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Ah! de combien d'erreurs et de fausses idées
Détrompes-tu celui qui s'abandonne à toi!
De l'amour du repos les âmes possédées
Ne peuvent reconnaître et suivre une autre loi.

Tu fais régner le calme au milieu de l'orage,
Tu mets un juste frein aux plus folles ardeurs;
Tu peux même élever le plus ferme courage
Par le digne mépris que tu fais des grandeurs.

Ami, dont le cœur haut, les talents, l'espérance,
Le don d'imaginer avec facilité,
Pourraient encor, malgré ta propre expérience,
Rallumer les désirs et la vivacité,

Laisse-toi gouverner par cette enchanteresse
Qui seule peut de cœur calmer l'émotion,
Et préfère, crois-moi, les dons de la paresse
Aux offres d'une vaine et folle ambition.

68. ANTOINE DE MONTCHRESTIEN (d. 1621). [S. H. p. 291.]

CHORUS FROM LES CARTAGINOISES.

Oyez nos tristes voix,

Vous qui logez votre espérance au monde,
Vous dont l'espoir sur ce roseau se fonde,
Oyez-nous cette fois.

O! que l'on voit souvent

La gloire humaine imiter la fleurette,
Au poinct du jour joyeuse et vermeillette,
Au soir cuite du vent.

Qui sur tous s'élevoit

Comme un sapin sur les basses bruyères,
Dedans le trone où tu le vis naguères

Là plus il ne se voit.

ΤΟ

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Ton regard est bien clair

S'il peut de lui remarquer quelque trace,
Le lustre humain comme un songe s'efface,
Passe comme un éclair.

Penses-tu rien trouver

Que le destin n'altère d'heure en heure ?

Bien que le ciel ferme en son cours demeure
Sa fin doit arriver.

Le sceptre des grands rois

Est plus sujet aux coups de la fortune

Qu'aux vents mutins les ondes de Neptune,
Aux foudres les hauts bois.

Cessons, pauvres humains,

De concevoir tant d'espérances vaines,
Puisque aussitôt les grandeurs plus certaines
Tombent hors de nos mains.

ΤΟ

69. JEAN DE SCHÉLANDRE (1585–1635). [S. H. p. 292.]

THE HAPPY LOVER TO THE STARS.

Gentils globes de feu, brillans à mille pointes,
Qui d'aspects éloignés et d'influences jointes
Enclinez puissamment nos esprits et nos corps
Aux premiers mouvements qu'ils poussent en dehors;
Chers joyaux dont la nuit pare sa voile sombre
D'un mélange subtil de lumière dans l'ombre;
Beaux caractères d'or où les doctes esprits
Trouvent tous nos destins lisiblement écrits;
Bluettes du soleil, que j'aime votre flamme
Puisqu'elle a tel rapport à celle de mon âme,
Vous paroissez de nuit et vous cachez de jour,
Mais toujours sans repos, ainsi fait mon amour.

M

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Vous estes tous ardents et n'eschauffez personne,
Ainsi brûle mon cœur et mon corps qui frissonne.
Vous estes à souhait au comble de tous biens,
Moi je suis parvenu jusqu'au comble des miens.

SONNETS TO POETS OF HIS TIME.

Beaux esprits de ce temps, qui ravissez les cœurs Par des pointes en l'air, des subtiles pensées,

Vos paroles de prose, en bon ordre agencées,

Me font rendre à vos pieds: vous êtes mes vainqueurs.
Car moi, je ne suis plus courtisan des Neuf Sœurs;
Des faveurs que j'en ai les modes sont passées :
Peut-être toutefois qu'aux âmes bien sensées
Ma rudesse vaut bien vos modernes douceurs.

J'ai quelques mots grossiers, quelques rimes peu riches;
Mais jamais grand terroir ne se trouva sans friches:

Je vois clocher Virgile, Homère sommeiller.

Chacun fait ce qu'il peut, en vers comme à la danse;
Mais, le bal étant long, il faut tant travailler
Que les meilleurs danseurs y sortent de cadence.

