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on en fait mention, ce doit être en doutant: mais quel est l'esprit vif qui sache douter?

La lubricité des femmes, dit-il', est si grande à Patane, que les hommes sont contraints de se faire certaines garnitures pour se mettre à l'abri de leurs entreprises. »

Le président de Montesquieu n'alla jamais à Patane. M. Linguet ne remarque-t-il pas très-judicieusement que ceux qui imprimèrent ce conte étaient des voyageurs qui se trompaient ou qui voulaient se moquer de leurs lecteurs? Soyons justes, aimons le vrai, ne nous laissons pas séduire, jugeons par les choses et non par les noms.

Suite des réflexions sur la polygamie. Il semble que le pouvoir et non la convention ait fait toutes les lois, surtout en Orient. C'est là qu'on voit les premiers esclaves, les premiers eunuques, le trésor du prince composé de ce qu'on a pris au peuple.

Qui peut vêtir, nourrir et amuser plusieurs femmes, les a dans sa ménagerie, et leur commande despotiquement.

Ben-Aboul-Kiba, dans son Miroir des fidèles, rapporte qu'un des vizirs du grand Soliman tint ce discours à un agent du grand CharlesQuint:

« Chien de chrétien, pour qui j'ai d'ailleurs une estime toute particulière, peux-tu bien me reprocher d'avoir quatre femmes selon nos saintes lois, tandis que tu vides douze quartauts par an, et que je ne bois pas un verre de vin? Quel bien fais-tu au monde en passant plus d'heures à table que je n'en passe au lit? Je peux donner quatre enfants chaque année pour le service de mon auguste maître; à peine en peux-tu fournir un. Et qu'est-ce que l'enfant d'un ivrogne? Sa cervelle sera offusquée des vapeurs du vin qu'aura bu son père. Que veux-tu d'ailleurs que je devienne quand deux de mes femmes sont en couche ? ne faut-il pas que j'en serve deux autres, ainsi que ma loi me le commande ? Que deviens-tu, quel rôle joues-tu dans les derniers mois de la grossesse de ton unique femme, et pendant ses couches, et pendant ses maladies? Il faut que tu restes dans une oisiveté honteuse, ou que tu cherches une autre femme. Te voilà nécessairement entre deux péchés mortels, qui'te feront tomber tout roide, après ta mort, du pont aigu au fond de l'enfer.

« Je suppose que dans nos guerres contre les chiens de chrétiens nous perdions cent mille soldats: voilà près de cent mille filles à pourvoir. N'est-ce pas aux riches à prendre soin d'elles? Malheur à tout musulman assez tiède pour ne pas donner retraite chez lui à quatre jolies filles en qualité de ses légitimes épouses, et pour ne pas les traiter selon leurs mérites!

<< Comment donc sont faits dans ton pays la trompette du jour, que tu appelles coq, l'honnête bélier, prince des troupeaux, le taureau, souverain des vaches? chacun d'eux n'a-t-il pas son sérail? Il te sied bien vraiment de me reprocher mes quatre femmes, tandis que notre

1. Liv. XVI, chap. x.

grand prophète en a eu dix-huit, David le Juif autant, et Salomon le Juif sept cents de compte fait, avec trois cents concubines! Tu vois combien je suis modeste. Cesse de reprocher la gourmandise à un sage qui fait de si médiocres repas. Je te permets de boire; permets-moi d'aimer. Tu changes de vins, souffre que je change de femmes. Que chacun laisse vivre les autres à la mode de leur pays. Ton chapeau n'est point fait pour donner des lois à mon turban; ta fraise et ton petit manteau ne doivent point commander à mon doliman. Achève de prendre ton café avec moi, et va-t'en caresser ton Allemande, puisque tu es réduit à elle seule. »

