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à ce Prince la prise de la Ville la plus riche et la plus forte qui fût alors dans l'univers..

Cyrus commença par remercier les Dieux de l'heureux fuccès qu'ils venoient de lui accorder; il affembla les principaux Officiers, dont il loua publiquement le courage, la fageffe, le zèle et l'attachment pour fa perfonne, et diftribua des récompenfes dans toute l'Armée. Il leur remontra enfuite que l'unique moyen de conferver ce qu'ils avoient acquis, étoit de perfévérer dans leur ancienne vertu: Que le fruit de la victoire n'étoit pas de s'abandonner aux délices et à l'oifiveteé: Qu'après avoir vaincu les ennemis par la force des armes, il feroit honteux de fe laiffer vaincre par les attraits de la volupté: Qu'enfin, pour conferver leur ancienne gloire, il falloit maintenir à Babylone parmi les Perfes la même discipline qui étoit obfervée dans leur pays, et pour cela donner leurs principaux foins à la bonne éducation des enfans. Par-là, dit-il, nous deviendrons nous-mêmes plus. vertueux de jour en jour, en nous efforçant de leur donner de bons exemples, et il fera bien difficile qu'ils fe corrompent, lorfque parmi nous ils ne verront et n'entendront rien qui ne les porte à la Vertu, et qu'ils feront continuellement dans une pratique d'exercices louables et honnêtes.

Cyrus confia à différentes perfonnes, felon les talens qu'il leur connoiffoit, différentes parties et différens foins du Gouvernement: mais il fe réferva à lui feul celui de former des Généraux, des Gouverneurs de Provinces, des Miniftres, des Ambaffadeurs, perfuadé que c'étoit proprement le devoir et l'occupation d'un Roi, et que de là dépendoit fa gloire, le fuccès de toutes les affaires, le repôs et le bonheur de l'Empire. Il établit un ordre merveilleux pour la guèrre, pour les finances, pour la police. Il avoit dans toutes les Provinces des perfonnes d'une probité reconnue, qui lui rendoient compte de tout ce qui s'y paffoit, on les appelloit les yeux et les oreilles du Prince. Il étoit attentif à honorer et à récompenfer tous ceux qui fe diftinguoient par leur mérite, et qui excelloient en quelque chofe que ce fût. Il préféroit infiniment la clémence au courage guerrier, parce que celui-ci entraîne fouvent la ruine et la défolation des Peuples, au lieu que l'autre èft toujours bienfaifante et.

fa

falutaire. Il favoit que les Loix peuvent beaucoup con. tribuer au réglement des mœurs: mais, felon lui, le Prince devoit être par fon exemple une Loi vivante; et il ne croyoit pas qu'il fût digne de commander aux autres, s'il n'avoit plus de lumière et plus de vertu que fes fujèts. La libéralité lui paroiffoit une vertu véritablement Royale; mais il fefoit encore plus de cas de la bonté, de l'affablité, de l'humanité, qualités propres à gagner les cœurs et à fe faire aimer des Peuples, ce qui èft proprement régner, outre que, d'aimer plus que les autres à donner quand on eft infiniment plus riche qu'eux, èst une chofe moins furprenante, que de defcendre en quelque forte du trône pour s'égalar à fes fujets. Mais ce qu'il préféroit à tout, étoit le culte des Dieux, et le refpect pour la Religion; perfuadé que quiconque étoit fincèrement religieux et craignant Dieu, étoit en même tems bon et fidèle ferviteur des Rois, et inviolablement attaché à leur perfonne et au bien de l'Etat.

