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soient arbitraires, pour le malheur du genre humain, parce que les lois sont mal faites.

Voulez-vous savoir si les belles-lettres font du bien à une nation? comparez les deux extrêmes, Cicéron et un ignorant grossier. Voyez si c'est Pline ou Attila qui fit la décadence de Rome.

On demande si l'on doit encourager la superstition dans le peuple; voyez surtout ce qu'il y a de plus extrême dans cette funeste matière, la Saint-Barthélemy, les massacres d'Irlande, les croisades; la question est bientôt résolue.

Y a-t-il du vrai en métaphysique? Saisissez d'abord les points les plus étonnants et les plus vrais ; quelque chose existe, donc quelque chose existe de toute éternité. Un Être éternel existe par lui-même ; cet Être ne peut être ni méchant, ni inconséquent. H faut se rendre à ces vérités; presque tout le reste est abandonné à la dispute, et l'esprit le plus juste démêle la vérité lorsque les autres cherchent dans les ténèbres. Y a-t-il un bon et un mauvais goût? Comparez les extrêmes; voyez ces vers de Corneille dans Cinna (IV, III):

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Ose accuser le destin d'injustice,

Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,
Et que par ton exemple à ta perte guidés,

Ils violent des droits que tu n'as pas gardés!

Comparez-les à ceux-ci dans Othon (acte II, scène 1) :

Dis-moi donc, lorsque Othon s'est offert à Camille,
A-t-il été content, a-t-elle été facile?

Son hommage auprès d'elle a-t-il eu plein effet?
Comment l'a-t-elle pris, et comment l'a-t-il fait ?

Par cette comparaison des deux extrêmes, il est bientôt décidé qu'il existe un bon et un mauvais goût.

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Il en est en toutes choses comme des couleurs les plus mauvais yeux distinguent le blanc et le noir; les yeux meilleurs, plus exercés, discernent les nuances qui se rapprochent.

Usque adeo quod tangit idem est: tamen ultima distant.
Ovid., Met., VI, 67.

ÉZÉCHIEL. De quelques passages singuliers de ce prophète, et de quelques usages anciens. On sait assez aujourd'hui qu'il ne faut pas juger des usages anciens par les modernes : qui voudrait réformer la cour d'Alcinous dans l'Odyssée sur celle du Grand Turc ou de Louis XIV, ne serait pas bien reçu des savants; qui reprendrait Virgile d'avoir représenté le roi Evandre couvert d'une peau d'ours, et accompagné de deux chiens, pour recevoir des ambassadeurs, serait un mauvais critique

Les mœurs des anciens Egyptiens et Juifs sont encore plus différentes des nôtres que celles du roi Alcinoüs, de Nausica sa fille, et du bonhomme Évandre.

Ezechiel, esclave chez les Chaldéens, eut une vision près de la pe

tite rivière de Chobar qui se perd dans l'Euphrate. On ne doit point être étonné qu'il ait vu des animaux à quatre faces et à quatre ailes, avec des pieds de veau, ni des roues qui marchaient toutes seules, et qui avaient l'esprit de vie; ces symboles plaisent même à l'imagination : mais plusieurs critiques se sont révoltés contre l'ordre que le Seigneur lui donna de manger, pendant trois cent quatre-vingt-dix jours, du pain d'orge, de froment et de millet, couvert d'excréments humains. Le prophète s'écria : « Pouah! pouah! pouah! mon âme n'a point été jusqu'ici pollue; » et le Seigneur lui répondit : « Eh bien ! je vous donne de la fiente de boeuf au lieu d'excréments d'homme, et vous pétrirez votre pain avec cette fiente. »

Comme il n'est point d'usage de manger de telles confitures sur son pain, la plupart des hommes trouvent ces commandements indignes de la majesté divine. Cependant il faut avouer que de la bouse de vache et tous les diamants du Grand-Mogol sont parfaitement égaux, non-seulement aux yeux d'un être divin, mais à ceux d'un vrai philosophe; et à l'égard des raisons que Dieu pouvait avoir d'ordonner un tel déjeuner au prophète, ce n'est pas à nous de les demander.

Il suffit de faire voir que ces commandements, qui nous paraissent étranges, ne le parurent pas aux Juifs.

Il est vrai que la synagogue ne permettait pas, du temps de saint Jérôme, la lecture d'Ezéchiel avant l'âge de trente ans; mais c'était parce que, dans le chapitre xvIII, il dit que le fils ne portera plus l'iniquité de son père, et qu'on ne dira plus : « Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents de leurs enfants en sont agacées. »

En cela il se trouvait expressément en contradiction avec Moïse, qui, au chapitre XXVIII des Nombres, assure que les enfants portent l'iniquité des pères jusqu'à la troisième et quatrième génération.

