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dedans,-Tite-Live a descrit ceste histoire. Or doncques, messieurs, donnez ordre tout à ceste heure à vos portes, et eslisez des hommes pour en prendre le charge; et faictes que l'eslection soit des plus gens de bien et des plus fidelles qui sont parmy vous. Faictes crier par la ville dès à ceste heure que tous ceux qui ont bleds et farines aux moulins se hastent de les faire moudre, et d'apporter tout dans la ville. Faictes que tous ceux qui ont grains ou autres vivres dans les villages les retirent incontinent dans la ville, à peine qu'on les bruslera, ou qu'on les donnera au sac, si dans demain, à l'entrée de la nuit, tout n'est 10 retiré; et ce, afin que nous puissions avoir vivres pour attendre le secours que le Roy vous envoyera: car il n'est pas si petit prince, que, comme il a eu le puissance de vous envoyer secours, qu'il n'en aye encores pour vous en envoyer d'avantage. Faictes commandement à vos trois gonfalonniers de tenir toutes leurs compagnies prestes à l'heure qu'ils seront mandez. Et, pourceque ma fièvre me travaille, je suis contrainct me retirer au logis, attendant les nouvelles de ce que Dieu nous donnera; et vous prie, pourvoyez tout incontinent à ce que je vous ay remonstré, vous offrant, pour le service du Roy vostre maistre, 20 et le vostre particulier, non seulement ce peu d'expérience que Dieu a mis en moy, mais ma propre vie.'

49. FRANÇOIS DE LA NOUE (1651–1691).
[S. H. p. 253.]

STRICTNESS OF HUGUENOT DISCIPLINE.

Alors que cette guerre commença, les chefs et capitaines se ressouvenoient encores du bel ordre militaire qui avoit esté practiqué en celles qui s'estoient faites sous le roy François et Henry son fils, et plusieurs soldats en estoient aussi mémoratifs; pour laquelle occasion il semble que ceux qui prindrent les armes se contenoient aucunement en leur devoir. Mais ce qui eut plus de force à cest effect, furent les continuelles remonstrances ès predications, où ils estoient admonnestez de 30

ne les employer à l'oppression du pauvre peuple; et puis le zèle de religion, dont la plus grande part estoit menée, avoit alors beaucoup de vigueur. De manière que, sans aucune contrainte, chacun se bridoit volontairement, pour ne commetre poinct ce que souventes fois l'horreur des supplices ne peut empescher; et principalement la noblesse se monstra, à ce commencement, très-digne du nom qu'elle portoit; car, marchant par la campagne, où la licence de vivre est sans comparaison plus grande que dans les villes, elle ne pilloit poinct, n'y ne battoit ses hostes, et se contentoit de fort peu; et les chefs 10 et la pluspart d'icelle, qui de leurs maisons avoient apporté quelques moyens, payoient honnestement. On ne voyoit point fuir personne des villages, ny n'oyoit-on ne cris ne plaintes. Somme, c'estoit un désordre très-bien ordonné. Quand il se commetoit un crime en quelque troupe, on bannissoit celuy qui l'avoit commis, ou on le livroit ès mains de la justice, et les propres compagnons n'osoient pas mesmes ouvrir la bouche pour excuser le criminel, tant on avoit en détestation les meschancetez et estoit-on amateur de vertu. Au camp de Vaussoudun, près Orléans, où le prince de Condé séjourna près de 20 quinze jours, l'infanterie fit voir qu'elle estoit touchée du mesme sentiment. Elle estoit logée en campagne, et le nombre des enseignes ne passoit trente-six. Je remarquay alors quatre ou cinq choses notables: la première est qu'entre ceste grande troupe on n'eust pas ouy un blasphème du nom de Dieu : car lorsque quelqu'un, plus encore par coustume que par malice, s'y abandonnoit, on se courrouçoit asprement contre luy, ce qui en reprimoit beaucoup; la seconde, on n'eust pas trouvé une paire de dez ny un jeu de cartes en tous les quartiers, qui sont des sources de tant de querelles et de larcins; tierce- 30 ment, les femmes en estoient bannies, lesquelles ordinairement ne hantent en tels lieux, sinon pour servir à la dissolution; en quatrième lieu, nul un s'escartoit des enseignes pour aller fourrager, ains tous estoient satisfaits des vivres qui leur estoient distribuez, ou du peu de solde qu'ils avoient receu. Finalement au soir et au matin, à l'assiette et lèvement des gardes, ès prières publiques se faisoient, et le chant des psalmes re

tentissoit en l'air: èsquelles actions on remarquoit de la piété en ceux qui n'ont pas accoustumé d'en avoir beaucoup ès guerres. Et combien que la justice fust alors sévèrement exécutée, si est-ce que peu en sentirent la rigueur, pourceque peu de desbordements parurent. Certainement plusieurs s'esbahissoient de voir une si belle disposition, et mesmement une fois feu mon frère le sieur de Téligny et moy, en discourant avec M. l'Admiral, la prisions beaucoup. Sur cela il vous dit: 'C'est voirement une belle chose moyennant qu'elle dure; mais je crains que ces gens icy ne jettent toute leur bonté à 10 la fois, et que d'icy à deux mois il ne leur sera demuré que la malice. J'ay commandé à l'infanterie long-temps, et la connois; elle accomplit souvent le proverbe qui dit "Le jeune hermite vieux diable." Si celle-cy y faut, nous ferons la croix à la cheminée.' Nous nous mismes à rire, sans y prendre garde davantage, jusques à ce que l'expérience nous fit connoistre qu'il avoit esté prophète en cecy.

