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GERONIMO.

Assurément. Vous ne sauriez mieux faire.

SGANARELLE.

Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable ami.

GERONIMO.

Hé! quelle est la personne, s'il vous plaît, avec qui vous vous allez marier1?

Dorimène.

SGANARELLE.

GERONIMO.

Cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée?

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Et sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter

l'épée ?

C'est cela.

SGANARELLE.

GERONIMO.

Vertu de ma vie!

SGANARELLE.

Qu'en dites-vous?

GERONIMO.

Bon parti! Mariez-vous promptement.

SGANARELLE.

N'ai-je pas raison d'avoir fait ce choix?

1. Avec qui vous allez vous marier? (1734.)

GERONIMO.

Sans doute. Ah! que vous serez bien marié! Dépêchez-vous de l'être.

SGANARELLE.

Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil, et je vous invite1 ce soir à

mes noces.

GERONIMO.

Je n'y manquerai pas, et je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer2.

Serviteur.

SGANARELle.

GERONIMO.

La jeune Dorimène, fille du Seigneur Alcantor, avec le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans : ò le beau mariage! ô le beau mariage *!

SGANARELLE.

Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des hommes.

1. Et vous invite. (Ms. Philidor.)

2. Comme le Mariage forcé était originairement une comédie-ballet, ce mot de Géronimo était jeté en avant pour annoncer une dernière scène, dans laquelle, en effet, il venait à la tête d'une mascarade formée des jeunes gens de la ville, pour honorer les noces de Sganarelle (voyez ci-après, p. 83 et 84). Le mot a pu rester, malgré la suppression du ballet, comme une ironie assez maligne de la part de Géronimo. (Note d'Auger.)

3. GERONIMO, à part. (1734.)

4. Ce qu'il répète plusieurs fois en s'en allant. (1682, ms. Philidor et 1734.)- L'édition de 1734 fait de ce qui suit la scène II, avec SGANARELLE, seul, pour personnage; puis de notre scène II, la scène iv.

SCÈNE II'.

DORIMÈNE, SGANARELLE.

DORIMÈNE2.

Allons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue3, et qu'on ne s'amuse pas à badiner.

SGANARELLE.

Voici ma maîtresse qui vient. Ah! qu'elle est agréable! Quel air! et quelle taille! Peut-il y avoir un homme qui n'ait en la voyant des démangeaisons de se marier? Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur?

DORIMÈNE.

Je vais faire quelques emplettes.

SGANARELLE.

Hé bien, ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en droit

1. SCÈNE DEUXIÈME. (Ms. Philidor.)

2. DORIMÈNE, dans le fond du théâtre, à un petit laquais qui la suit. (1734.)

3. On ne portait la queue qu'aux femmes de qualité : « Queue signifie encore cette partie superflue des habits longs qui traîne à terre, qui est une marque de qualité.... Cette femme est de qualité, on lui porte la queue. » (Dictionnaire de Furetière, 1690.) C'est donc une prétention assez déplacée de la part de Dorimène, dont la noblesse semble être fort douteuse, à en juger par ce que Géronimo a dit d'elle dans la scène 1: « sœur d'un certain Alcidas qui se mêle de porter l'épée. » Ces mots qui se mêle indiquent suffisamment qu'il n'en a pas le droit. Or, si le frère n'a pas le droit de porter l'épée, la sœur ne l'a pas davantage de se faire porter la queue, et il semble que ce mot de Géronimo sur tout ce qu'il y a d'équivoque dans cette famille avait beaucoup plus pour objet de nous disposer à bien sentir ici la vanité de Dorimène dès son entrée en scène, que de préparer, comme le dit Auger, « la scène où Alcidas viendra proposer à Sganarelle de se couper la gorge avec lui. »

4. SGANARELLE, à part, apercevant Dorimène. (1734.)

5. Ces mots sont précédés de l'indication : à Dorimène, dans l'édition de 1734.

de me rien refuser; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout : de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de vos petits tetons rondelets, de votre...; enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne?

DORIMÈNE.

Tout à fait aise, je vous jure; car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fàcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariàt, pour sortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous3. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et les promenades, en un mot, toutes les choses de plaisir, et

1. Tout ce qui me plaira. (Ms. Philidor.)

2. Jusqu'ici. (Ibidem.)

3. Nous avons déjà vu ce mot dans le sens de « vivant isolé, insociable, » à la fin de l'École des maris (tome II, p. 435).

4. Voyez, pour ce mot, au sens de repas, les Précieuses ridicules, scène xi (tome II, p. 104, note 5).

vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble, et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous? je vous vois tout changé de visage.

SGANARELLE.

Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.

DORIMÈNE.

C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que je n'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous envoyrai1 les marchands.

1. Telle est l'orthographe de l'édition originale; les suivantes, y compris celle de 1773, et le manuscrit Philidor, écrivent envoyerai ou envoierai, sauf les éditions étrangères de 1675 A, 1684 A, 1694 B, et l'édition de 1730, qui ont enverrai.

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