Ezechiel, au chapitre xx, fait dire encore au Seigneur qu'il a donné aux Juifs des préceptes qui ne sont pas bons. Voilà pourquoi la synagogue interdisait aux jeunes gens une lecture qui pouvait faire douter de l'irréfragabilité des lois de Moïse.

Les censeurs de nos jours sont encore plus étonnés du chapitre xvi d'Ezechiel: voici comme le prophète s'y prend pour faire connaître les crimes de Jérusalem. Il introduit le Seigneur parlant à une fille, et le Seigneur dit à la fille : « Lorsque vous naquîtes, on ne vous avait point encore coupé le boyau du nombril, on ne vous avait point salée, vous étiez toute nue, j'eus pitié de vous; vous êtes devenue grande, votre sein s'est formé, votre poil a paru; j'ai passé, je vous ai vue, j'ai connu que c'était le temps des amants; j'ai couvert votre ignominie; je me suis étendu sur vous avec mon manteau; vous avez été à moi; je vous ai lavée, parfumée, bien, habillée, bien chaussée; je vous ai donné une écharpe de coton, des bracelets, un collier; je vous ai mis une pierrerie au nez, des pendants d'oreilles, et une couronne sur la tête, etc.

«Alors ayant confiance à votre beauté, vous avez forniqué pour votre compte avec tous les passants.... Et vous avez bâti un mauvais lieu...., et vous vous êtes prostituée jusque dans les places publiques, et vous

avez ouvert vos jambes à tous les passants...., et vous avez couché avec des Egyptiens...., et enfin vous avez payé des amants, et vous leur avez fait des présents afin qu'ils couchassent avec vous....; et en payant, au lieu d'être payée, vous avez fait le contraire des autres filles.... Le proverbe est, telle mère, telle fille; et c'est ce qu'on dit de vous,

etc. »

On s'élève encore davantage contre le chapitre xxIII. Une mère avait deux filles qui ont perdu leur virginité de bonne heure la plus grande s'appelait Oolla, et la petite Ooliba......... « Oolla a été folle des jeunes seigneurs, magistrats, cavaliers; elle a couché avec des Egyptiens dès sa première jeunesse.... Ooliba, sa sœur, a bien plus forniqué encore avec des officiers, des magistrats, et des cavaliers bien faits; elle a découvert sa turpitude; elle a multiplié ses fornications; elle a recherché avec emportement les embrassements de ceux qui ont le membre comme un âne, et qui répandent leur semence comme des chevaux..... Ces descriptions, qui effarouchent tant d'esprits faibles, ne signifient pourtant que les iniquités de Jérusalem et de Samarie; les expressions qui nous paraissent libres ne l'étaient point alors. La même naïveté se montre sans crainte dans plus d'un endroit de l'Écriture. Il est souvent parlé d'ouvrir la vulve. Les termes dont elle se sert pour exprimer l'accouplement de Booz avec Ruth, de Juda avec sa belle-fille, ne sont point déshonnêtes en hébreu, et le seraient en notre langue.

On ne se couvre point d'un voile quand on n'a pas honte de sa nudité; comment dans ces temps-là aurait-on rougi de nommer les génitoires, puisqu'on touchait les génitoires de ceux à qui l'on faisait quelque promesse ? c'était une marque de respect, un symbole de fidélité, comme autrefois parmi nous les seigneurs châtelains mettaient leurs mains entre celles de leurs seigneurs paramonts '.

Nous avons traduit les génitoires par cuisse. Éliézer met la main sous la cuisse d'Abraham; Joseph met la main sous la cuisse de Jacob. Cette coutume était fort ancienne en Egypte. Les Égyptiens étaient si éloignés d'attacher de la turpitude à ce que nous n'osons ni découvrir ni nommer, qu'ils portaient en procession une grande figure du membre viril nommé phallum, pour remercier les dieux de faire servir ce membre à la propagation du genre humain.

Tout cela prouve assez que nos bienséances ne sont pas les bienséances des autres peuples. Dans quel temps y a-t-il eu chez les Romains plus de politesse que du temps du siècle d'Auguste? cependant Horace ne fait nulle difficulté de dire dans une pièce morale

Nec vereor ne, dum futuo, vir rure recurrat.

Liv. I, sat. II, vers 127.

Auguste se sert de la même expression dans une épigramme contre Fulvie.

