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Mais si le bonze exige de lui qu'il croie une chose contradictoire, impossible, que deux et deux font cinq, que le même corps peut être en mille endroits différents, qu'être et n'être pas c'est précisément la même chose; alors, si l'Indien dit qu'il a la foi, il à menti; et s'il jure qu'il croit, il fait un parjure. Il dit donc au bonze : « Mon révérend père, je ne peux vous assurer que je crois ces absurditéslà, quand elles vous vaudraient dix mille roupies de rente au lieu de cinq cents.

Mon fils, répond le bonze, donnez vingt roupies, et Dieu vous fera la grâce de croire tout ce que vous ne croyez point.

-Comment voulez-vous, répond l'Indien, que Dieu opère sur moi ce qu'il ne peut opérer sur lui-même? Il est impossible que Dieu fasse ou croie les contradictoires. Je veux bien vous dire, pour vous faire plaisir, que je crois ce qui est obscur; mais je ne peux vous dire que je crois l'impossible. Dieu veut que nous soyons vertueux, et non pas que nous soyons absurdes. Je vous ai donné dix roupies, en voilà encore vingt; croyez à trente roupies, soyez homme de bien si vous pouvez, et ne me rompez plus la tête. »

Il n'en est pas ainsi des chrétiens; la foi qu'ils ont pour des choses qu'ils n'entendent pas est fondée sur ce qu'ils entendent; ils ont des motifs de crédibilité. Jésus-Christ a fait des miracles dans la Galilée; donc nous devons croire tout ce qu'il a dit. Pour savoir ce qu'il a dit, il faut consulter l'Eglise. L'Eglise a prononcé que les livres qui nous annoncent Jésus-Christ sont authentiques; il faut donc croire ces livres. Ces livres nous disent que qui n'écoute pas l'Église doit être regardé comme un publicain ou comme un païen; donc nous devons écouter l'Église pour n'être pas honnis comme des fermiers généraux; donc nous devons lui soumettre notre raison, non par crédulité enfantine ou aveugle, mais par une croyance docile que la raison même autorise. Telle est la foi chrétienne, et surtout la foi romaine, qui est la foi par excellence. La foi luthérienne, calviniste, anglicane, est une méchante foi.

Section II. La foi divine, sur laquelle on a tant écrit, n'est évidemment qu'une incrédulité soumise; car il n'y a certainement en nous que la faculté de l'entendement qui puisse croire, et les objets de la foi ne sont point les objets de l'entendement. On ne peut croire que ce qui paraît vrai; rien ne peut paraître vrai que par l'une de ces trois manières, ou par l'intuition, le sentiment, j'existe, je vois le soleil; ou par des probabilités accumulées qui tiennent lieu de certitude, il y a une ville nommée Constantinople; ou par voie de démonstration, les triangles ayant même base et même hauteur sont égaux.

La foi n'étant rien de tout cela ne peut donc pas plus être une croyance, une persuasion, qu'elle ne peut être jaune ou rouge. Elle ne peut donc être qu'un anéantissement de la raison, un silence d'adoration devant des choses incompréhensibles. Ainsi, en parlant philosophiquement, personne ne croit la, Trinité, personne ne croit que le même

corps puisse être en mille endroits à la fois; et celui qui dit : « Je crois ces mystères,» s'il réfléchit sur sa pensée, verra, à n'en pouvoir douter, que ces mots veulent dire: Je respecte ces mystères; je me soumets à ceux qui me les annoncent; car ils conviennent avec moi que ma raison ni la leur ne les croient pas; or, il est clair que quand ma raison n'est pas persuadée, je ne le suis pas ma raison et moi ne peuvent être deux êtres différents. Il est absolument contradictoire que le moi trouve vrai ce que l'entendement de moi trouve faux. La foi n'est donc qu'une incrédulité soumise.

Mais pourquoi cette soumission dans la révolte invincible de mon entendement? on le sait assez; c'est parce qu'on a persuadé à mon entendement que les mystères de ma foi sont proposés par Dieu même. Alors tout ce que je puis faire, en qualité d'être raisonnable, c'est de me taire et d'adorer. C'est ce que les théologiens appellent foi externe, et cette foi externe n'est et ne peut être que le respect pour des choses incompréhensibles, en vertu de la confiance qu'on a dans ceux qui les enseignent.

