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9° S'il y a de mauvaises récoltes, des dommages, des pertes, le seigneur est en état de les réparer. Le fermier et le métayer ne peuvent même les supporter. Il est donc essentiel à l'État que les possesseurs habitent souvent leurs domaines.

10° Les évêques qui résident font du bien aux villes. Si les abbés commendataires résidaient, ils feraient du bien aux campagnes; leur absence est préjudiciable.

11 Il est d'autant plus nécessaire de songer aux richesses de la terre, que les autres peuvent aisément nous échapper; la balance du commerce peut ne nous être plus favorable; nos espèces peuvent passer chez l'étranger, les biens fictifs peuvent se perdre, la terre reste.

12° Nos nouveaux besoins nous imposent la nécessité d'avoir de nouvelles ressources. Les Français et les autres peuples n'avaient point imaginé, du temps de Henri IV, d'infecter leurs nez d'une poudre noire et puante, et de porter dans leurs poches des linges remplis d'ordure, qui auraient inspiré autrefois l'horreur et le dégoût. Cet article seul coûte au moins à la France six millions par an. Le déjeuner de leurs pères n'était pas préparé par les quatre parties du monde; ils se passaient de l'herbe et de la terre de la Chine, des roseaux qui croissent en Amérique, et des fèves de l'Arabie. Ces nouvelles denrées, et beaucoup d'autres, que nous payons argent comptant, peuvent nous épuiser. Une compagnie de négociants qui n'a jamais pu en quarante années donner un sou de dividende à ses actionnaires sur le produit de son commerce, et qui ne les paye que d'une partie du revenu du roi, peut être à charge à la longue. L'agriculture est donc la ressource indispensable.

13° Plusieurs branches de cette ressource sont négligées. Il y a, par exemple, trop peu de ruches, tandis qu'on fait une si prodigieuse consommation de bougies. Il n'y a point de maison un peu forte où l'on n'en brûle pour deux ou trois écus par jour. Cette seule dépense entretiendrait une famille économe. Nous consommons cinq ou six fois plus de bois de chauffage que nos pères; nous devons donc avoir plus d'attention à planter et à entretenir nos plants; c'est ce que le fermier n'est pas même en droit de faire; c'est ce que le seigneur ne fera que lorsqu'il gouvernera lui-même ses possessions.

14° Lorsque les possesseurs des terres sur les frontières y résident, les manœuvres, les ouvriers étrangers viennent s'y établir; le pays se peuple insensiblement; il se forme des races d'hommes vigoureux. La plupart des manufactures corrompent la taille des ouvriers; leur race s'affaibit. Ceux qui travaillent aux métaux abrégent leurs jours. Les travaux de la campagne, au contraire, fortifient et produisent des générations robustes, pourvu que la débauche des jours de fête n'altère pas le bien que font le travail et la sobriété.

15° On sait assez queiles sont les funestes suites de l'oisive intempérance attachée à ces jours qu'on croit consacrés à la religion, et qui" ne le sont qu'aux cabarets. On sait quelle supériorité le retranchement de ces jours dangereux a donnée aux protestants sur nous. Notre rai-, son commence enfin à se développer au point de nous faire sentir con

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fusément que l'oisiveté et la débauche ne sont pas si précieuses devant Dieu qu'on le croyait. Plus d'un évêque a rendu à la terre, pendant quarante jours de l'année ou 'environ, des hommes qu'elle demandait pour la cultiver. Mais sur les frontières, où beaucoup de nos domaines se trouvent dans l'évêché d'un étranger, il arrive trop souvent, soit par contradiction, soit par une infâme politique, que ces étrangers se plaisent à nous accabler d'un fardeau que les plus sages de nos prélats ont ôté à nos cultivateurs, à l'exemple du pape. Le gouvernement peut aisément nous délivrer de ce très-grand mal que ces étrangers nous font. Ils sont en droit d'obliger nos colons à entendre une messe le jour de saint Roch; mais au fond, ils ne sont pas en droit d'empêcher les sujets du roi de cultiver après la messe une terre qui appartient au roi, et dont il partage les fruits. Et ils doivent savoir qu'on ne peut mieux s'acquitter de son devoir envers Dieu qu'en le priant le matin, et en obéissant le reste du jour à la loi qu'il nous a imposée de travailler.

