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temple; nos Baucis et nos Philémons voient vendre par le collecteur, des tailles leurs marmites, que les dieux changent en vases d'or dans Ovide.

Je sais combien l'histoire peut nous instruire, je sais combien elle est nécessaire; mais en vérité il faut lui aider beaucoup pour en tirer des règles de conduite. Que ceux qui ne connaissent la politique que dans les livres se souviennent toujours de ces vers de Corneille :

Ces exemples récents suffiraient pour m'instruire,
Si par l'exemple seul on se devait conduire....
Quelquefois l'un se brise où l'autre s'est sauvé,
Et par où l'un périt, un autre est conservé.

Cinna, acte II, scène 1.

Henri VIII, tyran de ses parlements, de ses ministres, de ses femmes, des consciences et des bourses, vit et meurt paisible : le bon, le brave Charles Ier périt sur un échafaud. Notre admirable héroïne Marguerite d'Anjou donne en vain douze batailles en personne contre les Anglais, sujets de son mari : Guillaume III chasse Jacques II d'Angleterre sans donner bataille. Nous avons vu de nos jours la famille impériale de Perse égorgée, et des étrangers sur son trône. Pour qui ne regarde qu'aux événements, l'histoire semble accuser la Providence, et les belles fables morales la justifient. Il est clair qu'on trouve dans elles l'utile et l'agréable: ceux qui dans ce monde ne sont ni l'un ni l'autre crient contre elles. Laissons-les dire, et lisons Homère et Ovide, aussi bien que Tite Live et Rapin-Thoyras. Le goût donne des préférences, le fanatisme donne les exclusions.

Tous les arts sont amis, ainsi qu'ils sont divins :
Qui veut les séparer est loin de les connaître.
L'histoire nous apprend ce que sont les humains.
La fable ce qu'ils doivent être.

FACILE. (GRAMMAIRE.) Facile ne signifie pas seulement une chose aisément faite, mais encore qui paraît l'être. Le pinceau du Corrége est facile. Le style de Quinault est beaucoup plus facile que celui de Despréaux, comme le style d'Ovide l'emporte en facilité sur celui de Perse.

Cette facilité en peinture, en musique, en éloquence, en poésie, consiste dans un naturel heureux, qui n'admet aucun tour de recherche, et qui peut se passer de force et de profondeur. Ainsi les tableaux de Paul Véronèse ont un air plus facile et moins fini que ceux de MichelAnge. Les symphonies de Rameau sont supérieures à celles de Lulli, et semblent moins faciles. Bossuet est plus véritablement éloquent et plus facile que Fléchier. Rousseau, dans ses épîtres, n'a pas, à beaucoup près, la facilité et la vérité de Despréaux.

Le commentateur de Despréaux dit que ce poëte exact et laborieux avait appris à l'illustre Racine à faire difficilement des vers, et que ceux qui paraissent faciles sont ceux qui ont été faits avec le plus de difficulté.

Jl est très-vrai qu'il en coûte souvent pour s'exprimer avec clarté : il est vrai qu'on peut arriver au naturel par des efforts; mais il est vrai aussi qu'un heureux génie produit souvent des beautés faciles sans aucune peine, et que l'enthousiasme va plus loin que l'art.

La plupart des morceaux passionnés de nos bons poëtes sont sortis achevés de leur plume, et paraissent d'autant plus faciles, qu'ils ont en effet été composés sans travail; l'imagination alors conçoit et enfante aisément. Il n'en est pas ainsi dans les ouvrages didactiques; c'est là qu'on a besoin d'art pour paraître facile. Il y a, par exemple, beaucoup moins de facilité que de profondeur dans l'admirable Essai sur l'homme de Pope.

On peut faire facilement de très-mauvais ouvrages qui n'auront rien de gêné, qui paraîtront faciles; et c'est le partage de ceux qui ont la malheureuse habitude de composer. C'est en ce sens qu'un personnage de l'ancienne comédie, qu'on nomme italienne, dit à un autre :

Tu fais de méchants vers admirablement bien.

Le terme de facile est une injure pour une femme, et est quelquefois dans la société une louange pour un homme; c'est souvent un défaut dans une homme d'Etat. Les mœurs d'Atticus étaient faciles; c'était le plus aimable des Romains. La facile Cléopatre se donna à Antoine aussi aisément qu'à César. Le facile Claude se laissa gouverner par Agrippine. Facile n'est là par rapport à Claude qu'un adoucissement; le mot propre est faible.

Un homme facile est en général un esprit qui se rend aisément à la raison, aux remontrances, un cœur qui se laisse fléchir aux prières; et faible est celui qui laisse prendre sur lui trop d'autorité.

FACTION.

· De ce qu'on entend par ce mot. - Le mot faction venant du latin facere, on l'emploie pour signifier l'état d'un soldat à son poste, en faction; les quadrilles ou les troupes des combattants dans le cirque; les factions vertes, bleues, rouges et blanches.