J'aime Du Bartas et Ronsard;
Toute censure m'est suspecte,
Quelque raison que l'on m'objecte,
De celui qui fait bande à part.

C'est fort bien d'enrichir son art,
Pourvu que trop on ne l'affecte;
Mais d'en dresser nouvelle secte,
Notre siècle est venu trop tard.

O censeurs des mots et des rimes,
Souvent vos ponces et vos limes
Ôtent le beau pour le joli!

En soldat j'en parle et j'en use.

Le bon ressort, non le poli,

Fait le bon rouet d'arquebuse!

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70. ALEXANDRE HARDY (1560—1631). [S. H. p. 292.]

MARIAMNE'S DEFIANCE TO HEROD.

Lorsque je changeray de parole ou de face,
Barbare, en volonté de mendier ta grâce,
Lorsque je m'oubliray tant que de recourir
Au bourreau de mon sang de crainte de mourir,
Thétis donc perdra l'ordinaire amertume,
Phoebus ira s'éteindre où sa lampe s'allume,
Zéphyre accoutumé de suivre le printemps
Soufflera quand l'hiver nous hérisse les champs,
Les corbeaux vêtiront du cigne le plumage,
Philomèle avec eux échangeant de ramage.
Ne le présume pas, sanguinaire felon,
Avant je supplierois un Scythe ou un Gelon.
Corsaire Iduméen! race ignoble! n'estime
Que Mariamne meure autre que magnanime,
Que pouvant de soy-même elle n'eût enterré
Tes lâches cruautés dans ton flanc enferré,
Qu'elle n'eût accompli ce que tu lui supposes,
Sus donc fay-moi mourir. Il semble que tu n'oses!

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71. JEAN DE ROTROU (1609-1650). [S. H. p. 292.]

SPEECH OF SAINT-GENEST.

Ne délibère plus, Adrien, il est temps

De suivre avec ardeur ces fameux combattants:

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Si la gloire te plaît l'occasion est belle;

La querelle du ciel à ce combat t'appelle;

La torture, le fer et la flamme t'attend;

Offre à leurs cruautés un cœur ferme et constant ;

Laisse à de lâches cœurs verser d'indignes larmes,
Tendre aux tyrans les mains, et mettre bas les armes;
Offre ta gorge au fer, vois-en couler ton sang,

Et meurs sans t'ébranler, debout et dans ton rang.
La faveur de César, qu'un peuple entier t'envie,
Ne peut durer au plus que le cours de sa vie,
De celle de ton Dieu, non plus que de ses jours,
Jamais nul accident ne bornera le cours:

Déjà de ce tyran la puissance irritée,

Si ton zèle te dure, a ta perte arrêtée.
Il seroit, Adrien, honteux d'être vaincu;

Si ton Dieu veut ta mort, c'est déjà trop vécu.
J'ai vu, ciel, tu le sais par le nombre des âmes
Que j'osai t'envoyer par des chemins de flammes,
Dessus les grils ardents et dedans les taureaux,
Chanter les condamnés et trembler les bourreaux ;
J'ai vu tendre aux enfants une gorge assurée,
A la sanglante mort qu'ils voyoient préparée,
Et tomber sous le coup d'un trépas glorieux,
Ces fruits à peine éclos déjà mûrs pour les cieux;
J'en ai vu que le temps prescrit par la nature
Étoit près de pousser dedans la sépulture,
Dessus les échafauds presser ce dernier pas,
Et d'un jeune courage affronter le trépas,
J'ai vu mille beautés en la fleur de leur âge,
A qui jusqu'aux tyrans chacun rendoit hommage,
Voir avecque plaisir meurtris et déchirés
Leurs membres précieux de tant d'yeux adorés.
Vous l'avez vu, mes yeux, et vous craindriez sans honte
Ce que tout sexe brave et que tout âge affronte !
Cette vigueur peut-être est un effort humain.
Non, non, cette vertu, Seigneur, vient de ta main;
L'âme la puise au lieu de sa propre origine,
Et, comme les effets, la source en est divine.
C'est du ciel que me vient cette noble vigueur
Qui me fait des tourments mépriser la rigueur,
Qui me fait défier les puissances humaines,

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