16° Plusieurs personnes ont établi des écoles dans leurs terres, j'en ai établi moi-même, mais je les crains. Je crois convenable que quelques enfants apprennent à lire, à écrire, à chiffrer; mais que le grand nombre, surtout les enfants des manœuvres, ne sachent que cultiver, parce qu'on n'a besoin que d'une plume pour deux ou trois cents bras. La culture de la terre ne demande qu'une intelligence très-commune: la nature a rendu faciles tous les travaux auxquels elle a destiné l'homme il faut donc employer le plus d'hommes qu'on peut à ces travaux faciles, et les leur rendre nécessaires'.

17° Le seul encouragement des cultivateurs est le commerce des denrées. Empêcher les blés de sortir du royaume, c'est dire aux étrangers que nous en manquons, et que nous sommes de mauvais économes. Il y a quelquefois cherté en France, mais rarement disette. Nous fournissons les cours de l'Europe de danseurs et de perruquiers; il vaudrait mieux les fournir de froment, Mais c'est à la prudence du gouvernement d'étendre ou de resserrer ce grand objet de commerce. Il n'appartient pas à un particulier qui ne voit que son canton de proposer des vues à ceux qui voient et qui embrassent le bien général du royaume.

18° La réparation et l'entretien des chemins de traverse est un objet important. Le gouvernement s'est signalé par la confection des voies publiques, qui font à la fois l'avantage et l'ornement de la France. Il a aussi donné des ordres très-utiles pour les chemins de traverse; mais

1. Le temps de l'enfance, celui qui précède l'âge où un enfant peut être assujetti à un travail régulier, est plus que suffisant pour apprendre à lire, à écrire, à compter, pour acquérir même des notions élémentaires d'arpentage, de physique, et d'histoire naturelle. Il ne faut pas craindre que ces connaissances dégoûtent des travaux champêtres. C'est précisément parce que presque aucun homme du peuple ne sait bien écrire, que cet art devient un moyen de se procurer avec moins de peine une subsistance plus abondante que par un travail mécanique. Ce n'est que par l'instruction qu'on peut espérer d'affaiblir dans le peuple les préjuges, ses tyrans éternels, auxquels presque partout les grands obéissent même en les méprisant. (Ed. de Kehl.)

ces ordres ne sont pas si bien exécutés que ceux qui regardent les grands chemins. Le même colon qui voiturerait ses denrées de son village au marché voisin en une heure de temps avec un cheval, y parvient à peine avec deux chevaux en trois heures, parce qu'il ne prend pas le soin de donner un écoulement aux eaux, de combler une ornière, de porter un peu de gravier; et ce peu de peine qu'il s'est épargnée lui cause à la fin de très-grandes peines et de grands dommages.

19o Le nombre des mendiants est prodigieux, et, malgré les lois, on laisse cette vermine se multiplier. Je demanderais qu'il fût permis à tous les seigneurs de retenir et faire travailler à un prix raisonnable tous les mendiants robustes, hommes et femmes, qui mendieront sur leurs terres.

20° S'il m'était permis d'entrer dans des vues plus générales, je répéterais ici combien le célibat est pernicieux. Je ne sais s'il ne serait point à propos d'augmenter d'un tiers la taille et la capitation de quiconque ne serait pas marié à vingt-cinq ans'. Je ne sais s'il ne serait pas utile d'exempter d'impôts quiconque aurait sept enfants mâles, tant que le père et les sèpt enfants vivraient ensemble. M. Colbert exempta tous ceux qui auraient douze enfants; mais ce cas arrive si rarement que la loi était inutile.

21° On a fait des volumes sur tous les avantages qu'on peut retirer de la campagne, sur les améliorations, sur les blés, les légumes, les pâturages, les animaux domestiques, et sur mille secrets presque tous chimériques. Le meilleur secret est de veiller soi-même à son domaine.