50. MARGUERITE DE VALOIS (1553—1615). ́

[S. H. p. 254.]

MARGUERITE ON ST. BARTHOLOMEW'S DAY.

Pour moy, l'on ne me disoit rien de tout cecy. Je voyois tout le monde en action; les huguenots désespérez de cette blessure: Messieurs de Guise craignans qu'on n'en voulust 20 faire justice se chuchetans tous à l'oreille. Les huguenots me tenoient suspecte parceque j'estois catholique, et les catholiques parceque j'avois épousé le roy de Navarre qui estoit huguenot. De sorte que personne ne m'en disoit rien, jusques au soir qu'estant au coucher de la Reyne ma mère, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine que je voyois fort triste, la Reyne ma mère parlant à quelques-uns m'apperceust, et me dit que je m'en allasse coucher: comme je faisois la révérence, ma sœur me prend par le bras et m'arreste, et se prenant fort à pleurer, me dit: 'Mon Dieu, ma sœur, n'y allez 30 pas,' ce qui m'effraya extrèmement. La Reyne ma mère

s'en apperceut, et appellant ma sœur se courrouça fort à elle, et luy deffendit de me rien dire. Ma sœur luy dit qu'il n'y avoit point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute, s'ils découvroient quelque chose, ils se vengeroient de moy. La Reyne mère répond que, s'il plaisoit à Dieu, je n'aurois point de mal; mais quoy que ce fut, il falloit que j'allasse, de peur de leur faire soupçonner quelquechose.... Je voyois bien qu'ils se contestoient, et n'entendois pas leurs paroles. Elle me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dit bon soir, 10 sans m'oser dire autrechose, et moy je m'en allay toute transie et éperduë, sans me pouvoir imaginer ce que j'avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me mis à prier Dieu qu'il luy plust me prendre en sa protection, et qu'il me gardast, sans sçavoir de quoy ny de qui. Sur cela le Roy mon mary, qui s'estoit mis au lit, me manda que je m'en allasse coucher. Ce que je fis, et trouvay son lit entouré de trente ou quarante huguenots que je ne connoissois point encore; car il y avoit fort peu de temps que j'estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l'accident qui estoit advenu à M. l'Admiral, 20 se résolvants dès qu'il seroit jour de demander justice au Roy de M. de Guise, et que si on ne la leur faisoit, ils se la feroient eux mesmes. Moy j'avois tousjours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir pour l'appréhension en laquelle elle m'avoit mise, sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l'œil. Au point du jour le Roy mon mary dit qu'il vouloit aller jouer à la paume attendant que le roy Charles fust éveillé, se résolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentilshommes aussi. Moy voyant qu'il estoit jour, estimant que le danger 30 que ma sœur m'avoit dit fust passé, vaincuë du sommeil, je dis a ma nourrice qu'elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise. Une heure après, comme j'estois le plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la porte, et criant Navarre, Navarre!' Ma nourrice, pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte. Ce fust un gentilhomme nommé M. de Téjan, qui avoit un coup

d'épée dans le coude, et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers qui entrèrent tous après luy en ma chambre. Luy se voulant garantir se jetta dessus mon lit. Moy sentant ces hommes qui me tenoient, je me jette à la ruelle, et luy après moy, me tenant tousjours à travers du corps. Je ne connoissois point cet homme, et ne sçavois s'il venoit là pour m'offenser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous crions tous deux, et estions aussi effrayés l'un que l'autre. Enfin Dieu voulut que M. de Nançay, capitaine des gardes, y vinst, qui me trouvant en cet estat là, 10 encors qu'il y eust de la compassion ne se put tenir de rire, et se courrouça fort aux archers de cette indiscrétion, les fit sortir et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je fis coucher et penser dans mon cabinet jusques à temps qu'il fust de tout guéry. Et changeant de chemise, parce qu'il m'avoit toute couverte de sang, M. de Nançay me conta ce qui se passoit, et m'asseura que le Roy mon mary estoit dans la chambre du Roy, et qu'il n'auroit nul mal. Et me faisant jetter un manteau de nuict sur moy, il m'emmena dans la chambre de ma sœur Madame de Lorraine, où j'arrivay plus 20 morte que vive, et entrant dans l'antichambre, de laquelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentilhomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d'un coup de hallebarde à trois pas de moy. Je tombay de l'autre costé presque évanouië entre les bras de M. de Nançay, et pensois que ce coup nous eust percez tous deux. Et estant quelque peu remise, j'entray en la petite chambre où couchoit

ma sœur.

51. MAXIMILIEN DE BÉTHUNE (1560-1641).
[S. H. p. 256.]

SULLY ON ST. BARTHOLOMEW'S DAY.

Pour commencer le discours de ce qui vous arriva le vingtquatriesme jour d'aoust, et dire aussi quelques choses des ad- 30 ventures du Roy vostre maistre, et du prince de Condé, nous

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