Si Dieu lui-même me disait : « La pensée est couleur d'olive, un nombre carré est amer; » je n'entendrais certainement rien du tout à ces paroles; je ne pourrais les adopter, ni comme vraies, ni comme fausses. Mais je les répéterai s'il me l'ordonne, je les ferai répéter au péril de ma vie. Voilà la foi; ce n'est que l'obéissance.

Pour fonder cette obéissance, il ne s'agit donc que d'examiner les livres qui la demandent; notre entendement doit donc examiner les livres de l'ancien et du nouveau Testament comme il discute Plutarque et Tite Live; et s'il voit dans ces livres des preuves incontestables, des preuves au-dessus de toute objection, sensibles à toutes sortes d'esprits, et reçues de toute la terre, que Dieu lui-même est l'auteur de ces ouvrages, alors il doit captiver son entendement sous le joug de la foi.

Section III. Nous avons longtemps balancé si nous imprimerions cet article Foi, que nous avions trouvé dans un vieux livre. Notre respect pour la chaire de saint Pierre nous retenait. Mais des hommes pieux nous ayant convaincus que le pape Alexandre VI n'avait rien de commun avec saint Pierre, nous nous sommes enfin déterminés à remettre en lumière ce petit morceau, sans scrupule.

Un jour le prince Pic de La Mirandole rencontra le pape Alexandre VI chez la courtisane Emilia, pendant que Lucrèce, fille du saint-père, était en couche, et qu'on ne savait pas dans Rome si l'enfant était du pape ou de son fils le duc de Valentinois, ou du mari de Lucrèce, Alphonse d'Aragon, qui passait pour impuissant. La conversation fut d'abord fort enjouée. Le cardinal Bembo en rapporte une partie. « Petit Pic, dit le pape, qui crois-tu le père de mon petit-fils? Je crois que c'est votre gendre, répondit Pic.- Eh! comment peux-tu croire cette sottise? Je la crois par la foi.- Mais ne sais-tu pas bien qu'un impuissant ne fait pas d'enfants? - La foi consiste, repartit Pic, à croire les choses parce qu'elles sont impossibles; et de plus, l'honneur de

votre maison exige que le fils de Lucrèce ne passe point pour être le fruit d'un inceste. Vous me faites croire des mystères plus incompréhensibles. Ne faut-il pas que je sois convaincu qu'un serpent a parlé, que depuis ce temps tous les hommes furent damnés, que l'ânesse de Balaam parla aussi fort éloquemment, et que les murs de Jéricho tombèrent au son des trompettes? » Pic enfila tout de suite une kyrielle de toutes les choses admirables qu'il croyait. Alexandre tomba sur son sofa à force de rire. « Je crois tout cela comme vous, disait-il, car je sens bien que je ne peux être sauvé que par ma foi, et que je ne le serai point par mes œuvres.-Ah! saint-père, dit Pic, vous n'avez besoin ni d'œuvres ni de foi; cela est bon pour les pauvres profanes comme nous; mais vous qui êtes vice-Dieu, vous pouvez croire et faire tout ce qui vous plaira. Vous avez les clefs du ciel; et, sans doute, saint Pierre ne vous fermera pas la porte au nez. Mais, pour moi, je vous avoue que j'aurais besoin d'une puissante protection, si, n'étant qu'un pauvre prince, j'avais couché avec ma fille, et si je m'étais servi du stylet et de la cantarella aussi souvent que Votre Sainteté. » Alexandre VI entendait raillerie. «< Parlons sérieusement, dit-il au prince de La Mirandole. Dites-moi quel mérite on peut avoir à dire à Dieu qu'on est persuadé de choses dont en effet on ne peut être persuadé? Quel plaisir cela peut-il faire à Dieu? Entre nous, dire qu'on croit ce qu'il est impossible de croire, c'est mentir. »

Pic de La Mirandole fit un grand signe de croix. «Eh! Dieu paternel, s'écria-t-il, que Votre Sainteté me pardonne, vous n'êtes pas chrétien. -Non, sur ma foi, dit le pape. Je m'en doutais, » dit Pic de La Mirandole.

