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nos bastiments, il y ayt aussi là hault des esprits envieux des grandeurs de çà bas ;

Usque adeo res humanas vis abdita quædam
Obterit, et pulchros fasces, sævasque secures
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur!

et semble que la fortune quelquesfois guette à poinct nommé le dernier iour de nostre vie, pour montrer sa puissance de renverser en un moment ce qu'elle avoit basty en longues années; et nous faict crier, aprez Laberius,

Nimirum hac die

Una plus vixi mihi, quam vivendum fuit!

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Ainsi se peult prendre avecques raison ce bon advis de Solon: mais d'autant que c'est un philosophe (à l'endroict desquels les faveurs et disgraces de la fortune ne tiennent reng ny d'heur ny de malheur, et sont les grandeurs et puissances accidents de qualité à peu prez indifférente), ie treuve vraysemblable qu'il ayt regardé plus avant, et voulu dire que ce mesme bonheur de nostre vie, qui dépend de la tranquillité et contentement d'un esprit bien nay, et de la résolution et asseurance d'une âme réglée, ne se doibve iamais attribuer à l'homme, qu'on ne luy 20 ayt veu iouer le dernier acte de sa comédie, et sans doubte le plus difficile. En tout le reste il y peult avoir du masque: ou ces beaux discours de la philosophie ne sont en nous que par contenance, ou les accidents ne nous essayant pas iusques au vif, nous donnent loisir de maintenir touiours notre visage rassis; mais à ce dernier roolle de la mort et de nous, il n'y a plus que feindre, il fault parler françois, il fault montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot.

Nam veræ voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur; et eripitur persona, manet res.

Voylà pourquoy se doibvent à ce dernier traict toucher et esprouver toutes les aultres actions de nostre vie : c'est le maistre iour; c'est le jour iuge de touts les aultres; c'est le iour, dict un ancien, qui doibt iuger de toutes mes années passées. le remets à la mort l'essay du fruict de mes estudes : nous verrons là si mes discours me partent de la bouche ou du

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cœur. J'ay veu plusieurs donner par leur mort réputation en bien ou en mal à toute leur vie. Scipion, beau père de Pompeius, rabilla en bien mourant la mauvaise opinion qu'on avoit eu de luy iusques alors. Epaminondas, interrogé lequel des trois il estimoit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates, ou soy mesme: 'Il nous fault veoir mourir,' dict il,' avant que d'en pouvoir résouldre.' De vray, on desroberoit beaucoup à celuy là, qui le poiseroit sans l'honneur et grandeur de sa fin.

Dieu l'a voulu comme il luy a pleu; mais en mon temps trois les plus exsécrables personnes que ie cogneusse en toute autre 10 abomination de vie, et les plus infâmes, ont eu des morts réglées, et, en toute circonstance, composées iusques à la perfection. Il est des morts braves et fortunées: ie luy ay veu trencher le fil d'un progrez de merveilleux advancement, et dans la fleur de son croist, à quelqu'un, d'une fin si pompeuse, qu'à mon advis ses ambitieux et courageux desseings n'avoient rien de si hault que feut leur interruption: il arriva, sans y aller, où il prétendoit, plus grandement et glorieusement que ne portoit son désir et espérance; et devança par sa cheute le pouvoir et le nom où il aspiroit par sa course. Au iugement de la vie d'aultruy ie regarde 20 tousiours comment s'en est porté le bout; et des principaulx estudes de la mienne, c'est qu'il se porte bien, c'est à dire quiètement et sourdement.

45. JEAN BODIN (1530-1596).
[S. H. p. 248.]

PARTY SPIRIT.

Nous avons discouru quel doibt estre le Souverain au fait de la justice et s'il se doibt porter juge, quand, et coment et en quelle sorte de République. Voyant maintenant hors les termes de justice, quand les sujets sont divisez en factions, et partialitez: et que les Juges et Magistrats sont aussi partisans, si le Prince souverain se doibt joindre à l'uns des parties: et si le sujet doibt estre constreint suyvre l'une ou l'autre. Premièrement nous 30

poserons cette maxime, que les factions et partialitez sont dangereuses et pernicieuses en toute sorte de République, et qu'il faut s'il est possible les prévenir, par bon conseil et si on n'y a pourveu auparavant qu'elles soyent formées, qu'on cherche les moyens de les guérir: ou pour le moins employer toustes remèdes convenables, pour adoulcir la maladie. Je ne veux pas dire que des séditions et partialitez, il n'advienne quelquesfois un grand bien, une bonne ordonnance, une belle réformation: qui n'eust pas été si la sédition ne fust advenue: mais ce n'est pas à dire que la sédition ne soit pernicieuse, ores qu'elle tire 10 après soy quelque bien par accident, et casuellement : comme au corps humain, la maladie qui survient, est cause qu'on use de saignées, et purgations, et qu'on tire les mauvaises humeurs: ainsi les séditions bien souvent sont cause, que les plus meschans et vitieux sont tuez, ou chassez et bannis, à fin que le surplus vive en repos: ou que les mauvaises loix et ordonnances soient cassées, et annullées, pour faire place aux bonnes: qui autrement n'eussent jamais esté receües. Et si on vouloit dire que par ce moyen les séditions, factions, et guerres civiles sont bonnes: on pourroit aussi dire que les meurtres, les parricides, les adultères, les sub- 20 versions des estats et empires sont bonnes: car il est bien certain que ce grand Dieu souverain fait reüssir à son honneur mesmes les plus grandes impiétez et meschancetez qui se facent, lesquelles ne se font point contre sa volonté come dit le sage Hebrieu. Aussi pourroit-on loüer les maladies, comme Favorin loüa grandement la fiébure quarte: qui seroit confondre la différence du bien et du mal, du profit et dommage, de l'honneur et deshonneur, du vice et de vertu: Brief ce seroit mesler le feu et l'eau, le Ciel et la Terre. Tout ainsi donc que les vices et maladies sont pernicieuses au corps et à l'âme: aussi les 30 séditions, et guerres civiles, sont dangereuses et pernicieuses aux estats et Républiques. Peut estre on dira qu'elles sont utiles aux Monarchies tyranniques pour maintenir les tyrans, qui sont toujours ennemis des sujets, et qui ne peuvent longuement durer, si les sujets sont d'accord: j'ay monstré cy dessus, que la Monarchie tyrannique est la plus foible de toutes, comme celle qui n'est entretenue, et nourrie que de cruautez, et meschancetez;

