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LES PLAISIRS

DE

L'ILE ENCHANTÉE

FÈTES GALANTES ET MAGNIFIQUES, FAITES PAR LE ROI A VERSAILLES LE 76 ΜΑΙ 1664

NOTICE.

Les Plaisirs de l'Ile enchantée, parmi lesquels figure, ce qui surtout ici nous intéresse, la pièce de Molière intitulée la Princesse d'Élide, sont restés une des fêtes les plus célèbres de Versailles. Cette suite de divertissements, appelée ainsi du nom donné aux premiers et principaux, que reliait l'un à l'autre la fiction d'une sorte de grande féerie en trois journées, dura du 7 mai 1664 au 13 inclusivement. Une autre œuvre en perpétuera le souvenir, plus encore que la Princesse d'Élide : l'histoire littéraire ne laissera jamais oublier que, le 12 mai, avantdernier jour de cette semaine, Molière fit représenter, pour la première fois, devant ces invités de Louis XIV, trois actes du Tartuffe1.

Nous avons de toute la fête de l'Ile enchantée plusieurs relations d'abord la relation officielle dans la Gazette 2, puis

1. Outre le chef-d'œuvre inachevé, et la pièce nouvelle, la Princesse d'Élide, ébauchée tout exprès avec ses intermèdes destinés aux compositions de Lully, Molière fit encore jouer aux fêtes de Versailles les Fácheux et le Mariage forcé; dès le premier jour, il eut à figurer en dieu Pan au haut d'une machine roulante et à réciter un compliment à la Reine: voyez ci-après, p. 122-124, p. 229, p. 231, et p. 232. Grâce à une récente publication de M. Émile Campardon, nous savons quelle a été la rémunération du concours presque journalier qui fut réclamé du poëte, du comédien et du chef de troupe. Indépendamment de la somme de 4000 livres donnée à Molière et à sa troupe conjointement, pour représentations et séjour (gratification déjà connue par le Registre de la Grange), une allocation particulière de 2000 livres fut accordée à l'auteur de la Princesse d'Élide: voyez les Nouvelles pièces sur Molière, publiées par M. Émile Campardon (1876), p. 41.

2. Numéro 60, daté du 21 mai 1664 et intitulé: Les Particularités des divertissements pris à Versailles par Leurs Majestés.

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celle qui, depuis les premières éditions de la Princesse d'Élide, et, à leur exemple, dans la nôtre, sert de cadre aux cinq actes de cette comédie, et à laquelle Molière a pu avoir quelque part, notamment pour le passage relatif à la représentation des trois premiers actes du Tartuffe1; puis encore le spirituel récit de Marigny, que nous publions en appendice 2. Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, n'a pas dédaigné de consacrer à ces brillantes journées plusieurs pages3. Enfin, récemment, M. Édouard Thierry a repris le même sujet dans un opuscule intitulé la Troupe de Molière et les Plaisirs de l'Ile enchantée; et ce titre indique que l'auteur s'est plus occupé de la comédie de Molière que des autres divertissements auxquels elle était mêlée. Ces diverses relations suffisent, pour satisfaire

1. Voyez ci-après, p. 231 et 232, et comparez la citation de la Gazette faite à la note a de la seconde de ces pages. Nous croyons savoir que Victor Cousin a exprimé sur l'endroit de la Relation qui se rapporte au Tartuffe un avis analogue au nôtre. Ce passage, dont on sent que tous les termes ont été pesés avec le plus grand soin, répondait sans doute à un ordre donné de haut et dut être soumis à une censure officielle; mais il est bien probable aussi que la rédaction en fut concertée avec Molière; il semble au moins que, forcé de constater et de justifier la mesure dont le Tartuffe était l'objet, le poëte luimême, ou un ami dévoué, inspiré par lui, n'aurait pu s'y mieux prendre pour atténuer les reproches faits à la pièce et faire connaitre l'approbation personnelle du Roi. On verra par la Relation même que les vers qu'on y a insérés ne peuvent être attribués à Molière, qu'ils ont pour auteurs Benserade et le président de Périgny.

2. Voyez ci-après, p. 251 et suivantes. On trouvera de plus, avant la Relation de Marigny (p. 234-250), une partie du programme publié par Ballard, en 1664, et qui pourrait bien être le livret même, le livre, comme l'on disait alors, distribué aux invités du Roi. Ce programme a fait seul connaître (les bibliographes ont négligé de le dire) les rôles dont Molière et Mlle Molière se chargèrent dans les pompeuses mascarades de la première journée des Plaisirs de l'Ile enchantée. Bussy assista à la fête, dont son ami le duc de SaintAignan était l'ordonnateur. « Je la vis et je l'admirai, » se contentet-il d'écrire dans ses Mémoires (tome II, p. 151). Il n'était pourtant pas homme à tout louer, les tirades du président de Périgny, par exemple, et l'on peut regretter qu'il se soit borné à ce peu de mots. 3. Voyez au chapitre xxv, tome XX, p. 146-150.

4. Cette intéressante brochure n'a pas été mise en vente.

la curiosité des amateurs des fêtes galantes; nous n'avons à parler ici que de la Princesse d'Élide.

L'intention secrète de ces fêtes s'adressait, dit-on, à Mlle de la Vallière, depuis quatre mois relevée de ses premières couches; mais, en apparence au moins, elles étaient destinées à la Reine mère et à la jeune Reine, Anne d'Autriche et MarieThérèse, toutes deux Espagnoles. Ce fut peut-être cette considération, de la patrie des deux reines, qui détermina Molière à choisir son sujet dans une des meilleures comédies du théâtre espagnol, el Desden con el desden, « Dédain contre dédain, » d'Augustin Moreto1. Molière n'a fait que transporter dans l'antiquité et en Élide le sujet que Moreto a placé à Barcelone. Du reste, la donnée est toute semblable: Carlos cherche à vaincre l'insensibilité de Diana en affectant une insensibilité absolue à l'égard de l'amour : le succès de la ruse est le même dans Moreto et dans Molière. Seulement, chez l'auteur espagnol, l'intrigue est plus compliquée, les développements sont plus abondants, les caractères plus marqués. Pressé par le temps, Molière abrége et simplifie. Il n'a pu mettre en vers que le premier acte, une partie de la première scène du second; le reste de la comédie est en prose, et encore la plupart des scènes, visiblement écourtées, portent-elles la trace de la précipitation avec laquelle cette pièce a été écrite. Ce qui prouve combien, plus tard aussi, le temps a toujours manqué à cette existence si laborieuse et si active, c'est que la Princesse d'Élide, jouée plusieurs fois à la cour, à des époques diverses, du vivant même de Molière, est toujours restée dans ce singulier état, sans que l'auteur ait jamais eu le loisir nécessaire pour lui donner au moins l'apparence de l'achèvement*.

1. Mort prêtre à Tolède, cinq ans plus tard, en octobre 1669. On cite d'el Desden con el desden une édition de 1654. Cette remarquable pièce est du nombre des quatre Chefs-d'œuvre du théâtre espagnol que M. Charles Habeneck a traduits pour la première fois (Hetzel, 1862). En Allemagne, accommodée avec succès à la scène, vers la fin de 1816, par Schreyvogel (qui prenait le pseudonyme de West), la comédie de Moreto est restée au répertoire sous le titre de Doña Diana.

2. Nous parlerons ci-après, p. 102-104, de diverses traductions, tentées par d'autres, de la prose en vers.

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