Réponse de l'Allemand. « Chien de musulman, pour qui je conserve une vénération profonde, avant d'achever mon café je veux confondre tes propos. Qui possède quatre femmes possède quatre harpies, toujours prêtes à se calomnier, à se nuire, à se battre; le logis est l'antre de la Discorde. Aucune d'elles ne peut t'aimer; chacune n'a qu'un quart de ta personne, et ne pourrait tout au plus te donner que le quart de son cœur. Aucune ne peut te rendre la vie agréable; ce sont des prisonnières qui n'ayant jamais rien vu n'ont rien à te dire. Elles ne connaissent que toi : par conséquent tu les ennuies. Tu es leur maitre absolu: donc elles te haïssent. Tu es obligé de les faire garder par un eunuque, qui leur donne le fouet quand elles ont fait trop de bruit. Tu oses te comparer à un coq! mais jamais un coq n'a fait fouetter ses poules par un chapon. Prends tes exemples chez les animaux; ressemble-leur tant que tu voudras: moi je veux aimer en homme; je veux donner tout mon cœur, et qu'on me donne le sien. Je rendrai compte de cet entretien ce soir à ma femme, et j'espère qu'elle en sera contente. A l'égard du vin que tu me reproches, apprends que s'il est mal d'en boire en Arabie, c'est une habitude trèsElouable en Allemagne. Adieu. »

FERMETÉ. Fermeté vient de ferme, et signifie autre chose que solidité et dureté : une toile serrée, un sable battu, ont de la fermeté sans être durs et solides.

Il faut toujours se souvenir que les modifications de l'âme ne peuvent s'exprimer que par des images physiques : on dit la fermeté de l'âme, de l'esprit; ce qui ne signifie pas plus solidité ou dureté qu'au propre.

La fermeté est l'exercice du courage de l'esprit; elle suppose une résolution éclairée : l'opiniâtreté au contraire suppose de l'aveugle

ment.

Ceux qui ont loué la fermeté du style de Tacite, n'ont pas tant de tort que le prétend le P. Bouhours; c'est un terme hasardé, mais placé, qui exprime l'énergie et la force des pensées et du style.

On peut dire que La Bruyère a un style ferme, et que d'autres écrivains n'ont qu'un style dur.

FERRARE. Ce que nous avons à dire ici de Ferrare n'a aucun rapport à la littérature, principal objet de nos questions; mais il en a

un très-grand avec la justice, qui est plus nécessaire que les belleslettres, et bien moins cultivée, surtout en Italie.

Ferrare était constamment un fief de l'empire ainsi que Parme et Plaisance. Le pape Clément VIII en dépouilla César d'Este à main armée, en 1597. Le prétexte de cette tyrannie était bien singulier pour un homme qui se dit l'humble vicaire de Jésus-Christ.

Le duc Alfonse d'Este, premier du nom, souverain de Ferrare, de Modène, d'Este, de Carpi, de Rovigno, avait épousé une simple citoyenne de Ferrare, nommée Laura Eustochia, dont il avait eu trois enfants avant son mariage, reconnus par lui solennellement en face de l'Eglise. Il ne manqua à cette reconnaissance aucune des formalités prescrites par les lois. Son successeur Alfonse d'Este fut reconnu duc de Ferrare. Il épousa Julie d'Urbin, fille de François duc d'Urbin, dont il eut cet infortuné César d'Este, héritier incontestable de tous les biens de la maison, et déclaré héritier par le dernier duc, mort le 27 octobre 1597. Le pape Clément VIII, du nom d'Aldobrandin, originaire d'une famille de négociants de Florence, osa prétexter que la grand'mère de César d'Este n'était pas assez noble, et que les enfants qu'elle avait mis au monde devaient être regardés comme des bâtards. La première raison est ridicule et scandaleuse dans ùn évêque, la seconde est insoutenable dans tous les tribunaux de l'Europe: car si le duc n'était pas légitime, il devait perdre Modène et ses autres Etats; et s'il n'y avait point de vice dans sa naissance, il devait garder Ferrare comme Modène.

