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On le veut, j'y souscris, et suis prêt à me taire.
Mais que pour un modèle on montre ses écrits;
Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits;
Comme roi des auteurs, qu'on l'élève à l'empire,
Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire;
Et, s'il ne m'est permis de le dire au papier,
J'irai creuser la terre, et, comme ce barbier,
Faire dire aux roseaux par un nouvel organe :
'Midas, le roi Midas a des oreilles d'âne.'
Quel tort lui fais-je enfin? Ai-je par un écrit
Pétrifié sa veine et glacé son esprit ?
Quand un livre au Palais se vend et se débite,
Que chacun par ses yeux juge de son mérite,
Que Bilaine l'étale au deuxième pilier,

Le dégoût d'un censeur peut-il le décrier?
En vain contre le Cid un ministre se ligue:
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps a beau le censurer:
Le public révolté s'obstine à l'admirer.

Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière,
Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière.
En vain il a reçu l'encens de mille auteurs;
Son livre en paraissant dément tous ses flatteurs.
Ainsi, sans m'accuser, quand tout Paris le joue,
Qu'il s'en prenne à ses vers que Phébus désavoue,
Qu'il s'en prenne à sa muse allemande en françois.
Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.

65. MADAME DESHOULIÈRES (1638-1694).

[S. H. p. 288.]

A DREAM.

Les ombres blanchissaient, et la naissante aurore
Annonçait dans ces lieux le retour du soleil,

Lorsque dans les bras du sommeil

Malgré des soins cuisants, je languissais encore

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A la merci de ces vaines erreurs

Dont il sait ébranler le plus ferme courage,
Dont il sait enchanter les plus vives douleurs.
De toute ma raison ayant perdu l'usage,
Je croyais être, Iris, dans un sombre bocage
Où les rossignols tour à tour

Semblaient me dire en leur langage:
Vous résistez en vain au pouvoir de l'Amour;
Tôt ou tard, ce dieu nous engage:

Ah! dépêchez-vous de choisir.
J'écoutais ce tendre ramage

Avec un assez grand plaisir,

Quand un certain oiseau, plus beau que tous les autres,
Şur des myrtes fleuris commença de chanter.
Doux rossignols, sa voix l'emporta sur les vôtres;
Je vous quittai pour l'écouter.
Dieux! qu'elle me parut belle!
Qu'elle s'exprimait tendrement!
Sa manière était nouvelle,
Et l'on recontrait en elle

Je ne sais quel agrément

Qui plaisait infiniment.

Pour avoir plus longtemps le plaisir de l'entendre,
Voyant que, sans s'effaroucher,

Cet agréable oiseau se laissait approcher,

J'avançai la main pour le prendre.

Je le tenais déjà, quand je ne sais quel bruit
Nous effraya tous deux : l'aimable oiseau s'enfuit.
Dans les bois, après lui, j'ai couru transportée,

Et, par une route écartée,

Je suivais son vol avec soin:

Soit hasard, soit adresse,

Malgré ma délicatesse,

Dieux! qu'il me fit aller loin!

Enfin, n'en pouvant plus, il se rend: je l'attrape,

Comme j'en avais eu dessein;

Et, folle que je suis, j'ai si peur qu'il n'échappe,

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Que je l'enferme dans mon sein.

O déplorable aventure!

Ce malicieux oiseau,

Qui m'avait semblé si beau,
Change aussitôt de figure,
Devient un affreux serpent,

Et du venin qu'il répand

Mon cœur fait sa nourriture.

Ainsi, loin de goûter les plaisirs innocens

Dont sa trompeuse voix avait flatté mes sens,
Je souffrais de cruels supplices.

Le traître n'avait plus sa première douceur,
Et, selon ses divers caprices,

Il troublait ma raison et déchirait mon cœur.
Par des commencements si rudes,

Voyant que les plaisirs que je devais avoir

Se changeaient en inquiétudes,

Renonçant tout d'un coup au chimérique espoir
Dont il voulait me faire une nouvelle amorce,
D'un dépit plein de fureur
J'empruntai toute la force,
Et j'étouffai l'imposteur,

66. ABBÉ DE CHAULIEU (1639-1720). [S. H. p. 288.]

ON THE DEATH OF LA FARE.