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Section 11.-Pourquoi certaines terres sont mal cultivées. Je passai un jour par de belles campagnes, bordées d'un côté d'une forêt adossée à des montagnes, et de l'autre par une vaste étendue d'eau saine et claire qui nourrit d'excellents poissons. C'est le plus bel aspect de la nature; il termine les frontières de plusieurs Etats; la terre y est couverte de bétail, et elle le serait de fleurs et de fruits toute l'année, sans les vents et les grêles qui désolent souvent cette contrée délicieuse et qui la changent en Sibérie.

Je vis à l'entrée de cette petite province une maison bien bâtie, où demeuraient sept ou huit hommes bien faits et vigoureux. Je leur dis: « Vous cultivez sans doute un héritage fertile dans ce beau séjour? - Nous, monsieur, nous avilir à rendre féconde la terre qui doit nourrir

1. Cette loi ne serait ni juste ni utile; le célibat, dans aucun système raisonnable de morale, ne peut être regardé comme un délit; et une surcharge d'impôt serait une véritable amende. D'ailleurs, si cette punition est assez forte pour l'emporter sur les raisons qui éloignent du mariage, elle en fera faire de mauvais, et la population qui résultera de ces mariages ne sera ni fort nombreuse ni fort utile. (Ed. de Kehl.)

2. La science de l'agriculture a fait peu de progrès jusqu'ici; et c'est le sort commun à toutes les parties des sciences qui emploient l'observation plutôt que l'expérience: elles dépendent du temps et des événements, plus que du génie des hommes. Telle est la médecine, telle est encore la météorologie. (Ed. de Kehl.)

l'homme! nous ne sommes pas faits pour cet indigne métier. Nous poursuivons les cultivateurs qui portent le fruit de leurs travaux d'un pays dans un autre; nous les chargeons de fers: notre emploi est celui des héros. Sachez que dans ce pays de deux lieues sur six, nous avons quatorze maisons aussi respectables que celle-ci, consacrées à cet usage. La dignité dont nous sommes revêtus nous distingue des autres citoyens; et nous ne payons aucune contribution, parce que nous ne travaillons à rien qu'à faire trembler ceux qui travaillent. »

Je m'avançai tout confus vers une autre maison; je vis dans un jardin bien tenu un homme entouré d'une nombreuse famille je croyais qu'il daignait cultiver son jardin ; j'appris qu'il était revêtu de la charge de contrôleur du grenier à sel.

Plus loin demeurait le directeur de ce grenier, dont les revenus étaient établis sur les avanies faites à ceux qui viennent acheter de quoi donner un peu de goût à leur bouillon. Il y avait des juges de ce grenier, où se conserve l'eau de la mer réduite en figures irrégulières; des élus dont la dignité consistait à écrire les noms des citoyens, et ce qu'ils doivent au fisc; des agents qui partageaient avec les receveurs de ce fisc; des hommes revêtus d'offices de toute espèce, les uns conseillers du roi n'ayant jamais donné de conseil, les autres secrétaires du roi n'ayant jamais su le moindre de ses secrets. Dans cette multitude de gens qui se pavanaient de par le roi, il y en avait un assez grand nombre revêtus d'un habit ridicule, et chargés d'un grand sac qu'ils se faisaient remplir de la part de Dieu.

Il y en avait d'autres plus proprement vêtus, et qui avaient des appointements plus réglés pour ne rien faire. Ils étaient originairement payés pour chanter de grand matin; et depuis plusieurs siècles ils ne chantaient qu'à table.

Enfin, je vis dans le lointain quelques spectres à demi nus, qui écorchaient, avec des bœufs aussi décharnés qu'eux, un sol encore plus amaigri; je compris pourquoi la terre n'était pas aussi fertile qu'elle pouvait l'être.

FÊTES. Section I.- Un pauvre gentilhomme du pays d'Haguenau cultivait sa petite terre, et sainte Ragonde ou Radegonde était la patronne de sa paroisse. Or il arriva que le jour de la fête de sainte Radegonde, il fallut donner une façon à un champ de ce pauvre gentilhomme, sans quoi tout était perdu. Le maître, après avoir assisté dévotement à la messe avec tout son monde, alla labourer sa terre, dont dépendait le maintien de sa famille; et le curé et les autres paroissiens allèrent boire selon l'usage.

