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106. LEFRANC DE POMPIGNAN (1709–1784). [S. H. p. 399.]

ODE ON THE DEATH OF 7. B. ROUSSEAU.

Quand le premier chantre du monde

Expira sur les bords glacés,

Où l'Ebre effrayé dans son onde

Reçut ses membres dispersés;

Le Thrace, errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs:
Les champs de l'air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent,
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée;

Muses, dans ces moments de deuil,
Élevez le pompeux trophée

Que vous demande son cercueil :
Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatants et dignes vestiges

D'un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert de laurier fertile

Qui par vos soins ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd'hui les fers,
Et loin du ciel de sa patrie,

La mort termine ses revers.

D'où ses maux ont-ils pris leur source?
Quelles épines dans sa course
Étouffaient les fleurs sous ses pas?

Quels ennuis! quelle vie errante,
Et quelle foule renaissante

D'adversaires et de combats!

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Vous, dont l'inimitié durable
L'accusa de ces chants affreux,

Qui méritaient, s'il fut coupable,
Un châtiment plus rigoureux;
Dans le sanctuaire suprême,

Grâce à vos soins, par Thémis même
Son honneur est encore terni.
J'abandonne son innocence;

Que veut de plus votre vengeance?
Il fut malheureux et puni.

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d'aigreur?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur?
Implacable dans ma colère,
Je m'applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé ;

Il se relève, je succombe,

Et moi-même à ses pieds je tombe,
Frappé du trait que j'ai lancé.

Songeons que l'imposture habite
Parmi le peuple et chez les grands:
Qu'il n'est dignité ni mérite

A l'abri de ses traits errants;
Que la calomnie écoutée

A la vertu persécutée

Porte souvent un coup mortel,

Et poursuit, sans que rien l'étonne,
Le monarque sous la couronne,
Et le pontife sur l'autel.

Du sein des ombres éternelles
S'élevant au trône des dieux,
L'envie offusque de ses ailes
Tout éclat qui frappe les yeux.
Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine,

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Et les injustices du sort?

Le temps à peine les consomme,
Et jamais le prix du grand homme
N'est bien connu qu'après sa mort.

Oui, la mort seule nous délivre
Des ennemis de nos vertus,
Et notre gloire ne peut vivre
Que lorsque nous ne vivons plus.
Le chantre d'Ulysse et d'Achille,
Sans protecteur et sans asile,
Fut ignoré jusqu'au tombeau :
Il expire le charme cesse,
Et tous les peuples de la Grèce
Entre eux disputent son berceau.

Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitants des déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants! fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

107. JEAN BAPTISTE GRESSET (1709–1779). [S. H. p. 399.]

VER-VERT.

Dans maint auteur de science profonde
J'ai lu qu'on perd à trop courir le monde :
Très-rarement en devient-on meilleur;
Un sort errant ne conduit qu'à l'erreur.

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Il nous vaut mieux vivre au sein de nos lares,
Et conserver, paisibles casaniers,
Notre vertu dans nos propres foyers,

Que parcourir bords lointains et barbares:
Sans quoi, le cœur, victime des dangers,
Revient chargé de vices étrangers.
L'affreux destin du héros que je chante
En éternise une preuve touchante :
Tous les échos des parloirs de Nevers,
Si l'on en doute, attesteront mes vers.
A Nevers donc, chez les Visitandines,
Vivait naguère un Perroquet fameux,
A qui son art et son cœur généreux,
Ses vertus même et ses grâces badines
Auraient dû faire un sort moins rigoureux,
Si les bons cœurs étaient toujours heureux.
Ver-Vert (c'était le nom du personnage),
Transplanté là de l'indien rivage,

Fut, jeune encor, ne sachant rien de rien,
Au susdit cloître enfermé pour son bien;
Il était beau, brillant, leste et volage,
Aimable et franc, comme on l'est au bel âge,

Né tendre et vif, mais encore innocent;
Bref, digne oiseau d'une si sainte cage,

Par son caquet digne d'être au couvent.

Pas n'est besoin, je pense, de décrire

Les soins des sœurs; des nonnes, c'est tout dire !

Et chaque mère, après son directeur,

N'aimait rien tant; même dans plus d'un cœur,
Ainsi l'écrit un chroniqueur sincère,

Souvent l'oiseau l'emporta sur le Père.

Il partageait, dans ce paisible lieu,

Tous les sirops dont le cher Père en Dieu,
Grâce aux bienfaits des nonnettes sucrées,

Réconfortait ses entrailles sacrées.

Objet permis à leur oisif amour,

Ver-Vert était l'âme de ce séjour;

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Exceptez-en quelques vieilles dolentes,
Des jeunes sœurs jalouses surveillantes,
Il était cher à toute la maison.
N'étant encor dans l'âge de raison,

Libre, il pouvait et tout dire et tout faire;
Il était sûr de charmer et de plaire.
Des bonnes sœurs égayant les travaux,
Il becquetait et guimpes et bandeaux;
Il n'était point d'agréable partie
S'il n'y venait briller, caracoler,
Papillonner, siffler, rossignoler.
Il badinait, mais avec modestie,
Avec cet air timide et tout prudent
Qu'une novice a même en badinant.
Par plusieurs voix interrogé sans cesse,
Il répondait à tout avec justesse :
Tel autrefois César, en même temps,
Dictait à quatre en styles différents.

108. ANTOINE MARIN LE MIERRE (1723 ?-1793).

[S. H. p. 399.]

CONSOLATION.

Tu perds un fils dès ses plus jeunes ans,

Douce espérance à ton cœur arrachée,

Tendre fleur que les vents de leur souffle ont séchée

Dès les premiers jours du printemps,

J'ai dû respecter des instants

Où la douleur même a des charmes;

Pour détremper un noir poison,
J'ai dû laisser couler tes larmes.
Mais après la nature, écoute la raison:
A sa clarté si ton œil s'ouvre,
Tu ne verras plus de tombeaux,

U

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