La principale acception de ce terme signifie un parti séditieux dans un État. Le terme de parti par lui-même n'a rien d'odieux, celui de faction l'est toujours.

Un grand homme et un médiocre peuvent avoir aisément un parti à la cour, dans l'armée, à la ville, dans la littérature.

On peut avoir un parti par son mérite, par la chaleur et le nombre de ses amis, sans être chef de parti.

Le maréchal de Catinat, peu considéré à la cour, s'était fait un grand parti dans l'armée sans y prétendre.

Un chef de parti est toujours un chef de faction: tels ont été le cardinal de Retz, Henri duc de Guise, et tant d'autres.

Un parti séditieux, quand il est encore faible, quand il ne partage pas tout l'Etat, n'est qu'une faction.

La faction de César devint bientôt un parti dominant qui engloutit la république.

Quand l'empereur Charles VI disputait l'Espagne à Philippe V,

il avait un parti dans ce royaume, et enfin il n'y eut plus qu'une faction. Cependant on peut toujours dire le parti de Charles VI.

Il n'en est pas ainsi des hommes privés. Descartes eut longtemps un parti en France; on ne peut dire qu'il eut une faction.

C'est ainsi qu'il y a des mots synonymes en plusieurs cas, qui cessent de l'être dans d'autres.

FACULTÉ. — Toutes les puissances du corps et de l'entendement ne sont-elles pas des facultés, et qui pis est des facultés très-ignorées, de franches qualités occultes, à commencer par le mouvement, dont personne n'a découvert l'origine?

Quand le président de la faculté de médecine, dans le Malade imaginaire, demande à Thomas Diafoirus' « quare opium facit dormire, » Thomas répond très-pertinemment « quia est in eo virtus dormitiva, cujus est natura sensus assoupire, » parce qu'il y a dans l'opium une faculté soporative qui fait dormir. Les plus grands physiciens ne peuvent guère mieux dire.

Le sincère chevalier de Jaucourt avoue, à l'article Sommeil, qu'on ne peut former sur la cause du sommeil que de simples conjectures. Un autre Thomas, plus révéré que Diafoirus, n'a pas répondu autrement que ce bachelier de comédie, à toutes les questions qu'il propose dans ses volumes immenses.

Il est dit, à l'article Faculté du grand Dictionnaire encyclopédique, « que la faculté vitale une fois établie dans le principe intelligent qui nous anime, on conçoit aisément que cette faculté, excitée par les impressions que le sensorium vital transmet à la partie du sensorium commun, détermine l'influx alternatif du suc nerveux dans les fibres motrices des organes vitaux, pour faire contracter alternativement ces organes. »

Cela revient précisément à la réponse du jeune médecin Thomas : Quia est in eo virtus alternativa quæ facit alternare. Et ce Thomas Diafoirus a du moins le mérite d'être plus court.

La faculté de remuer le pied quand on le veut, celle de se ressouvenir du passé, celle d'user de ses cinq sens, toutes nos facultés, en un mot, ne sont-elles pas à la Diafoirus?

Mais la pensée! nous disent les gens qui savent le secret; la pensée, qui distingue l'homme du reste des animaux!

Sanctius his animal, mentisque capacius altæ.

Ovid., Metam., I, 76.

Cet animal si saint, plein d'un esprit sublime.

Si saint qu'il vous plaira; c'est ici que Diafoirus triomphe plus que jamais. Tout le monde au fond répond : Quia est in eo virtus pensativa quæ facit pensare. Personne ne saura jamais par quel mystère il pense.

1. Ce n'est pas Thomas Diafoirus, c'est Argan qui, dans le troisième intermède du Malade imaginaire, est le bachelierus, et fait en cette qualité la réponse que cite Voltaire. (Note de M. Beuchot.)

Cette question s'étend donc à tout dans la nature entière. Je ne sais s'il n'y aurait pas dans cet abîme même une preuve de l'existence de l'Être suprême. Il y a un secret dans tous les premiers ressorts de tous les êtres, à commencer par un galet des bords de la mer, et à finir par l'anneau de Saturne et par la voie lactée. Or, comment ce secret sans que personne le sût? il faut bien qu'il y ait un être qui soit au fait.

« C'est

Des savants, pour éclairer notre ignorance, nous disent qu'il faut faire des systèmes, qu'à la fin' nous trouverons le secret; mais nous avons tant cherché sans rien trouver, qu'à la fin on se dégoûte. la philosophie paresseuse, » nous crient-ils: non, c'est le repos raisonnable de gens qui ont couru en vain et, après tout, philosophie paresseuse vaut mieux que théologie turbulente et chimères métaphysiques.

FAIBLE. Foible, qu'on prononce faible, et que plusieurs écrivent ainsi, est le contraire de fort, et non de dur et de solide. Il peut se dire de presque tous les êtres. Il reçoit souvent l'article de : le fort et le faible d'une épée; faible de reins; armée faible de cavalerie; ouvrage philosophique faible de raisonnement, etc.

