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83. ANTHONY HAMILTON (1640-1720).

[S. H. pp. 288, 328.]

LE BÉLIER.

Le géant qui se laissoit volontiers gouverner, quand il étoit question de quelque péril, se rendit à sa demeure le plus promptement qu'il lui fut possible. On soupa avant de tenir conseil, et après le souper, Moulineau ne voulut plus entendre parler d'affaires; car il avoit mangé comme trois loups, et bû comme trois forts ivrognes, il se jeta donc dans un grand fauteuil, en s'adressant au bélier.

'Vraiment,' dit le géant, 'je Moi, par exemple,' ajouta-t-il, 'Vous avez été fourmi,' dit le cette parole, que le géant,

'A propos,' lui dit-il, 'apprends-moi un peu comment toi, qui n'es qu'une bête, tu peux parler aussi bien et mieux que moi?' 'Volontiers,' lui répondit le bélier. 'Vous savez que les âmes de 10 tous les hommes passent, après leur mort, dans le corps de quelque animal, et retournent après un certain temps, dans le corps de quelqu'autre homme.' n'avois garde de m'imaginer cela. ' quelle bête ai-je autrefois été?' bélier. Il n'eut pas plutôt lâché qui ne haïssoit rien tant que d'être comparé aux petites choses, se leva, et mettant la main sur la garde de son cimeterre; 'Misérable roquet,' s'écria-t-il, ‘je ne sais qui me tient que je vite fasse voler la tête à dix lieues de moi.' Le bélier, qui ne le 20 craignoit pas, ne laissa pas de faire semblant d'avoir peur, et, se mettant à deux genoux, baisa trois fois la terre en signe d'humiliation; puis, voyant le géant un peu radouci par cette action, il se releva, en continuant ainsi: 'Si votre grandeur savoit lire, elle verroit bientôt que je ne lui ai rien dit que de véritable: mais si le sort lui a fait autrefois l'affront de renfermer une si belle âme, et un esprit si vaste dans une si petite créature, il réparera quelque jour cette injure en vous faisant, aussitôt que vous serez mort, dromadaire, ensuite éléphant, et après quelques années baleine.' Le géant, charmé 30 de l'éclat de ses destinées futures, donna sa main à baiser á

son confident, se remit dans son fauteuil; et pour éloigner tous les inconvéniens de la métempsicose, lui ordonna de lui remettre l'esprit par le récit de quelque conte agréable. Le bélier après avoir un peu rêvé commença de cette manière:

'Depuis les blessures du renard blanc, la Reine n'avoit pas manqué de lui rendre visite.' 'Bélier, mon ami,' lui dit le géant, en l'interrompant, je ne comprends rien à tout cela. Si tu voulois commencer par le commencement, tu me ferois plaisir; car tous ces récits qui commencent par le milieu, ne font qu'embrouiller l'imagination.' 'Eh bien !' dit le bélier, 'je consens, contre 10 la coutume, à mettre chaque chose à leur place; ainsi le commencement de mon histoire sera à la tête de mon récit.'

SONG.

Celle qu'adore mon cœur n'est ni brune ni blonde;
Pour la peindre d'un seul trait,

C'est le plus charmant objet

Du monde.

Cependant de ses beautés le compte est bien facile:
On lui voit cinq cents appas,

Et cinq cents qu'on ne voit pas

Font mille.

Sa sagesse et son esprit sont d'une main céleste;

Mille attraits m'ont informé

Que les Grâces ont formé

Le reste.

Du vif éclat de son teint quelles couleurs sont dignes?
Flore a bien moins de fraîcheur,

Et sa gorge a la blancheur

Des cygnes.

Elle a la taille et les bras de Vénus elle-même ;

D'Hébé la bouche et le nez;

Et, par ses yeux, devinez

Qui j'aime.

20

30

84. FRANÇOIS EUDES DE MÉZERAY (1610-1683). [S. H. p. 333.]

HESITATION of the ROYALISTS BEFORE ARCQUES.

Ces nouvelles ayant en peu de jours esté portées par toute la France, le Parlement qui estoit à Tours, alarmé d'ailleurs des entreprises et des menées des Ligueux qui l'environnoient de tous costez, et de la crainte qu'il avoit que La Chastre ne tirast le cardinal de Bourbon, en prit si fort l'alarme qu'il dépescha au Roy Paul Huraut de Valégran, Maistre des Requestes, et depuis Archévesque d'Aix, par lequel il luy proposoit, qu'il ne voyoit plus qu'un expédient pour sauver l'estat, mais dont il avoit désiré son advis premier que de l'avancer. C'estoit que comme autrefois on avoit veu à Rome deux Princes 10 associez au gouvernement de l'Empire, ainsi dans cette occasion l'Oncle et le Neveu regnassent conjointement, l'un ayant la conduite des affaires, l'autre celle des armes, et tous deux rallians les Religions ensemble. Les capitaines de son armée, les Religionnaires mesmes, dont le courage endurcy par les coups de la fortune ne rebroussoit pas facilement contre le danger, comparant les forces de son ennemy avec les siennes, ne voyoient pas bien quel expédient les pourroit tirer de ce peril, et appréhendoient extrêmement pour le salut du Roy, duquel dépendoit celuy de tout l'estat. De sorte que dans un 20 conseil qu'il tint le cinquième de Septembre, la pluspart concluoient que laissant ses troupes à terre, fortifiés dans des postes, où elles pourroient aisément soustenir les attaques de l'ennemy, et attendre les renforts qui luy devoient arriver, il mist sa personne sacrée en seureté, et qu'il s'embarquast au plustost pour prendre la route d'Angleterre, ou de la Rochelle, de peur que s'il tardoit davantage, il ne se trouvast investy par mer aussi bien que par terre-ce que les vaisseaux que le Duc de Parme avoit tous prests pourroient faire bien aisément, avec les barques qui descendoient de Rouen en très-grande quantité. Ils ap- 30 puyoient cet advis de tant de fortes considérations que le Roy

