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56. JACQUES DU PERRON (1556-1611).

[S. H. p. 276.]

THE TEMPLE OF INCONSTANCY.

Je veux bâtir un temple à l'Inconstance,
Tous amoureux y viendront adorer,
Et de leurs vœux, jour et nuit l'honorer,
Ayant le cœur touché de repentance.

De plume molle en sera l'édifice,
En l'air fondé sur les ailes du vent;
L'autel, de paille, où je viendrai souvent
Offrir mon cœur par un saint sacrifice.

Tout à l'entour, je peindrai mainte image
D'erreur, d'oubli et d'infidélité,
De fol désir, d'espoir, de vanité,
De fiction et de penser volage.

Pour le sacrer, ma légère maîtresse
Invoquera les ondes de la mer,

Les vents, la lune, et nous fera nommer,
Moi le templier, et elle la prêtresse.

Elle, séant ainsi qu'une Sibylle,
Sur un trépied tout pur de vif argent,
Nous prédira ce qu'elle ira songeant
D'une pensée inconstante et mobile.

Elle écrira sur des feuilles légères
Les vers qu'alors sa fureur chantera,
Puis, à son gré, le vent emportera,
Deçà, delà, ses chansons mensongères.

Fille de l'air, déesse secourable,
De qui le corps de plumes est couvert,
Fais que toujours ton temple soit ouvert
A tout amant, comme moi, variable.

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57. HONORAT DE RACAN (1589-1670).

[S. H. p. 276.]

THE COUNTRY LIFE.

Tircis, il faut penser à faire la retraite.
La course de nos jours est plus qu'à demi faite,
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable :
Plus on est élevé, plus on court de dangers;
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que des toits des bergers.

Oh! bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs!

Il laboure le champ que labourait son père,
Il ne s'informe pas de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire.
Son fertile domaine est son petit empire.

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,

Et sans porter envie à la pompe des princes,

Se contente chez lui de les voir en tableau.

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Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille ;
La javelle à plein poing tomber sous la faucille.
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cuve et ses greniers.

Il suit, aucune fois, le cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées,
Et qui même du jour ignorent le flambeau;
Aucune fois des chiens il suit les voix confuses,
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire le tombeau.

Tantôt il se promène au long de ces fontaines
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L'argent de leurs ruisseaux parmi l'or des moissons;
Tantôt il se repose avecque les bergères

Sur des lits naturels de mousse et de fougères

Qui n'ont d'autres rideaux que l'ombre des buissons.

Il soupire en repos l'ennui de sa vieillesse Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse A vu dans le berceau ses bras emmaillottés;

Il tient par les moissons registre des années,

Et voit de temps en temps leurs courses enchainées
Vieillir avecque lui les bois qu'il a plantés.

Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
A la merci des vents et des ondes chenues,
Ce que nature avare a caché de trésors;
Et ne recherche point, pour honorer sa vie,
De plus illustre mort ni plus digne d'envie
Que de mourir au lit où ses pères sont morts.

Il contemple, du port, les insolentes rages
Des vents de la faveur, auteurs de nos orages,
Allumer des mutins les desseins factieux;

Et voit en un clin d'œil, par un contraire échange,
L'un déchiré du peuple au milieu de la fange
Et l'autre à même temps élevé dans les cieux.

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S'il ne possède point ces maisons magnifiques, Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques Où la magnificence étale ses attraits,

Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles,

Il voit de la verdure et des fleurs naturelles
Qu'en ces riches lambris l'on ne voit qu'en portraits.

Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude,
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt.
Sous un chêne élevé les arbrisseaux s'ennuient;
Et devant le soleil tous les astres s'enfuient,
De peur d'être obligés de lui faire la cour.

Après qu'on a suivi sans aucune assurance
Cette vaine faveur qui nous paît d'espérance,
L'envie, en un moment, tous nos desseins détruit;
Ce n'est qu'une fumée; il n'est rien de si frêle.
La plus belle moisson est sujette à la grêle,
Et souvent elle n'a que des fleurs pour du fruit.

Agréables déserts, séjour de l'innocence,

Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

58. JEAN MAYNARD (1582-1646).

[S. H. p. 276.]

LA BELLE VIEILLE.

Chloris, que dans mon cœur j'ai si longtemps servie,

Et que ma passion montre à tout l'univers,

Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie,

Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?

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N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre, et permets que j'admire
Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé.

Où s'enfuit ta prudence acquise et naturelle? Qu'est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur ? La folle vanité de paraître fidèle

Aux cendres d'un jaloux m'expose à ta rigueur.

Eusses-tu fait le vœu d'un éternel veuvage
Pour l'honneur du mari que ton lit a perdu,
Et trouvé des Césars dans ton haut parentage:
Ton amour est un bien qui m'est justement dû.

Qu'on a vu revenir de malheurs et de joies,
Qu'on a vu trébucher de peuples et de rois,
Qu'on a pleuré d'Hector, qu'on a brûlé de Troyes,
Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois!

Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête,
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née ; C'est de leurs premiers traits que je fus abattu: Mais tant que tu brûlas du flambeau d'Hyménée, Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.

Je sais de quel respect il faut que je t'honore,
Et mes ressentiments ne l'ont pas violé.
Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore,
C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé.

Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure,
Je me plains aux rochers et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l'épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.

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