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valeur le cœur de nos fils. Pharamond, le bardit est achevé, les heures de la vie s'écoulent, nous sourirons quand il faudra mourir !'

Ainsi chantaient quarante mille barbares. Leurs cavaliers haussaient et baissaient leurs boucliers blancs en cadence: et, à chaque refrain, ils frappaient du fer d'un javelot leur poitrine couverte de fer.

128. MADAME DE STAËL (1766-1817).
[S. H. pp. 431-433-]

GERMAN UNIVERSITIES.

Tout le nord de l'Allemagne est rempli d'universités les plus savantes de l'Europe. Dans aucun pays, pas même en Angleterre, il n'y a autant de moyens de s'instruire et de perfectionner 10 ses facultés. A quoi tient donc que la nation manque d'énergie, et qu'elle paraisse en général lourde et bornée, quoiqu'elle renferme un petit nombre d'hommes peut-être les plus spirituels de l'Europe? C'est à la nature des gouvernements, et non à l'education, qu'il faut attribuer ce singulier contraste. L'éducation intellectuelle est parfaite en Allemagne, mais tout s'y passe en théorie l'éducation pratique dépend uniquement des affaires; c'est par l'action seule que le caractère acquiert la fermeté nécessaire pour se guider dans la conduite de la vie. Le caractère est un instinct; il tient de plus près à la nature que l'esprit, et 20 néanmoins les circonstances donnent seules aux hommes l'occasion de le développer. Les gouvernements sont les vrais instituteurs des peuples; et l'éducation publique elle-même, quelque bonne qu'elle soit, peut former des hommes de lettres, mais non des citoyens, des guerriers, ou des hommes d'État.

En Allemagne, le génie philosophique va plus loin que partout ailleurs; rien ne l'arrête, et l'absence même de carrière politique, si funeste à la masse, donne encore plus de liberté aux penseurs. Mais une distance immense sépare les esprits du premier et du second ordre, parce qu'il n'y a point d'intérêt, ni 30

d'objet d'activité, pour les hommes qui

hauteur des conceptions les plus vastes.

ne s'élèvent pas à la

Celui qui ne s'occupe

pas de l'univers, en Allemagne, n'a vraiment rien à faire.

Les universités allemandes ont une ancienne réputaiton qui date de plusieurs siècles avant la réformation. Depuis cette époque, les universités protestantes sont incontestablement supérieures aux universités catholiques, et toute la gloire littéraire de l'Allemagne tient à ces institutions. Les universités anglaises ont singulièrement contribué à répandre parmi les Anglais cette connaissance des langues et de la littérature ancienne, qui 10 donne aux orateurs et aux hommes d'État en Angleterre une instruction si libérale et si brillante. Il est de bon goût de savoir autre chose que les affaires, quand on le sait bien: et, d'ailleurs, l'éloquence des nations libres se rattache à l'histoire des Grecs et des Romains, comme à celle d'anciens compatriotes. Mais les universités allemandes, quoique fondées sur des principes analogues à ceux d'Angleterre, en diffèrent à beaucoup d'égards: la foule des étudiants qui se réunissaient à Gottingue, Halle, lena, etc., formaient presque un corps libre dans l'État : les écoliers riches et pauvres ne se distinguaient entre eux que par leur 20 mérite personnel, et les étrangers, qui venaient de tous les coins du monde, se soumettaient avec plaisir à cette égalité que la supériorité naturelle pouvait seule altérer.

Il y avait de l'indépendance, et même de l'esprit militaire, parmi les étudiants; et si, en sortant de l'université, ils avaient pu se vouer aux intérêts publics, leur éducation eût été très-favorable à l'energie du caractère: mais ils rentraient dans les habitudes monotones et casanières qui dominent en Allemagne, et perdaient par degrés l'élan et la resolution que la vie de l'université leur avait inspirés; il ne leur en restait qu'une instruction 30 très étendue.

Dans chaque université allemande plusieurs professeurs étaient en concurrence pour chaque branche d'enseignement; ainsi, les maîtres avaient eux-mêmes de l'émulation, intéressés qu'ils étaient à l'emporter les uns sur les autres, en attirant un plus grand nombre d'écoliers. Ceux qui se destinaient à telle ou telle carrière en particulier, la médecine, le droit, etc., se trouvaient

naturellement appelés à s'instruire sur d'autres sujets; et de là vient l'universalité de connaissances que l'on remarque dans presque tous les hommes instruits de l'Allemagne. Les universités possédaient des biens en propre, comme le clergé; elles avaient que juridiction à elles; et c'est une belle idée de nos pères que d'avoir rendu les établissements d'éducation tout à fait libres. L'âge mûr peut se soumettre aux circonstances; mais à l'entrée de la vie, au moins, le jeune homme doit puiser ses idées dans une source non altérée.

CORINNE AT THE PANTHEON.

Oswald et Corinne allèrent d'abord au Panthéon, qu'on ro appelle aujourd'hui Sainte-Marie de la Rotonde. Partout, en Italie, le catholicisme a hérité du paganisme; mais le Panthéon est le seul temple antique à Rome qui soit conservé tout entier, le seul où l'on puisse remarquer dans son ensemble la beauté de l'architecture des anciens, et le caractère particulier de leur culte. Oswald et Corinne s'arrêtèrent sur la place du Panthéon pour admirer le portique de ce temple, et les colonnes qui le soutiennent.

