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81. MADAME DE LA FAYETTE (1834—1693).
[S. H. Pp.325-327.]

A WIFE'S CONFESSIONS.

Il entendit que Monsieur de Clèves disoit à sa femme: 'Mais pourquoi ne voulez-vous point revenir à Paris? Qui vous peut retenir à la campagne ? Vous avez depuis quelque temps un goût pour la solitude qui m'étonne, et qui m'afflige parce qu'il nous sépare. Je vous trouve même plus triste que de coutume, et je crains que vous n'ayez quelque sujet d'affliction.'—' Je n'ai rien de fâcheux dans l'esprit,' répondit-elle avec un air embarrassé; mais le tumulte de la Cour est si grand, et il y a toujours un si grand monde chez vous, qu'il est impossible que le corps et l'esprit ne se lassent, et que l'on ne cherche du repos.'-' Le repos,' répliqua- 10 t-il, 'n'est guère propre pour une personne de votre âge. Vous êtes, chez vous et dans la Cour, d'une sorte à ne vous pas donner de lassitude, et je craindrois plutôt que vous ne fussiez bien aise d'être séparée de moi.'-'Vous me feriez une grande injustice d'avoir cette pensée,' reprit-elle avec un embarras qui augmentoit toujours; mais je vous supplie de me laisser ici. Si vous pouviez y demeurer j'en aurois beaucoup de joie, pourvu que vous y demeurassiez seul, et que vous voulussiez bien n'y avoir point ce nombre infini de gens qui ne vous quittent quasi jamais.'-' Ah! madame,' s'écria Monsieur de Clèves, ‘votre air et vos paroles me 20 font voir que vous avez des raisons pour souhaiter d'être seule, que je ne sais point, et je vous conjure de me les dire.' Il la pressa longtemps de les lui apprendre, sans pouvoir l'y obliger; et, après qu'elle se fut défendue d'une manière qui augmentoit encore la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond silence, les yeux baissés; puis, tout d'un coup prenant la parole et le regardant: 'Ne me contraignez point,' lui dit-elle, 'à vous avouer une chose que je n'ai pas la force de vous avouer, quoique j'en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la prudence ne veut pas qu'une femme de mon âge, et maîtresse 30 de sa conduite, demeure exposée au milieu de la Cour.'-' Que me

faites-vous envisager, Madame !' s'écria Monsieur de Clèves; 'je n'oserois vous le dire de peur de vous offenser.' Madame de Clèves ne répondit point; et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu'il avoit pensé: 'Vous ne me dites rien,' reprit-il, et c'est me dire que je ne me trompe pas.'—' Hé bien! Monsieur,' lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, ' je vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à son mari; mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la Cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de 10 mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de foiblesse, et je ne craindrois pas d'en laisser paroître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la Cour, ou si j'avois encore Madame de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons si j'ai des sentiments qui vous déplaisent; du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que, pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on n'en a jamais eu. Conduisez-moi, ayez pitié de moi, et 20 aimez-moi encore si vous pouvez.'

Monsieur de Clèves étoit demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n'avoit pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il jeta les yeux sur elle, qu'il la vit à ses genoux, la visage couvert de larmes, et d'une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant. 'Ayez pitié de moi vousmême, Madame,' lui dit-il; 'j'en suis digne, et pardonnez si, dans les premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le 30 vôtre. Vous me paroissez plus digne d'estime et d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu de femmes au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n'ont pu l'éteindre; elle dure encore: je n'ai jamais pu vous donner de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il,

Madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il? Qu'a-t-il fait pour vous plaire? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur? Je m'étois consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché, par la pensée qu'il étoit incapable de l'être; cependant un autre a fait ce que je n'ai pu faire ; j'ai tout ensemble la jalousie d'un mari et celle d'un amant; mais il est impossible d'avoir celle d'un mari après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble pour ne me pas donner une sûreté entière; il me console même comme votre amant. La confiance et la sincérité que vous avez pour moi 10 sont d'un prix infini; vous m'estimez assez pour croire que je n'abuserai pas de cet aveu. Vous avez raison, Madame, je n'en abuserai pas, et je ne vous en aimerai pas moins. Vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à son mari; mais, Madame, achevez et apprenez-moi qui est celui que vous voulez éviter.'—' Je vous supplie de ne me le point demander,' répondit-elle; 'je suis résolue de ne vous le pas dire, et je crois que la prudence ne veut pas que je vous le nomme.'-'Ne craignez point, Madame,' reprit Monsieur de Clèves; 'je connais trop le monde pour ignorer 20 que la considération d'un mari n'empêche pas que l'on ne soit amoureux de sa femme. On doit haïr ceux qui le sont, et non pas s'en plaindre; et, encore une fois, Madame, je vous conjure de m'apprendre ce que j'ai envie de savoir.'-'Vous m'en presseriez inutilement,' répliqua-t-elle; 'j'ai de la force pour taire ce que je crois ne pas devoir dire. pas été par foiblesse ; et il faut plus de courage pour avouer cette vérité que pour entreprendre de la cacher.'