Le curé, en buvant, apprit l'énorme scandale qu'on osait donner dans sa paroisse, par un travail profane; il alla, tout rouge de colère. et de vin, trouver le cultivateur, et lui dit : « Monsieur, vous êtes bien insolent et bien impie d'oser labourer votre champ au lieu d'aller au cabaret comme les autres. Je conviens, monsieur, dit le gentilhomme, qu'il faut boire à l'honneur de la sainte, mais il faut aussi manger, et ma famille mourrait de faim si je ne labourais pas. Buvez et mourez,

lui dit le curé. Dans quelle loi, dans quel concile cela est-il écrit? dit le cultivateur. Dans Ovide, dit le curé. — J'en appelle comme d'abus, dit le gentilhomme. Dans quel endroit d'Ovide avez-vous lu que je dois aller au cabaret plutôt que de labourer mon champ le jour de sainte Ragonde? »

Vous remarquerez que le gentilhomme et le pasteur avaient très-bien fait leurs études. « Lisez la métamorphose des filles de Minée, dit le curé. Je l'ai lue, dit l'autre, et je soutiens que cela n'a nul rapport à ma charrue. -- Comment, impie! vous ne vous souvenez pas que les filles de Minée furent changées en chauves-souris pour avoir filé un jour de fête? - Le cas est bien différent, répliqua le gentilhomme : ces demoiselles n'avaient rendu aucun honneur à Bacchus; et moi, j'ai été à la messe de sainte Ragonde; vous n'avez rien à me dire; vous ne me changerez point en chauve-souris. — Je ferai pis, dit le prêtre; je vous ferai mettre à l'amende. » Il n'y manqua pas. Le pauvre gentilhomme fut ruiné; il quitta le pays avec sa famille et ses valets, passa chez l'étranger, se fit luthérien, et sa terre resta inculte plusieurs années.

On conta cette aventure à un magistrat de bon sens et de beaucoup de piété. Voici les réflexions qu'il fit à propos de sainte Ragonde.

Ce sont, disait-il, les cabaretiers, sans doute, qui ont inventé ce prodigieux nombre de fêtes la religion des paysans et des artisans consiste à s'enivrer le jour d'un saint qu'ils ne connaissent que par ce culte c'est dans ces jours d'oisiveté et de débauche que se commettent tous les crimes: ce sont les fêtes qui remplissent les prisons, et qui font vivre les archers, les greffiers, les lieutenants criminels, et les bourreaux voilà parmi nous la seule excuse des fêtes les champs catholiques restent à peine cultivés, tandis que les campagnes hérétiques, labourées tous les jours, produisent de riches moissons.

A la bonne heure, que les cordonniers aillent le matin à la messe de saint Crépin, parce que crepido signifie empeigne; que les faiseurs de vergettes fêtent sainte Barbe, leur patronne; que ceux qui ont mal aux yeux entendent la messe de sainte Claire; qu'on célèbre saint V.. dans plusieurs provinces; mais qu'après avoir rendu ses devoirs aux saints, on rende service aux hommes, qu'on aille de l'autel à la charrue c'est l'excès d'une barbarie et d'un esclavage insupportable, de consacrer ses jours à la nonchalance et au vice. Prêtres, commandez, s'il est nécessaire, qu'on prie Roch, Eustache et Fiacre le matin; magistrats, ordonnez qu'on laboure vos champs le jour de Fiacre, d'Eustache et de Roch. C'est le travail qui est nécessaire; il y a plus, c'est lui qui sanctifie.

Section II. Lettre d'un ouvrier de Lyon à messeigneurs de la commission établie à Paris pour la réformation des ordres religieux, imprimée dans les papiers publics en 1766.

Messeigneurs, je suis ouvrier en soie, et je travaille à Lyon depuis dix-neuf ans. Mes journées ont augmenté insensiblement, et aujourd'hui je gagne trente-cinq sous. Ma femme, qui travaille en passements, en gagnerait quinze s'il lui était possible d'y donner tout son

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