La Fare n'est donc plus! la Parque impitoyable
A ravi de mon cœur cette chère moitié!
Pourquoi, cruelle, par pitié,

A tous mes vœux inexorable,

Me laisses-tu traîner ici de tristes jours?
Étranger dans le monde, il m'est insupportable;

J'ay languis, privé du secours
Ét de ce charme inexplicable

ΤΟ

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Dont depuis quarante ans jouit mon amitié.
Je te perds pour jamais, ami tendre et fidèle,
Toi dont le cœur toujours conforme à mes désirs
Goûtait avec le mien la douceur mutuelle

De partager nos maux ainsi que nos plaisirs:
Flatté que ta bonté ne me fît point un crime
De mes vices, de mes défauts,

Je te les confiais, sans perdre ton estime,
Ni que cela m'ôtât rien de ce que je vaux.
La trame de nos jours ne fut point assortie
Par raison d'intérêt ou par réflexion;
D'un aimant mutuel la douce sympathie
Forma seule notre union:

Dans le sein de la complaisance

Se nourrit cette affection,

Dont en très-peu de temps l'aveugle confiance

Fit une forte passion.

On te pleure au Parnasse, on te pleure à Cythère ;

En longs habits de deuil les Muses, les Amours,

Et ces divinités qui donnent l'art de plaire,
De ta pompe funèbre ont indiqué les jours:
Apollon veut qu'avec Catulle

Horace conduise le deuil;

Ovide y jettera des fleurs sur ton cercueil,
Comme il fit autrefois au bûcher de Tibulle.

Puisse la fidèle histoire,

Cher La Fare, des honneurs

Que t'ont rendus les neuf Sœurs

Aux siècles à venir faire passer ta gloire!
J'espère, et cet espoir seul console mon cœur,
Qu'en éternisant ta mémoire

J'éterniserai ma douleur.

J'appelle à mon secours raison, philosophie;
Je n'en reçois, hélas! aucun soulagement.
A leurs belles leçons insensé qui se fie!
Elles ne peuvent rien contre le sentiment.

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J'entends que la raison me dit que vainement
Je m'afflige d'un mal qui n'a point de remède ;
Mais je verse des pleurs dans le même moment,
Et sens qu'à ma douleur toute ma vertu cède.

O mort! faut-il en vain que je vous sollicite?
L'ordre que la nature a mis

Veut que j'aille bientôt rejoindre mes amis;
Tout ce qui me fut cher a passé le Cocyte.
En vain je cherche encore ici quelque agrément;
Mes jours sont un tissu de douleur et de peine :
Chaque heure, chaque instant m'apporte un changement,
Me dérobe un plaisir, ou me fait un tourment.
Pourquoi n'osé-je rompre une fatale chaîne
Qui m'attache à la vie et m'éloigne du port?
Il faudrait au moins que le sage,
Quand il le veut, eût l'avantage

D'être le maître de son sort.

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67. CHARLES AUGUSTE DE LA FARE (1644—1712). [S. H. p. 288.]

STANZAS ON IDLENESS.

Pour avoir secoué le joug de quelque vice,
Qu'avec peu de raison l'homme s'enorgueillit!
Il vit frugalement, mais c'est par avarice;
S'il fuit les voluptés, hélas! c'est qu'il vieillit.

Pour moi, par une longue et triste expérience,
De cette illusion j'ai reconnu l'abus;

Je sais, sans me flatter d'une vaine apparence,
Que c'est à mes défauts que je dois mes vertus.

Je chante tes bienfaits, favorable paresse;
Toi seule dans mon cœur as rétabli la paix,
C'est par toi que j'espère une heureuse vieillesse :
Tu vas me devenir plus chère que jamais.

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