de M. Greffet, intitulée La Chartreufe. Après avoir décrit, au commencement de la pièce, les charmes que la lecture de quelques Auteurs choifis lui fait trouver dans fa folitude, ce Poëte élégant continue de la forte:
C'eft ainfi que, par la préfence
De ces morts vainqueurs des destins, On fe confole de l'abfence, 2 De l'oubli même des Humains. A l'abri de leurs noirs orages, Sur la cime de mon rocher, Je vois à mes pieds les naufrages Qu'ils vont imprudemment chercher. Pourquoi dans leur foule importune Voudriez-vous me rétablir? Leur eftime, ni leur fortune Ne me caufent point un defir. Pourrois-je, en proie aux foins vulgaires, Dans la commune illufion 2 Offufquer mes propres lumières Du bandeau de l'opinion? Irois-je, adulateur fordide, Encenfer un fot dans l'éclat, Amufer un Créfus ftupide, Et monfeigneurifer un fat? Sur des efpérances frivoles, Adorer, avec lâcheté, Ces chimériques fariboles De grandeur & de dignité; Et, vil client de la fierté, A de méprifables idoles Proftituer la vérité?
Irois-je, par d'indignes brigues M'ouvrir des palais faftueux; Languir dans de folles fatigues; Remper, en replis tortueux, Dans de puériles intrigues, Sans ofer être vertueux ? De la fublime poëfie Profanant l'aimable harmonie, Irois-je, par de vains accens, Chatouiller l'oreille engourdie De cent ignares importans, Dont l'ame maffive, affoupie Dans des organes impuiffans, Ou livrée aux fougues des fens, Ignore les dons du génie, Et les plaifirs des fentimens ?
Des Mortels j'ai vu les chimeres Sur leurs fortunes menfongeres J'ai vu régner la folle erreur; J'ai vu mille peines cruelles Sous un vain mafque de bonheur; Mille petiteffes réelles
Sous une écorce de grandeur; Mille lâchetés infidelles
Sous un coloris de candeur;'
Et j'ai dit, au fond de mon coeur : Heureux qui, dans la paix fecrette D'une libre & sûre retraite, Vit ignoré, content de peu, Et qui ne fe voit point fans ceffe Jouet de l'aveugle déeffe, Ou dupe de l'aveugle dieu!
On voit que le goût de cette Epître eft entiérement dans le genre gracieux. Le style en eft fleuri, fans paroître beaucoup travaillé; l'expreffion en eft aifée, les vers coulans, les réflexions folides, mais fans être pouffées avec beaucoup de force & de véhémence. Cette espece d'Epître demande un efprit facile qui poffede toutes les délicateffes de la langue, qui penfe en philofophe profond, qui s'exprime en Ecrivain poli, & qui foit Poëte fans y penfer.
Ce n'eft pas que toutes les Epîtres en vers de huit fyllabes demandent cette finesse d'expreffion, & cette délicateffe de fentimens. On en écrit de bonnes d'un style moins noble, moins gracieux, plus familier, mais cependant toujours proportionné au perfonnage qu'on y joue, & au fujet qu'on y traite.
Comme ce genre d'Epître fait partie des piéces fugitives, toujours cenfées être l'ouvrage du moment, & comme échappées à la plume du Poëte, il faut qu'elles n'aient rien d'apprêté; que leur début foit fimple; qu'il n'ait rien d'étudié; que la louange y foit employée avec fineffe, & comme fans prétention. On ne doit point imiter M. Blin de Sainmore, qui commence une Epître, qu'il adreffe à M. de Voltaire, par des vers qu'on feroit tenté de prendre pour le début d'une ode:
O toi dont le brillant génie, Près de Corneille & de Milton, Tient le fceptre de l'harmonie, Et vole aux cieux avec Newton!
Folâtre & fage Anachorète Qui, fur le plus aimable ton, Fais revivre, dans ta retraite, Chaulieu, Démocrite & Platon; Ami des Rois, amant des Graces, &c
Ce n'eft pas ainfi que M. de Voltaire com- mence fes Epîtres; ce n'eft pas ainfi non plus qu'il loue les perfonnes à qui il les adreffe. Voici de quelle maniere il écrit à un grand prince:
Les Fileufes des destinées, Les Parques, ayant mille fois, Entendu les ames damnées Parler là-bas de vos exploits, De vos conquêtes, de vos loix, Et de tant de belles journées, Vous crurent le plus vieux des Rois, Alors, des rives du Cocyte, A Berlin vous rendant visite, Atropos vint avec le Tems, Croyant trouver des cheveux blancs Front ridé, face décrépite,
Et difcours de quatre-vingts ans. Que l'inhumaine fut trompée ! Elle apperçut de blonds cheveux, Un teint fleuri, de grands yeux bleus; Et votre flûte, & votre épée. Elle fongea, pour mon bonheur, Qu'Orphée autrefois, par fa lyre, Et qu'Alcide, par fa valeur, La braverent dans fon Empire.
Elle trembla quand elle vit Le Monarque qui réunit
Les dons d'Orphée & ceux d'Alcide a Doublement elle vous craignit ;
Et, jettant fon ciseau perfide, Chez fes fœurs elle s'en alla;
pour vous le Trio fila Une trame toute nouvelle, Brillante, dorée, immortelle, Et la même que pour Louis; Car vous êtes tous deux amis: Tous deux vous forcez des murailles, Tous deux vous gagnez des batailles Contre les mêmes ennemis;
Vous régnez fur des cœurs foumis, L'un à Berlin, l'autre à Versailles; Tous deux un jour.... Mais je finis. Il est trop aifé de déplaire
Quand on parle aux Rois trop long-tems? Comparer deux héros vivans
N'eft pas une petite affaire,
Les morceaux fuivans font tirés d'une Epître de M. Dorat à la Baronne de *** fur fon retour de Hollande à Paris. C'eft ainfi que le Poëte débute :
Enfin te voilà de retour
Dans ce pays de fous aimables Chez ces François recommandables Par le caprice & par l'amour ; Peuple charmant, qui déïfie Tout ce qui vient pour l'embellir;
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