L'acquisition de Ferrare était trop belle pour que le pape ne fît pas valoir toutes les décrétales et toutes les décisions des braves théologiens qui assurent que le pape peut rendre juste ce qui est injuste. En conséquence, il excommunia d'abord César d'Este; et comme l'excommunication prive nécessairement un homme de tous ses biens, le père commun des fidèles leva des troupes contre l'excommunié pour lui ravir son héritage au nom de l'Église. Ces troupes furent battues; mais le duc de Modène et de Ferrare vit bientôt ses finances épuisées et ses amis refroidis.

Ce qu'il y eut de plus déplorable, c'est que le roi de France, Henri IV, se crut obligé de prendre le parti du pape, pour balancer le crédit de Philippe II à la cour de Rome. C'est ainsi que le bon roi Louis XII, moins excusable, s'était déshonoré en s'unissant avec le monstre Alexandre VI et son exécrable bâtard le duc Borgia. Il fallut céder alors le pape fit envahir Ferrare par le cardinal Aldobrandin, qui entra dans cette florissante ville avec mille chevaux et cinq mille fantassins.

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Il est bien triste qu'un homme tel que Henri IV ait descendu à cette indignité, qu'on appelle politique. Les Caton, les Métellus, les Scipion, les Fabricius, n'auraient point ainsi trahi la justice pour plaire à un prêtre; et à quel prêtre !

Depuis ce temps, Ferrare devint déserte; son terroir inçulte se couvrit de marais croupissants. Ce pays avait été, sous la maison d'Este, un des plus beaux de l'Italie; le peuple regretta toujours ses anciens

maîtres. Il est vrai que le duc fut dédommagé : on lui donna la nomination à un évêché et à une cure; et on lui fournit même quelques minots de sel des magasins de Cervia. Mais il n'en est pas moins vrai que la maison de Modène a des droits incontestables et imprescriptibles sur ce duché de Ferrare, dont elle est si indignement dépouillée. Maintenant, mon cher lecteur, supposons que cette scène se fût passée du temps où Jésus-Christ ressuscité apparaissait à ses apôtres, et que Simon Barjone, surnommé Pierre, eût voulu s'emparer des Etats de ce pauvre duc de Ferrare. Imaginons que le duc va demander justice en Béthanie au Seigneur Jésus; n'entendez-vous pas NotreSeigneur qui envoie chercher sur-le-champ Simon, et qui lui dit : « Simon, fils de Jone, je t'ai donné les clefs du royaume des cieux; on sait comme ces clefs sont faites: mais je ne t'ai pas donné celles de la terre. Si on t'a dit que le ciel entoure le globe et que le contenu est dans le contenant, t'es-tu imaginé que les royaumes d'ici-bas t'appartiennent, et que tu n'as qu'à t'emparer de tout ce qui te convient? Je t'ai déjà défendu de dégatner. Tu me parais un composé fort bizarre; tantôt tu coupes, à ce qu'on dit, une oreille à Malchus; tantôt tu me renies sois plus doux et plus honnête; ne prends ni le bien ni les oreilles de personne, de peur qu'on ne te donne sur les tiennes. >>

FERTILISATION. Section 1. 1° Je propose des vues générales sur la fertilisation. Il ne s'agit pas ici de savoir en quel temps il faut semer des navets vers les Pyrénées et vers Dunkerque; il n'y a point de paysan qui ne connaisse ces détails mieux que tous les mattres et tous les livres. Je n'examine point les vingt et une manières de parveir à la multiplication du blé, parmi lesquelles il n'y en a pas une de vraie; car la multiplication des germes dépend de la préparation des terres, et non de celle des grains. Il en est du blé comme de tous les autres fruits : vous aurez beau mettre un noyau de pêche dans de la saumure ou de la lessive, vous n'aurez de bonnes pêches qu'avec des abris et un sol convenable.

2o Il y a dans toute la zone tempérée de bons, de médiocres, et de mauvais terroirs. Le seul moyen, peut-être, de rendre les bons encore meilleurs, de fertiliser les médiocres, et de tirer parti des mauvais, est que les seigneurs des terres les habitent.