mesme commençoit à s'ébranler, quand le Mareschal de Biron, qui avoit entendu ce discours avec dédain, fasché qu'il fist plus d'impression qu'il ne devoit, prit la parole, et d'une voix animée de cholère dit au Roy: 'C'est donc tout de bon, Sire, que l'on vous conseille de monter sur mer, comme s'il n'y avoit point d'autre moyen de conserver vostre Royaume que de le quitter. Si vous n'estiez pas en France, il faudroit percer au travers de tous les hazards et de tous les obstacles du monde pour y venir: et maintenant que vous y estes, on voudroit que vous en sortissiez! et vos amis seroient d'advis que vous 10 fassiez de vostre bon gré, ce que le plus grand effort de vos ennemis ne vous sçauroit contraindre de faire. En l'estat que sont les choses, sortir de France seulement pour vingt quatre heures, c'est s'en bannir pour jamais. On peut bien dire que vos espérances s'en iront au vent avec le vaisseau qui vous emportera; et il ne faut parler point de retour, il seroit aussi impossible que de la mort à la vie. Le péril, au reste, n'est pas si grand qu'on vous le dépeint. Ceux qui nous pensent envelopper sont, ou ceux mesmes que nous avons tenus enfermez si laschement dans Paris, ou gens qui ne valent pas mieux, et 20 qui auront plus d'affaires entr'eux-mesmes que contre nous. Enfin, Sire, nous sommes en France, il nous y faut enterrer; il s'agit d'un Royaume, il faut l'emporter, ou y perdre la vie. Et quand mesme il n'y auroit point d'autre seureté pour vostre sacrée personne que la fuite, je sçay bien que vous aymeriez mieux mille fois mourir de pied ferme que de vous sauver par ce moyen. Vostre Majesté ne soffriroit jamais qu'on dist, qu'un cadet de la maison de Lorraine luy auroit fait perdre terre, encore moins qu'on la vist mendier à la porte d'un Prince estranger. Non, non, Sire, il n'y a ny couronne ny 30 honneur pour vous delà la mer: si vous allez au devant du secours d'Angleterre il reculera, si vous vous présentez au port de la Rochelle en homme qui se sauve, vous n'y trouverez que des reproches et du mépris. Je ne puis croire pour moy, que vous deviez plustost fier vostre personne à l'inconstance des flots et à la mercy de l'estranger, qu'à tant de braves gentils-hommes et tant de vieux soldats qui sont prests de

luy servir de rempart et de boucliers: et je suis trop serviteur de V. M. pour luy dissimuler, que si elle cherchoit sa seureté ailleurs que dans leur vertu, ils seroient obligez de chercher la leur dans un autre party que dans le sien.' Par de semblables paroles le Mareschal ferma la bouche à ceux qui avoient ouvert cet advis: et le Roy, donc le courage suivoit tousjours les plus hardies résolutions, et se déterminoit facilement dans les plus pressantes rencontres, se résolut d'attendre l'ennemy dans un poste advantageux, tel que je vay vous le descrire.

ΙΟ

85. JEAN FRANÇOIS SARRASIN (1605—1655). [S. H. p. 334.]

WALLENSTEIN's argumENTS FOR ALLOWING ENTIRE DISCRETION TO HIMSELF AS GENERALISSIMO.

Après ce discours, d'autant plus vraisemblable qu'il paroissoit libre et d'un homme désintéressé, il leur donna des articles qui contenoient qu'on le fît généralissime des armées d'Autriche et arbitre de la paix, avec un pouvoir entièrement absolu et indépendant que le roi de Hongrie ne se trouvât jamais à l'armée; qu'il pût de son autorité privée, et sans la participation des conseils de Ferdinand ni de la chambre de Spire, disposer des confiscations des rebelles, des permissions et des grâces, et que les pays héréditaires fussent destinés à ses troupes pour y prendre leur quartier d'hiver.

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Ces conditions étoient dures, et Walstein, pour les excuser, alléguoit que les grandes entreprises n'avoient presque jamais réussi que sous la conduite d'un homme; que souvent la fin en avoit été malheureuse lorsque plusieurs s'en étoient mêlés; que les Romains, qui avoient chassé leur roi, s'étoient vus contraints, dans les dangers de leur république, de créer des dictateurs; que Gustave agissant seul, après de foibles commencements, se trouvoit victorieux au delà de ses espérances; qu'au contraire la multitude des maîtres venoit de perdre les meilleurs soldats du monde et de mettre l'Empire près de sa subversion; que cet exemple touchoit 30

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