Quand Cyrus crut avoir fuffifamment donné ordre aux affaires de Babylone, il fongea à faire un voyage en Perfe. Il paffa par la Médie pour y faluer Cyaxare, à qui il fit de grands préfens, et lui marqua qu'il trouveroit à Babylone un Palais magnifique tout préparé quand il voudroit y aller, et qu'il devoit regarder cette ville comme lui appartenant en propre. Cyaxare, qui n'avoit point d'enfant mâle, lui offrit fa fille en mariage, et la Médie pour dot. Il fut fort fenfible à une offre fi avantageufe, mais il ne crut pas devoir l'accepter avant que d'avoir eu le confentement de fon père et de fa mère; laiffant pour tous les fiècles un rare exemple de la refpectueufe foumiffion, et de l'entière dépendance que doivent montrer en pareille occafion à l'egard de père et de mère tous les enfans, quelque âge qu'ils puiffent avoir, et à quelque degré de puiffance et de grandeur qu'ils foient parvenus. Cyrus époufa donc cette Princeffe à fon retour de Perse; et la mena avec lui à Babylone, où il avoit établi le fiège de fon Empire.

Il y affembla fes troupes. On dit qu'il s'y trouva fix vingts mille cheveaux, deux mille chariots armés de faulx, et fix cens mille hommes de pié. 11 fe mit en campagne avec cette nombreufe Armée, et fubjugua toutes les Nations qui font depuis la Syrie jufqu'à la mer

des

des Indes: après quoi il tourna vers l'Egypte, et la rangea pareillement fous fa domination,

Il établit fa demeure au milieu de tous ces pays, paffant ordinairement fept mois à Babylone pendant l'Hyver, parce que le climat y èft chaud; trois mois à Sufe, pendant le Printems; &.deux mois à Ecbatane, durant les grandes chaleurs de l'Eté.

Plufieurs années s'étant ainfi écoulées, Cyrus vint en Perfe pour la feptième fois depuis l'établiffement de fa Monarchie. Cambyfe & Mandane étoient morts il y avoit déja longtems, & lui-même étoit fort vieux. Sentant approcher fa fin, il affembla fes enfans, & les Grands de l'Empire; & après avoir remercié les Dieux de toutes les faveurs qu'ils lui avoient accordées pendant fa vie, & leur avoir demandé une pareille protection pour fes enfans, pour fes amis, & pour fa patrie, il déclara Cambyfe fen fils ainé fon fucceffeur, & laiffa à l'autre plufieurs Gouvernemens fort canfidérables. Il leur donna à l'un & à l'autre d'excellens avis, en leur fefant entendre que le plus ferme appui des trônes étoit le refpèct pour les Dieux, la bonne intelligence entre les frères, & le foin de fe faire & de fe conferver de fidèles amis. Il mourut, également regretté de tous les Peuples.

SECONDE GUERRE PUNIQUE.

Commencement de la guerre, et heureux fuccès d'Annibal.

Le commencement de la feconde guerre Punique, à ne la confidérer qu'à la date des tems, fut la prife de Sagonte par Annibal, & l'irruption qu'il fit fur les terres des Peuples fitués au-delà de l'Ebre. & Alliés du Peuple Romain: mais la véritable caufe de cette guerre fut le dépit des Carthaginois de s'être vû enlever la Sicile et la Sardaigne par des Traités auxquels la feule néceffité des tems et le mauvais état de leurs affaires les avoient fait confentir. La mort prématurée d'Amilcar l'empêcha d'exécuter le deffein qu'il avoit formé depuis longtems de fe venger de ces injures. Son fils Annibal, à qui, lorfqu'il n'avoit encore que neuf ans, il avoit fait jurer C

fu

fur les Autels qu'il fe déclareroit ennemi du Peuple Romain dés qu'il feroit en âge de le faire, entra dans toutes fes vues, & fut l'héritier de fa haine contre les Romains,

auffi bien que de fon courage. Il prépara tout de loin pour ce grand deffein : & quand il fe crut en état de l'exécuter, il le fit éclore par le fiège de Sagonte. Soit pareffe & lenteur, foit prudence & fageffe, les Romains confumèrent le tems en différentes Ambassades, & laiffèrent à Annibal celui de prendre la Ville.

