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Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans disait à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-quinze: 'La mort nous a oubliés.' -Chut!' lui répondit M. de Fontenelle, en mettant le doigt sur sa bouche.

MAXIMS.

Il y a des sottises bien habillées, comme il y a des sots très-bien vêtus.

Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer: dans les petites, ils se montrent comme ils sont.

Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre 10 caractère.

Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures; c'est un palliatif: la mort est le remède.

La société est composée de deux grandes classes: ceux qui ont plus de dîners que d'appétit, et ceux qui ont plus d'appétit que de dîners.

Amitié de cour, foi de renards, et société de loups.

Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l'ai deviné.

La vie contemplative est souvent misérable. davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre.

Il faut agir 20

On serait trop malheureux si, auprès des femmes, on se souvenait le moins du monde de ce qu'on sait par cœur.

Quelque mal qu'un homme puisse penser des femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense encore plus mal que lui.

142. ANTOINE DE RIVAROL (1750—1801).
[S. H. pp. 466, 467.]

MAXIMS AND APOPHTHEGMS.

La politique est comme le sphinx de la fable: elle dévore tous ceux qui n'expliquent pas ses énigmes.

Les corps politiques recommencent sans cesse; ils ne vivent que de remèdes.

Les souverains ne doivent jamais oublier qu'un écrivain peut recruter parmi des soldats, et qu'un général ne peut jamais recruter parmi des lecteurs.

La langue française est la seule qui ait une probité attachée à son génie.

Ma vie est un drame si ennuyeux, que je soutiens toujours que c'est Mercier qui l'a fait.

Champcenetz, c'est mon clair de lune.

Mirabeau était l'homme du monde qui ressemblait le plus à sa réputation: il était affreux.

Le chat ne nous caresse pas, il se caresse à nous.

Le poëme des Mois est en poésie le plus beau naufrage du siècle.

C'est un terrible avantage, que de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser.

De M. B... Ses épigrammes font honneur à son cœur.

ΙΟ

RIVAROL ON VOLTAIRE.

Il parla d'abord de Voltaire, contre lequel il poussait fort loin la jalousie; il lui en voulait d'avoir su s'attribuer le monopole universel de l'esprit. C'était pour lui une sorte d'ennemi personnel. Il ne lui pardonnait pas d'être venu le premier et d'avoir 20 pris sa place.

Il lui refusait le talent de la grande, de la haute poésie, même de la poésie dramatique. Il ne le trouvait supérieur que dans la poésie fugitive, et là seulement Voltaire avait pu dompter l'admiration de Rivarol et la rendre obéissante. 'Sa Henriade, disait-il, n'est qu'un maigre croquis, un squelette épique où manquent les muscles, les chairs et les couleurs. Ses tragédies ne sont que des thèses philosophiques froides et brillantes. Dans le style de Voltaire, il y a toujours une partie morte: tout vit dans celui de Racine et de Virgile. L'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 30 mesquine parodie de l'immortel discours de Bossuet, n'est qu'une esquisse assez élégante, mais terne et sèche et mensongère. C'est moins une histoire qu'un pamphlet en grand, un artificieux plaidoyer contre le christianisme et une longue moquerie de

l'espèce humaine. Quant à son Dictionnaire philosophique, si fastueusement intitulé la Raison par alphabet, c'est un livre d'une très-mince portée en philosophie. Il faut être bien médiocre soi-même pour s'imaginer qu'il n'y a rien au delà de la pensée de Voltaire. Rien de plus incomplet que cette pensée : elle est vaine, superficielle, moqueuse, dissolvante, essentiellement propre à détruire, et voilà tout. Du reste, il n'y a ni profondeur, ni élévation, ni unité, ni avenir, rien de ce qui fonde et systématise.'

143. JOSEPH JOUBERT (1754-1824).
[S. H. pp. 467-469.]

PENSÉES.

J'ai donné mes fleurs et mon fruit : je ne suis plus qu'un tronc retentissant; mais quiconque s'assied à mon ombre et m'entend 10 devient plus sage.

S'il est un homme tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c'est moi.

Il y a des esprits creux et sonores, où les pensées retentissent comme dans un instrument. Il en est d'autres dont la solidité est plané, et où la pensée la plus harmonieuse ne produit que l'effet d'un coup de marteau.

Le remords est le châtiment du crime; le repentir en est l'expiation. L'un appartient à une conscience tourmentée : l'au- 20 tre à une âme changée en mieux.

Les parfums cachés et les amours secrets se trahissent.