Corinne fit observer à lord Nelvil que le Panthéon était construit de manière qu'il paraissait beaucoup plus grand qu'il ne 20 l'est.-L'église Saint-Pierre, dit-elle, produira sur vous un effet tout différent; vous la croirez d'abord moins vaste qu'elle ne l'est en réalité. L'illusion si favorable au Panthéon vient, à ce qu'on assure, de ce qu'il y a plus d'espace entre les colonnes, et que l'air joue librement autour; mais surtout de ce que l'on n'y aperçoit presque point d'ornements de détail, tandis que Saint-Pierre en est surchargé. C'est ainsi que la poésie antique ne dessinait que les grandes masses, et laissait à la pensée de l'auditeur à remplir les intervalles, à suppléer les développements: en tout genre, nous autres modernes, nous disons trop.

Ce temple, continua Corinne, fut consacré par Agrippa, le favori d'Auguste, à son ami, ou plutôt à son maître. Cependant ce maître eut la modestie de refuser la dédicace du temple; et Agrippa se vit obligé de le dédier à tous les dieux de l'Olympe,

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pour remplacer le dieu de la terre, la puissance. Il y avait un char de bronze au sommet du Panthéon, sur lequel étaient placées les statues d'Auguste et d'Agrippa. De chaque côté du portique, ces mêmes statues se retrouvaient sous une autre forme; et sur le frontispice du temple on lit encore: Agrippa l'a consacré. Auguste donna son nom à son siècle, parce qu'il a fait de ce siècle une époque de l'esprit humain. Les chefs-d'œuvre en divers genres de ses contemporains formèrent, pour ainsi dire, les rayons de son auréole. Il sut honorer habilement les hommes de génie qui cultivaient les lettres, et dans la posté- 10 rité sa gloire s'en est bien trouvée.

- Entrons dans le temple, dit Corinne; vous le voyez, il reste découvert presque comme il l'était autrefois. On dit que cette lumière qui venait d'en haut était l'emblème de la Divinité supérieure à toutes les divinités. Les païens ont toujours aimé les images symboliques. Il semble en effet que ce langage convient mieux à la religion que la parole. La pluie tombe souvent sur ces parvis de marbre; mais aussi les rayons du soleil viennent éclairer les prières. Quelle sérénité! quel air de fête on remarque dans cet édifice! Les païens ont divinisé la vie, et les 20 chrétiens ont divinisé la mort: tel est l'esprit des deux cultes; mais notre catholicisme romain est moins sombre cependant que ne l'était celui du Nord. Vous l'observerez quand nous serons à Saint-Pierre. Dans l'intérieur du sanctuaire du Panthéon, sont les bustes de nos artistes les plus célèbres; ils décorent les niches où l'on avait placé les dieux des anciens. Comme depuis la destruction de l'empire des Césars nous n'avons presque jamais eu d'indépendance politique en Italie, on ne trouve point ici des hommes d'État ni de grands capitaines. C'est le génie de l'imagination qui fait notre seule gloire: mais ne trouvez-vous pas, 30 milord, qu'un peuple qui honore ainsi les talents qu'il possède mériterait une plus noble destinée ?-Je suis sévère pour les nations, répondit Oswald; je crois toujours qu'elles méritent leur sort, quel qu'il soit.-Cela est dur, reprit Corinne; peut-être, en vivant en Italie, éprouverez-vous un sentiment d'attendrissement sur ce beau pays, que la nature semble avoir paré comme une victime; mais du moins souvenez-vous que notre plus chère

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espérance, à nous autres artistes, à nous autres amants de la gloire, c'est d'obtenir une place ici. J'ai déjà marqué la mienne, dit-elle en montrant une niche encore vide. Oswald, qui sait si vous ne reviendrez pas dans cette même enceinte quand mon buste y sera placé! Alors...-Oswald l'interrompit vivement, et lui dit :-Resplendissante de jeunesse et de beauté, pouvez-vous parler ainsi à celui que le malheur et la souffrance font déjà pencher vers la tombe?-Ah! reprit Corinne, l'orage peut briser en un moment les fleurs que tiennent encore la tête levée. Oswald, cher Oswald, ajouta-t-elle, pourquoi ne seriez-vous 10 pas heureux ? pourquoi....—Ne m'interrogez jamais, reprit lord Nelvil; vous avez vos secrets, j'ai les miens; respectons mutuellement notre silence. Non, vous ne savez pas quelle émotion j'éprouverais s'il fallait raconter mes malheurs!-Corinne se tut, et ses pas, en sortant du temple, étaient plus lents, et ses regards plus rêveurs.

Elle s'arrêta sous le portique.-Là, dit-elle à lord Nelvil, était une urne de porphyre de la plus grande beauté, transportée maintenant à Saint-Jean de Latran; elle contenait les cendres d'Agrippa, qui furent placées au pied de la statue qu'il s'était 20 élevée à lui-même. Les anciens mettaient tant de soin à adoucir l'idée de la destruction, qu'ils savaient en écarter ce qu'elle peut avoir de lugubre et d'effrayant. Il y avait d'ailleurs tant de magnificence dans leurs tombeaux, que le contraste du néant de la mort et des splendeurs de la vie s'y faisait moins sentir. Il est vrai aussi que l'espérance d'un autre monde étant chez eux beaucoup moins vive que chez les chrétiens, les païens s'efforçaient de disputer à la mort le souvenir que nous déposons sans crainte dans le sein de l'Éternel.—

Oswald soupira, et garda le silence. Les idées mélancoliques 30 ont beaucoup de charmes, tant qu'on n'a pas été soi-même profondément malheureux; mais quand la douleur, dans toute son âpreté, s'est emparée de l'âme, on n'entend plus, sans tressaillir, de certains mots qui jadis n'excitaient en nous que des rêveries plus ou moins douces.

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