néantmoins on voit ordinairement qu'elle prend fin par séditions et guerres civiles: et si on prend garde à toutes les tyrannies qui ont esté renversées, il se trouvera que cela est advenu le plus souvent par factions, et guerres civiles. Et mesmes les plus ruzez tyrans, qui peu à peu font mourir les uns, et puis les autres, pour s'engraisser du sang des sujets, et sauver leur malheureuse vie, qu'ils tirent en peine, et en langueur : n'eschapent jamais des assassinemens des conjurez, qui se multiplient d'autant plus qu'ils font mourir de sujets qui par nécessité estant alliez, sont toujours prests à vanger la mort de leurs parens. Et de 10 s'enrichir des biens des sujets, s'est procurer sa ruine, et son mal: car il est impossible que la rate s'enfle, ou que les excroissances de chair vitieuses s'engraissent, que les autres membres ne seichent, et que bien tost le corps ne périsse du tout. Et par ainsi les Florentins s'abusoient, de penser que leur estat fust plus asseuré tandis qu'elles nourrissoient les partialitez entre les sujets de Pistoye: car ils perdoient autant de force, et de bons sujets, qui se ruinoient les uns par les autres.

46. GUILLAUME DU VAIR (1556–1621).
[S. H. p. 248.]

AGAINST THE SPANISH SUCCESSION.

De si loin que j'ai veu ce dernier orage des guerres civiles venir fondre sur la France, j'ay creu fermement, comme je le 20 crois encor, que c'estoit un jugement de Dieu qui tomboit sur nous, et n'ay point estimé qu'il en fallust cercher la cause ailleurs qu'en sa justice, ny le remède qu'en sa miséricorde. Aussi avons-nous veu que tout ce que la sagesse des hommes a voulu apporter pour y pourvoir, n'y a rien advancé ; que les remèdes nous ont quasi plus travaillé que la maladie, et que, pendant que chacun a pensé abonder en son sens, et s'est estimé ou plus sainct ou plus sage que son voisin, nous avons tous, sans exception, qui d'une façon, qui d'une autre, contribué nos passions à la ruine publique, ne nous restant autre excuse, 30 sinon que nous avons tous faict ce que personne ne vouloit

faire. Mais aussi ay-je jugé et présagé, que si tost que l'ire de Dieu commenceroit à s'appaiser, et que sa bonté, touchée de la compassion de nos misères, tendroit la main de sa clémence pour nous lever de ceste cheute, votre singulière prudence, jointe avec vostre légitime authorité, seroient les principaux outils avec lesquels Dieu opéreroit la conservation de la Religion et la restauration de l'Estat.

Cette journée vous en offre l'occasion si heureuse, qu'il semble qu'elle vous ait esté expressément reservée pour vous en déférer toute la gloire. Car les estrangers qui jusques aujour- 10 d'huy avoient par artificieux prétextes et secrètes menées tasché de renverser les fondemens de ce Royaume, afin d'en pouvoir recueillir les ruines, maintenant à descouvert et enseignes desployées publient leurs desseins, les advancent, les establissent. Et au contraire, tous ceux qui ont encores le cœur Français, indignez de se voir trompez, estonnez de se voir perdus, résolus de se sauver, jettent les yeux sur vous, vous appellent au secours des loix, attendent si votre prudence guidera leur courage, si votre authorité fortifiera leurs armes, ou si votre connivence et dissimulation les abandonnera à une honteuse 20 servitude, vous précipitera vous et vos enfans à une luctueuse misère, et, qui pis est, vous condamnera à une infamie éternelle. C'est le poinct, messieurs, où nous sommes aujourd'hui réduicts; c'est le précipice où nous nous trouvons portez, dont à mon advis il nous sera fort aisé de nous sauver et avec honneur nous mettre en seureté, si vous ne perdez point le cœur et que, pour en sortir, vous vueillez considérer, pendant que je le vous représente, le chemin par lequel, sans y penser, vous y avez esté conduicts.

47. PIERRE DE BRANTÔME (1540–1614).
[S. H. pp. 249-252.]

SOME DUELS.

Voicy un miracle de trois combats tout à coup que je vais 30 conter pour quasy incroyable. Je l'ay ouy conter, à Naples, à un seigneur plein de foy et vérité, d'un gentilhomme de la

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