Les médiocres terrains, et surtout les mauvais, ne pourront jamais être amendés par des fermiers; ils n'en ont ni la faculté ni la volonté; ils afferment à vil prix, font très-peu de profit, et laissent la terre en plus mauvais état qu'ils ne l'ont prise.

3° Il faut de grandes avances pour améliorer de vastes champs. Celui qui écrit ces réflexions a trouvé dans un très-mauvais pays un vaste terrain inculte qui appartenait à des colons. Il leur a dit : « Je pourrais le cultiver à mon profit par le droit de déshérence; je vais le défricher pour vous et pour moi à mes dépens. Quand j'aurai changé ces bruyères en pâturages, nous y engraisserons des bestiaux; ce petit canton sera plus riche et plus peuplé. »

Il en est de même des marais, qui étendent sur tant de contrées la 24

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ITAIRE. XIII.

stérilité et la mortalité. Il n'y a que les seigneurs qui puissent détruire ces ennemis du genre humain. Et si ces marais sont trop vastes, le gouvernement seul est assez puissant pour faire de telles entreprises; il y a plus à gagner que dans une guerre.

4o Les seigneurs seuls seront longtemps en état d'employer le semoir. Cet instrument est coûteux; il faut souvent le rétablir; nul ouvrier de campagne n'est en état de le construire; aucun colon ne s'en chargera; et si vous lui en donnez un, il épargnera trop la semence, et fera de médiocres récoltes.

Cependant cet instrument employé à propos doit épargner environ le tiers de la semence, et par conséquent enrichir le pays d'un tiers; voilà la vraie multiplication. Il est donc très-important de le rendre d'usage, et de longtemps il n'y aura que les riches qui pourront s'en servir.

5o Les seigneurs peuvent faire la dépense du van cribleur, qui, quand il est bien conditionné, épargne beaucoup de bras et de temps. En un mot, il est clair que si la terre ne rend pas ce qu'elle peut donner, c'est que les simples cultivateurs ne sont pas en état de faire les avances. La culture de la terre est une vraie manufacture: il faut pour que la manufacture fleurisse que l'entrepreneur soit riche.

6o La prétendue égalité des hommes, que quelques sophistes mettent à la mode, est une chimère pernicieuse. S'il n'y avait pas trente manœuvres pour un maître, la terre ne serait pas cultivée. Quiconque possède une charrue a besoin de deux valets et de plusieurs hommes de journée. Plus il y aura d'hommes qui n'auront que leurs bras pour toute fortune, plus les terres seront en valeur. Mais pour employer utilement ces bras, il faut que les seigneurs soient sur les lieux'.

7. Il ne faut pas qu'un seigneur s'attende, en faisant cultiver sa terre sous ses yeux, à faire la fortune d'un entrepreneur des hôpitaux ou des fourrages de l'armée; mais il vivra dans la plus honorable abondance 2.

8° S'il fait la dépense d'un étalon, il aura en quatre ans de beaur chevaux qui ne lui coûteront rien; il y gagnera, et l'État aussi.

Si le fermier est malheureusement obligé de vendre tous les veaux et toutes les génisses pour être en état de payer le roi et son maître, le même seigneur fait élever ces génisses et quelques veaux. Il a au bout de trois ans des troupeaux considérables sans frais. Tous ces détails produisent l'agréable et l'utile. Le goût de ces occupations augmente chaque jour; le temps affaiblit presque toutes les autres.

1. La question de savoir si un grand terrain cultivé par un seul propriétaire donne un produit brut ou un produit net plus grand ou moindre que le même terrain partagé en petites propriétés, cultivées chacune par le possesseur, n'a point encore été complétement résolue. Il est vrai qu'en général, dans toute manufacture, plus on divise le travail entre des ouvriers occupés chacun d'une même chose, plus on obtient de perfection et d'économie.

Mais jusqu'à quel point ce principe se peut-il appliquer à l'agriculture, ou plus généralement à un art dont les procedés successifs sont assujettis à certaines périodes, à l'ordre des saisons? (Ed. de Kehl.)

2. Voy. AGRICULTURE.

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