FOIBLE, voy. FAIBLE.

FOLIE. Qu'est-ce que la folie? c'est d'avoir des pensées incohé rentes et la conduite de même. Le plus sage des hommes veut-il connaître la folie, qu'il réfléchisse sur la marche de ses idées pendant ses rêves. S'il a une digestion laborieuse dans la nuit, mille idées incohérentes l'agitent; il semble que la nature nous punisse d'avoir pris trop d'aliments, ou d'en avoir fait un mauvais choix, en nous donnant des pensées; car on ne pense guère en dormant que dans une mauvaise digestion. Les rêves inquiets sont réellement une folie passagère.

La folie pendant la veille est de même une maladie qui empêche un homme nécessairement de penser et d'agir comme les autres. Ne pouvant gérer son bien, on l'interdit; ne pouvant avoir des idées convenables à la société, on l'en exclut; s'il est dangereux, on l'enferme; s'il est furieux, on le lie. Quelquefois on le guérit par les bains, par la saignée, par le régime.

Cet homme n'est point privé d'idées; il en a comme tous les autres hommes pendant la veille, et souvent quand il dort. On peut demander comment son âme spirituelle, immortelle, logée dans son cerveau, recevant toutes les idées par les sens très-nettes et très-distinctes, n'en porte cependant jamais un jugement sain. Elle voit les objets comme l'âme d'Aristote et de Platon, de Locke et de Newton, les voyait; elle

entend les mêmes sons, elle a le même sens du toucher; comment donc, recevant les perceptions que les plus sages éprouvent, en faitelle un assemblage extravagant sans pouvoir s'en dispenser?

Si cette substance simple et éternelle a pour ses actions les mêmes instruments qu'ont les âmes des cerveaux les plus sages, elle doit raisonner comme eux. Qui peut l'en empêcher? Je conçois bien à toute force que si mon fou voit du rouge, et les sages du bleu; si, quand les sages entendent de la musique, mon fou entend le braiment d'un âne; si, quand ils sont au sermon, mon fou croit être à la comédie; si, quand ils entendent oui, il entend non; alors son âme doit penser au rebours des autres. Mais mon fou a les mêmes perceptions qu'eux; il n'y a nulle raison apparente pour laquelle son âme, ayant reçu par ses sens tous ses outils, ne peut en faire d'usage. Elle est pure, dit-on; elle n'est sujette par elle-même à aucune infirmité; la voilà pourvue de tous les secours nécessaires : quelque chose qui se passe dans son corps, rien ne peut changer son essence; cependant on la mène dans son étui aux Petites-Maisons.

Cette réflexion peut faire soupçonner que la faculté de penser, donnée de Dieu à l'homme, est sujette au dérangement comme les autres sens. Un fou est un malade dont le cerveau pâtit, comme le goutteux est un malade qui souffre aux pieds et aux mains; il pensait par le cerveau, comme il marchait avec les pieds, sans rien connaître ni de son pouvoir incompréhensible de marcher, ni de son pouvoir non moins incompréhensible de penser. On a la goutte au cerveau comme aux pieds. Enfin, après mille raisonnements, il n'y a peut-être que la foi seule qui puisse nous convaincre qu'une substance simple et immatérielle puisse être malade.

Les doctes ou les docteurs diront au fou: « Mon ami, quoique tu aies perdu le sens commun, ton âme est aussi spirituelle, aussi pure, aussi immortelle que la nôtre; mais notre âme est bien logée, et la tienne l'est mal; les fenêtres de la maison sont bouchées pour elle : l'air lui manque, elle étouffe. » Le fou, dans ses bons moments, leur répondrait Mes amis, vous supposez à votre ordinaire ce qui est en question. Mes fenêtres sont aussi bien ouvertes que les vôtres, puisque je vois les mêmes objets, et que j'entends les mêmes paroles : il faut donc nécessairement que mon âme fasse un mauvais usage de ses sens, ou que mon âme ne soit elle-même qu'un sens vicié, une qualité dépravée. En un mot, ou mon âme est folle par elle-même, ou je n'ai point d'âme. »