Pour lui, il fut bien mettre le tems à profit. Après avoir donné ordre à tout, & laiffé fon frère Afdrubal en Efpagne pour défendre le pays, il partit pour l'Italie avec une Armée de quatre-vingts dix mille hommes de pić, & dix ou douze mille de cavalerie. Les plus grands obftacles ne furent point capables de l'effrayer, ni de l'arrêter. Les Pyrénées, le Rhône, une longue marche au travers des Gaules, le paffage des Alpes rempli de tant de difficultés, tout céda à fon ardeur & à fa conftance infatigable. Vainqueur des Alpes, & en quelque forte de la nature même, il entra donc en Italie, qu'il avoit réfolu de rendre le théatre de la guerre. Ses troupes étoient extrêmement diminuées pour le nombre, ne montant plus qu'à vingt mille hommes de pié, & fix mille chevaux; mais elles etoient pleines de courage & de confiance.

Une rapidité fi inconcevable étonna & déconcerta les Romains. Ils avoient compté de faire la guerre au-dehors, & qu'un de leurs Confuls tiendroit tête à Annibal. en Efpagne, pendant que l'autre iroit droit en Afrique pour attaquer Carthage. Il falut changer de mefures, & fonger à défendre leur propre pays. Publius Scipion Conful, qui croyoit Annibal encore dans les Pyrénées, lorfqu'il avoit déja paffé le Rhone, n'aiant pu l'atteindre, fut obligé de revenir fur fes pas pour l'attendre, & l'attaquer à la defcente des Alpes; & cependant il envoya fon frère Cneius Scipion en Espagne contre Afdrubal.

La première bataille fe donna près de la petite rivière du Téfin. Il èft beau de lire les Harangues des deux Chefs à leurs Armées, que Tite-Live a copiées d'après Polybe, mais en Maître habile, c'èft-à-dire en y ajoutant des traits qui égalent la copie à l'original. Les Carthaginois remportèrent la victoire. Le Conful Ro

mains fut bleffé dans le combat ; & fon fils, âgé pour lors à peine de 17 ans, lui fauva la vie. C'èft le même qui vaincquit dans la fuite Annibal, & qui fut furnommé l'Afraicain.

Sur la primière nouvelle de cette défaite, Sempronius l'autre Conful, qui étoit en Sicile, accourut promtement par l'ordre du Sénat au fecours de fon collègue, qui n'étoit pas encore bien remis de fa bleffure. Ce fut pour lui une raifon de hâter le combat contre le fentiment de

Scipion, parce qu'il efpéroit en avoir feul toute la gloire. Annibal, bien informé de tout ce qui fe paffoit dans le camp des Romains, & aiant exprès laiflé emporter un léger avantage à Sempronius pour amorcer fa témérité, lui donna lieu d'engager la bataille près de la rivière de Trébie. Il avoit placé fon frere Magon en ambuscade dans un lieu fort favorable, & avoit fait prendre à fon Armée toutes les précautions néceffaires contre la faim & contre le froid, qui étoit alors extrême. On n'avoit fongé à rien de tout cela chez les Romains. Leurs troupes furent donc bientôt renverfées, & mifes en fuite; & Magon étant forti de fon ambuscade en fit un grand carnage.

Annibal, pour profiter du tems & de fes premières victoires, alloit toujours en avant, & s'approchoit de plus en plus du centre de l'Italie. Pour arriver plus promtement près de l'ennemi, il lui falut paffer un marais, où fon armée effuya des fatigues incroyables, & où lui-même perdit un œil. Flaminius, l'un des deux Confuls qu'on avoit nommés depuis peu, étoit parti de Rome fans prendre les aufpices ordinaires. C'étoit un homme vain, téméraire, entreprenant, plein de lui même, & dont la fierté naturelle s'étoit beaucoup accrue par les heureux fuccès de fon premier confulat, & par la faveur déclarée du peuple. On jugeoit aifément que ne confultant ni les hommes ni les Dieux, il fe laifferoit aller à fon génie impétueux & bouillant; & Annibal, pour feconder encore fon penchant, ne manqua pas de piquer & d'irriter fa témérité par les dégats & les ravages qu'il fit faire à fa vue dans toutes les campagnes. II n'en falut pas davantage pour déterminer le Conful au combat, malgré les remontrances de tous les officiers, qui le prioient d'attendre fon collègue. Le fuccès fut tel qu'ils avoient

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prévu.

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