L'aveu que je vous ai fait n'a

82. CHARLES PERRAULT (1828-1703).

[S. H. p. 326.]

THE SLEEPING BEAUTY.

Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnoit alors, et qui étoit d'une autre famille que la princesse endormie, étant allé à 30 la chasse de ce côté-là, demanda ce que c'étoit que des tours

qu'il voyoit au-dessus d'un grand bois fort épais. Chacun lui répondit selon qu'il en avoit ouï parler: les uns disoient que c'étoit un vieux château où il revenoit des esprits; les autres, que tous les sorciers de la contrée y faisoient leur sabbat. La plus commune opinion étoit qu'un ogre y demeuroit, et que là il emportoit tous les enfans qu'il pouvoit attraper, pour les pouvoir manger à son aise, et sans qu'on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois.

Le prince ne savoit qu'en croire, lorsqu'un vieux paysan prit la parole et lui dit: Mon prince, il y a plus de cinquante ans, 10 que j'ai ouï dire à mon père qu'il y avoit dans ce château une princesse, la plus belle du monde; qu'elle y devoit dormir cent ans, et qu'elle seroit réveillée par le fils d'un roi, à qui elle étoit réservée.'

Le jeune prince, à ce discours, se sentit tout de feu; il crut, sans balancer, qu'il mettroit fin à une si belle aventure, et, poussé par l'amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qui en étoit. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'elles-mêmes pour le laisser passer. Il marche vers le château qu'il voyoit au 20 bout d'une grande avenue où il entra, et, ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avoit pu suivre, parce que les arbres s'étoient rapprochés dès qu'il avoit été passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin: un prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour, où tout ce qu'il vit d'abord étoit capable de le glacer de crainte. C'étoit un silence affreux : l'image de la mort s'y présentoit partout, et ce n'étoient que des corps étendus d'hommes et d'animaux qui paroissoient morts. Il reconnut pourtant bien, au nez bourgeonné et à la face vermeille des suisses, qu'ils n'étoient 30 qu'endormis; et leurs tasses, où il y avoit encore quelques gouttes de vin, montroient assez qu'ils s'étoient endormis en buvant.

Il passe une grande cour pavée de marbre; il monte l'escalier; il entre dans la salle des gardes, qui étoient rangés en haie, la carabine sur l'épaule, et ronflant de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres, pleines de gentilshommes et de dames, dor

mant tous, les uns debout, les autres assis. Il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux étoient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu une princesse qui paraissoit avoir quinze ou seize ans, et dont l'éclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux et de divin. Il s'approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d'elle.

Alors, comme la fin de l'enchantement étoit venue, la princesse s'éveilla, et, le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne sembloit le permettre: Est-ce vous, mon prince?' 10 lui dit-elle; 'vous vous êtes bien fait attendre.' Le prince, charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étoient dites, ne savoit comment lui témoigner sa joie et sa reconnoissance; il l'assura qu'il l'aimoit plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés; ils en plurent davantage : peu d'éloquence, beaucoup d'amour. Il étoit plus embarrassé qu'elle, et l'on ne doit pas s'en étonner: elle avoit eu le temps de songer à ce qu'elle auroit à lui dire; car il y a apparence (l'histoire n'en dit pourtant rien) que la bonne fée, pendant un si long sommeil, lui avoit procuré le plaisir des songes agréables. Enfin, il y avoit 20 quatre heures qu'ils se parloient, et ils ne s'étoient pas encore dit la moitié des choses qu'ils avoient à se dire.

Cependant tout le palais s'étoit réveillé avec la princesse : chacun songeoit à faire sa charge; et, comme ils n'étoient pas tous amoureux, ils mouroient de faim. La dame d'honneur, pressée comme les autres, s'impatienta, et dit tout haut à la princesse que la viande étoit servie. Le prince aida la princesse à se lever: elle étoit toute habillée, et fort magnifiquement; mais il se garda bien de lui dire qu'elle étoit habillée comme ma mèregrand, et qu'elle avoit un collet monté; elle n'en étoit pas moins 30 belle.

Ils passèrent dans un salon de miroirs, et y soupèrent, servis par les officiers de la princesse. Les violons et les hautbois jouèrent de vieilles pièces, mais excellentes, quoiqu'il y eût près de cent ans qu'on ne les jouât plus; et, après soupé, sans perdre de temps, le grand aumônier les maria dans la chapelle du château.

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