubtable, maligne, perverse, espoventable, et mal-plaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne sçauront de quel boys faire flèches, et bien souvent composeront en ravasserie syllogisans en la Pierre philosophale, et és aureilles de Midas. Je tremble de peur quand je y pense: car je vous diz qu'elle sera epidimiale, et l'appelle Averroys VII Colliget faulte d'argent. Et attendu le comète de l'an passé et la rétrogradation de

Saturne, mourra à l'Hospital un grand marault tout catharré et croustelevé, à la mort du quel sera sédition horrible entre les chatz et les ratz, entre les chiens et les lièvres, entre les faulcons et canars, entre les moines et les œufz.

THE RULE OF THELEMA.

Toute leur vie estoit employée non par loix, statuz ou reigles, mais selon leur vouloir et franc arbitre; se levoient du lict quand bon leur sembloit, beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient quand le désir leur venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforceoit ny à boyre, ny à manger, ny à faire chose aultre quelconcques. Ainsi l'avoit estably Gargantua. En leur reigle 10 n'estoit que ceste clause:

FAY CE QUE VOULDRAS,

parce que gens liberes, bien nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par nature un instinct et aguillon qui tousjours les poulse à faictz vertueux et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur. Iceulx, quand par vile subjection et contraincte sont déprimez et asserviz, détournent la noble affection par laquelle à vertuz franchement tendoient, à deposer et enfraindre ce joug de servitude: car nous entreprenons tousjours choses deffendues et convoitons ce que nous est denié.

Par ceste liberté entrerent en louable emulation de faire tous ce que à un seul voyoient plaire. Si quelq'un ou quelq'une disoit: Beuvons,' tous buvoient. Si disoit: Jouons,' tous jouoient. Si disoit : 'Allons à l'esbat ès champs,' tous y alloient. Si c'estoit pour voller ou chasser, les dames, montées sus belles hacquenées avecques leurs palefroy gourrier, sus le poing mignonnement enguantelé portoient chascune ou un esparvier, ou un laneret, ou un esmerillon. Les hommes portoient les aultres oyseaulx.

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Tant noblement estoient apprins qu'il n'estoit entre eux celluy 30 ne celle qui ne sceust lire, escripre, chanter, jouer d'instrumens harmonieux, parler de cinq et six languaiges, et en iceulx composer tant en carme que en oraison solue.

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