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Tu verras seulement l'asile du repos;
Et, sous le cyprès qui le couvre,

Un enfant à l'abri des maux!

Né de toi, mère tendre, il eût été sensible.
C'est un bien trop incompatible

Avec le bonheur et la paix :

Ah! juges-en par tes regrets;

Ton fils est délivré d'un avenir pénible;

Plus à plaindre vivant qu'il ne l'est chez les morts,

Il aurait bu, jusqu'à la lie,

La coupe amère de la vie

Dont il n'a touché que les bords.

Eh! que perd-il? qu'eût-il vu sur la terre?
Malheur, crime ou sottise, impuissance des lois,
Les préjugés, les passions en guerre,
Les humains policés et pervers à la fois,

Dangereux avec des mœurs douces,
Semblables à ces champs d'Enna

Couverts de fleurs, mais sujets aux secousses,

Mais souvent infestés des laves de l'Etna.

Qu'eût-il vu de plus près? Rien qu'un troupeau frivole

Sous le nom de société ;

Des hommes personnels que l'intérêt isole,

La vertu sans honneur et l'or seul respecté ;

La morale elle-même à l'usage soumise

Dans cette tourbe d'insensés,

Et l'honnête homme faible assez

Pour toucher dans la main de celui qu'il méprise.
En proie aux passions d'autrui,

En butte aux siennes, quel système

Contre la fortune et lui-même

Aurait pu lui servir d'appui ?

Ton fils, un jour, par son étoile

Peut-être tout entier vers le doute emporté,

Aurait voulu lever un coin du voile

Qui nous cache la vérité:

Non pas ce que Nolet chercha dans son école,

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Pourquoi la pierre tombe, et pourquoi l'oiseau vole,
Vains secrets qu'on ignore avec tranquillité;
Mais qu'est-ce que notre être, et quel sort arrêté

Par la volonté souveraine,

Hors des temps écoulés, attend la race humaine
Dans l'immobile éternité :

Incertitude affreuse à mon âme oppressée,

Et qui vingt fois sur mon chevet
Aurait desséché ma pensée,

Si mon cœur ne m'en eût distrait,
Remettant tout, dans ma faiblesse,
A l'impénétrable sagesse

Du Dieu juste et bon qui m'a fait.
Au sein d'une heureuse ignorance,
Ton fils, exempt de ces combats,

Est tombé doucement dans l'ombre du trépas.
Du milieu des jeux de l'enfance,

Il franchit, sans effroi, l'abîme redouté
Au bord duquel, épouvanté,
L'homme se rejette en arrière,

Craignant la nuit et la lumière,

Et l'horreur du néant et l'immortalité.

Heureux ceux dont le ciel abrége ainsi la course!

Perdre la vie aussi près de sa source,

C'est un échange, et non pas un mort.
Ton fils a terminé son sort,

Mais, du moins, sous les lois de l'éternelle cause,

Par le plus court chemin arrivé dans le port,
Quelque part qu'il soit, il repose.

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109. JACQUES DELILLE (1758-1813).

[S. H. p. 400.]

COFFEE.

Il est une liqueur, au poëte plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu'adorait Voltaire :
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer la tête, épanouit le cœur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux!
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux;

Sur le réchaud brûlant moi seul, tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène;
Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde;

Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.

Enfin de ta liqueur, lentement reposée,

Dans le vase fumant la lie est déposée;

Ma coupe, ton nectar, le miel américain,

Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt: du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi :
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,

Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos,

Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.

Mon idée était triste, aride, dépouillée,

Elle rit, elle sort richement habillée,

TO

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Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon de soleil.

BACKGAMMON AND CHESS.

Le ciel devient-il sombre; eh bien! dans ce salon,
Près d'un chêne brûlant j'insulte à l'aquilon;
Dans cette chaude enceinte, avec goût éclairée,
Mille heureux passe-temps abrégent la soirée.
J'entends ce jeu bruyant où, le cornet en main,
L'adroit joueur calcule un hasard incertain.
Chacun sur le damier fixe d'un œil avide

Les cases, les couleurs, et le plein et le vide.
Les disques noirs et blancs volent du blanc au noir;
Leur pile croît, décroît. Par la crainte et l'espoir
Battu, chassé, repris, de sa prison sonore

Le dé, non sans fracas, part, rentre, part encore;
Il court, roule, s'abat: le nombre a prononcé.
Plus loin, dans ses calculs gravement enfoncé,
Un couple sérieux, qu'avec fureur possède
L'amour du jeu rêveur qu'inventa Palamède,
Sur des carrés égaux, différents de couleur,
Combattant sans danger, mais non pas sans chaleur,
Par cent détours savants conduit à la victoire
Ses bataillons d'ébène et ses soldats d'ivoire.
Longtemps des camps rivaux le succès est égal;
Enfin l'heureux vainqueur donne l'échec fatal,
Se lève, et du vaincu proclame la défaite;
L'autre reste atterré dans sa douleur muette,
Et, du terrible mat à regret convaincu,
Regarde encor longtemps le coup qui l'a vaincu.

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110. PONCE-DENIS ESCOUCHARD-LEBRUN

(1729—1807).

[S. H. pp. 400, 401.]

OLD AGE.

Que Minos jette dans son urne
Les noms des vulgaires mortels;
Muses! vos fils bravent Saturne
A l'ombre de vos saints autels.
En vain s'échappe la jeunesse ;
Mon âme trompe la vieillesse ;
Ma pensée est à son printemps:
Sa fleur ne peut m'être ravie ;
Et même en exhalant ma vie,

Je ne meurs point, je sors du temps!

La nuit jalouse et passagère,

Dont le voile ombrage mes yeux,

N'est qu'une éclipse mensongère

D'où l'esprit sort plus radieux.
Ainsi la nymphe, transformée
En chrysalide inanimée

Que voilent de sombres couleurs,
Prépare ces brillantes ailes
Et ce front paré d'étincelles

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