Le faible du cœur n'est point le faible de l'esprit; le faible de l'âme n'est point celui du cœur. Une âme faible est sans ressort et sans action, elle se laisse aller à ceux qui la gouvernent.

Un cœur faible s'amollit aisément, change facilement d'inclinations, ne résiste point à la séduction, à l'ascendant qu'on veut prendre sur lui, et peut subsister avec un esprit fort; car on peut penser fortement et agir faiblement. L'esprit faible reçoit les impressions sans les combattre, embrasse les opinions sans examen, s'effraye sans cause, tombe naturellement dans la superstition.

Un ouvrage peut être faible par les pensées ou par le style par les pensées quand elles sont trop communes, ou lorsque étant justes, elles ne sont pas assez approfondies; par le style, quand il est dépourvu d'images, de tours, de figures qui réveillent l'attention. Les oraisons funèbres de Mascaron sont faibles, et son style n'a point de vie, en comparaison de Bossuet.

Toute harangue est faible quand elle n'est pas relevée par des tours ingénieux et par des expressions énergiques; mais un plaidoyer est faible quand, avec tout le secours de l'éloquence et toute la véhémence de l'action, il manque de raison. Nul ouvrage philosophique n'est faible, malgré la faiblesse d'un style lâche, quand le raisonnement est juste et profond. Une tragédie est faible, quoique le style en soit fort, quand l'intérêt n'est pas soutenu. La comédie la mieux écrite est faible, si elle manque de ce que les Latins appelaient vis comica, a la force comique » c'est ce que César reproche à Térence :

Lenibus atque utinam scriptis adjuncta foret vis
Comica!

C'est surtout en quoi a péché souvent la comédie nommée lar

moyante. Les vers faibles ne sont pas ceux qui pèchent contre les règles, mais contre le génie; qui, dans leur mécanique, sont sans variété, sans choix de termes, sans heureuses inversions, et qui, dans leur poésie, conservent trop la simplicité de la prose. On ne peut mieux sentir cette différence qu'en comparant les endroits que Racine et Campistron son imitateur ont traités.

FANATISME.

- Section I. C'est l'effet d'une fausse conscience qui asservit la religion aux caprices de l'imagination et aux déréglements des passions.

En général, il vient de ce que les législateurs ont eu des vues trop étroites, ou de ce qu'on a passé les bornes qu'ils se prescrivaient. Leurs lois n'étaient faites que pour une société choisie. Etendues par le zèle à tout un peuple, et transportées par l'ambition d'un climat à l'autre, elles devaient changer et s'accommoder aux circonstances des lieux et des personnes. Mais qu'est-il arrivé? c'est que certains esprits, d'un caractère plus proportionné à celui du petit troupeau pour lequel elles avaient été faites, les ont reçues avec la même chaleur, en sont devenus les apôtres et même les martyrs, plutôt que de démordre d'un seul iota. Les autres, au contraire, moins ardents, ou plus attachés à leurs préjugés d'éducation, ont lutté contre le nouveau joug, et n'ont consenti à l'embrasser qu'avec des adoucissements; et de là le schisme entre les rigoristes et les mitigés, qui les rend tous furieux, les uns pour la servitude et les autres pour la liberté.

Imaginons une immense rotonde, un panthéon à mille autels; et, placés au milieu du dôme, figurons-nous un dévot de chaque secte, éteinte ou subsistante, aux pieds de la Divinité qu'il honore à sa façon, sous toutes les formes bizarres que l'imagination a pu créer. A droite, c'est un contemplatif étendu sur une natte, qui attend, le nombril en l'air, que la lumière céleste vienne investir son âme. A gauche, c'est un énergumène prosterné qui frappe du front contre la terre, pour en faire sortir l'abondance. Là, c'est un saltimbanque qui danse sur la tombe de celui qu'il invoque. Ici, c'est un pénitent immobile et muet comme la statue devant laquelle il s'humilie. L'un étale ce que la pudeur cache, parce que Dieu ne rougit pas de sa ressemblance; l'autre voile jusqu'à son visage, comme si l'ouvrier avait horreur de son ouvrage. Un autre tourne le dos au midi, parce que c'est là le vent du démon; un autre tend les bras vers l'orient, où Dieu montre sa face rayonnante. De jeunes filles en pleurs meurtrissent leur chair encore innocente, pour apaiser le démon de la concupiscence par des moyens capables de l'irriter; d'autres, dans une posture tout opposée, sollicitent les approches de la Divinité. Un jeune homme, pour amortir l'instrument de la virilité, y attache des anneaux de fer d'un poids proportionné à ses forces; un autre arrête la tentation dès sa source, par une amputation tout à fait inhumaine, et suspend à l'autel les dépouilles de son sacrifice.

Voyons-les tous sortir du temple, et, pleins du dieu qui les agite, répandre la frayeur et l'illusion sur la face de la terre. Ils se partagent

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