La première et la dernière partie de la vie humaine sont ce qu'elle a de meilleur, ou du moins de plus respectable; l'une est l'âge de l'innocence, l'autre l'âge de la raison.

Un peu de vanité et un peu de volupté, voilà de quoi se compose la vie de la plupart des femmes et des hommes.

Les véritables bons mots surprennent autant ceux qui les disent que ceux qui les écoutent; ils naissent en nous, malgré nous, ou du moins sans notre participation, comme tout ce qui est 30 inspiré.

CC

On n'est point innocent quand on nuit à soi-même.

Les maximes sont à l'intelligence ce que les lois sont aux actions: elles n'éclairent pas, mais elles guident, elles dirigent, elles sauvent aveuglément. C'est le fil dans le labyrinthe, la boussole pendant la nuit.

Défiez-vous, dans les livres métaphysiques, des mots qui n'ont pas pu être introduits dans le monde, et ne sont propres qu'à former une langue à part.

Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d'en faire voir les racines. Il en est de même des institutions: 10 il ne faut pas trop désenterrer l'origine de celles qu'on veut con

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Imitez le temps: il détruit tout avec lenteur; il mine, il use, il déracine, il détache, et n'arrache pas.

Dans les classes sans éducation, les femmes valent mieux que les hommes; dans les classes distinguées, au contraire, on trouve les hommes supérieurs aux femmes. C'est que les hommes sont plus susceptibles d'être riches en vertus acquises, et les femmes en vertus natives.

Le grand inconvénient des livres nouveaux, c'est qu'ils nous 20 empêchent de lire les anciens.

Rien de ce qui ne transporte pas n'est poésie. La lyre est un instrument ailé.

Il faut que son sujet offre au génie du poëte une espèce de lieu fantastique qu'il puisse étendre et resserrer à volonté. Un lieu trop réel, une population trop historique emprisonnent l'esprit et en gênent les mouvements.

Il y a des pensées qui n'ont pas besoin de corps, de forme, d'expression. Il suffit de les désigner vaguement: au premier mot on les entend, on les voit.

Le vrai caractère du style épistolaire est l'enjouement et l'urbanité.

Quand on a fait un ouvrage, il reste une chose bien difficile à faire encore, c'est de mettre à la surface un vernis de facilité, un air de plaisir qui cachent et épargnent au lecteur toute la peine que l'auteur a prise.

Trois choses sont nécessaires pour faire un bon livre: le

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talent, l'art, et le métier, c'est-à-dire, la nature, l'industrie, et l'habitude.

Le goût est la conscience littéraire de l'âme..

144. PAUL LOUIS COURIER (1772—1825).

MONSIEUR,

[S. H. pp. 469, 470.]

THE BANDE NOIRE.

Dans ces provinces, nous avons nos bandes noires, comme vous à Paris, à ce que j'entends dire. Ce sont des gens qui n'assassinent point, mais ils détruisent tout. Ils achètent de gros biens pour les revendre en détail, et de profession décomposent les grandes propriétés. C'est pitié de voir quand une terre tombe dans les mains de ces gens-là; elle se perd, disparaît. Château, chapelle, donjon, tout s'en va, tout s'abîme. Les avenues rasées, 10 labourées de çà, de là, il n'en reste pas trace. Où était l'orangerie s'élève une métairie, des granges, des étables pleines de vaches et de cochons. Adieu bosquets, parterres, gazons, allées d'arbrisseaux et de fleurs; tout cela morcelé entre dix paysans, l'un y va fouir des haricots, l'autre de la vesce. Le château, s'il est vieux, se fond en une douzaine de maisons qui ont des portes et des fenêtres; mais ni tours, ni créneaux, ni ponts-levis, ni cachots, ni antiques souvenirs. Le parc seul demeure entier, défendu par de vieilles lois, qui tiennent bon contre l'industrie; car on ne permet pas de défricher les bois dans les cantons 20 les mieux cultivés de la France, de peur d'être obligé d'ouvrir ailleurs des routes, et de creuser des canaux pour l'exploitation des forêts. Enfin, les gens dont je vous parle se peuvent nommer les fléaux de la propriété. Ils la brisent, la pulvérisent, l'éparpillent encore après la révolution, mal voulus pour cela d'un chacun. On leur prête, parce qu'ils rendent, et passent pour exacts: mais d'ailleurs on les hait, parce qu'ils s'enrichissent de ces spéculations; eux-mêmes paraissent en avoir honte; et n'osent quasi se montrer. De tous côtés on leur crie hepp!

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