Un des docteurs pourra répondre : « Mon confrère, Dieu a créé peut-être des âmes folles, comme il a créé des âmes sages. » Le fou répliquera : « Si je croyais cela, je serais encore plus fou que je ne le suis. De grâce, vous qui en savez tant, dites-moi pourquoi je suis fou.» Si les docteurs ont encore un peu de sens, ils lui répondront : « Je n'en sais rien. » Ils ne comprendront pas pourquoi une cervelle a des idées incohérentes; ils ne comprendront pas mieux pourquoi une autre cervelle a des idées régulières et suivies. Ils se croiront sages, et ils seront aussi fous que lui.

Si le fou a un bon moment, il leur dira : « Pauvres mortels, qui ne pouvez ni connaître la cause de mon mal, ni le guérir, tremblez de devenir entièrement semblables à moi, et même de me surpasser. Vous n'êtes pas de meilleure maison que le roi de France Charles VI, le roi d'Angleterre Henri VI, et l'empereur Venceslas, qui perdirent la faculté de raisonner dans le même siècle. Vous n'avez pas plus d'esprit que Blaise Pascal, Jacques Abbadie, et Jonathan Swift, qui sont tous trois morts fous. Du moins le dernier fonda pour nous un hôpital : voulez-vous que j'aille vous y retenir une place?

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N. B. Je suis fâché pour Hippocrate qu'il ait prescrit le sang d'ânon pour la folie, et encore plus fâché que le Manuel des dames 1 dise qu'on guérit la folie en prenant la gale. Voilà de plaisantes recettes; elles paraissent inventées par les malades.

FONTE. Il n'y a point d'ancienne fable, de vieille absurdité, que quelque imbécile ne renouvelle, et même avec une hauteur de maître, pour peu que ces rêveries antiques aient été autorisées par quelque auteur ou classique ou théologien.

Lycophron (autant qu'il m'en souvient) rapporte qu'une horde de voleurs, qui avait été justement condamnée en Ethiopie par le roi Actisanès à perdre le nez et les oreilles, s'enfuit jusqu'aux cataractes du Nil, et de là pénétra jusqu'au Désert de sable, dans lequel elle bâtit enfin le temple de Jupiter-Ammon.

Lycophron, et après lui Théopompe, raconte que ces brigands, réduits à la plus extrême misère, n'ayant ni, sandales, ni habits, ni meubles, ni pain, s'avisèrent d'élever une statue d'or à un dieu d'Égypte. Cette statue fut commandée le soir et faite pendant la nuit. Un membre de l'université, qui est fort attaché à Lycophron et aux voleurs éthiopiens, prétend que rien n'était plus ordinaire dans la vénérable antiquité que de jeter en fonte une statue d'or en une nuit, de la réduire ensuite en poudre impalpable en la jetant dans le feu, et de la faire avaler à tout un peuple.

<< Mais où ces pauvres gens, qui n'avaient point de chausses, avaient-ils trouvé tant d'or? - Comment, monsieur ! dit le savant, oubliez-vous qu'ils avaient volé de quoi acheter toute l'Afrique, et que les pendants d'oreilles de leurs filles valaient seuls neuf millions cinq cent mille livres au cours de ce jour ?

D'accord; mais il faut un peu de préparation pour fondre une statue; M. Lemoine a employé plus de deux ans à faire celle de Louis XV.

-

Oh! notre Jupiter-Ammon était haut de trois pieds tout au plus. Allez-vous-en chez un potier d'étain, ne vous fera-t-il pas six assiettes en un seul jour?

Monsieur, une statue de Jupiter est plus difficile à faire que des assiettes d'étain, et je doute même beaucoup que vos voleurs eussent de quoi fondre aussi vite des assiettes, quelque habiles larrons qu'ils

1. Manuel des dames de charité, par Arnault de Nobleville, 1747. (ÉD.)

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