Un homme qui prononcerait parmi nous le mot qui répond à futuo serait regardé comme un crocheteur ivre; ce mot, et plusieurs autres dont se servent Horace et d'autres auteurs, nous paraît encore plus in

1. Suzerains. (Éd. de Kehl.)

décent que les expressions d'Ezéchiel. Défaisons-nous de tous nos préjugés quand nous lisons d'anciens auteurs, ou que nous voyageons chez des nations éloignées. La nature est la même partout, et les usages partout différents.

Je rencontrai un jour dans Amsterdam un rabbin tout plein de ce chapitre. «<Ah! mon ami, dit-il, que nous vous avons obligation! vous avez fait connaître toute la sublimité de la loi mosaïque, le déjeuner d'Ezéchiel, ses belles attitudes sur le côté gauche; Oolla et Ooliba sont des choses admirables; ce sont des types, mon frère, des types qui figurent qu'un jour le peuple juif sera maître de toute la terre; mais pourquoi en avez-vous omis tant d'autres qui sont à peu près de cette force? pourquoi n'avez-vous pas représenté le Seigneur disant au sage Osée, dès le second verset du premier chapitre : « Osée, prends une « fille de joie, et fais-lui des fils de fille de joie. » Ce sont ses propres paroles. Osée prit la demoiselle, il en eut un garçon, et puis une fille, et puis encore un garçon; et c'était un type, et ce type dura trois années. « Ce n'est pas tout, dit le Seigneur au troisième chapitre : va<< t'en prendre une femme qui soit non-seulement débauchée, mais << adultère. » Osée obéit; mais il lui en coûta quinze écus et un setier et demi d'orge; car vous savez que dans la terre promise il y avait très-peu de froment. Mais savez-vous ce que tout cela signifie?—Non, lui dis-je. Ni moi non plus, » dit le rabbin.

Un grave savant s'approcha, et nous dit que c'étaient des fictions ingénieuses et toutes remplies d'agrément. « Ah! monsieur, lui répondit un jeune homme fort instruit, si vous voulez des fictions, croyez-moi, préférez celles d'Homère, de Virgile et d'Ovide. Quiconque aime les prophéties d'Ézéchiel mérite de déjeuner avec lui. »

ÉZOURVEIDAM. Qu'est-ce donc que cet Ézourvetdam qui est à la Bibliothèque du roi de France? C'est un ancien commentaire, qu'un ancien brame composa autrefois avant l'époque d'Alexandre sur l'ancien Veidam, qui était lui-même bien moins ancien que le livre du Shasta.

Respectons, vous dis-je, tous ces anciens Indiens. Ils inventèrent le jeu des échecs, et les Grecs allaient apprendre chez eux la géométrie. Cet Ézourveidam fut en dernier lieu traduit par un brame, correspondant de la malheureuse compagnie française des Indes. Il me fut rapporté au mont Krapack, où j'observe les neiges depuis longtemps; et je l'envoyai à la grande Bibliothèque royale de Paris, où il est mieux placé que chez moi.

Ceux qui voudront le consulter verront qu'après plusieurs révolutions produites par l'Eternel, il plut à l'Eternel de former un homme qui s'appelait Adimo, et une femme dont le nom répondait à celui de la vie.

Cette anecdote indienne est-elle prise des livres juifs? les Juifs l'ontils copiée des Indiens? ou peut-on dire que les uns et les autres l'ont écrite d'original, et que les beaux esprits se rencontrent?

Il n'était pas permis aux Juifs de penser que leurs écrivains eussent

rien puisé chez les brachmanes, dont ils n'avaient pas entendu parler. Il ne nous est pas permis de penser sur Adam autrement que les Juifs. Par conséquent je me tais, et je ne pense point.

FABLE. Il est vraisemblable que les fables dans le goût de celles qu'on attribue à Esope, et qui sont plus anciennes que lui, furent inventées en Asie par les premiers peuples subjugués; des hommes libres n'auraient pas eu toujours besoin de déguiser la vérité; on ne peut guère parler à un tyran qu'en paraboles, encore ce détour même est-il dangereux.

Il se peut très-bien aussi que, les hommes aimant naturellement les images et les contes, les gens d'esprit se soient amusés à leur en faire sans aucune autre vue. Quoi qu'il en soit, telle est la nature de l'homme, que la fable est plus ancienne que l'histoire.

Chez les Juifs, qui sont une peuplade toute nouvelle' en comparaison de la Chaldée et de Tyr ses voisines, mais fort ancienne par rapport à nous, on voit des fables toutes semblables à celles d'Esope dès le temps des Juges; c'est-à-dire mille deux cent trente-trois ans avant notre ère, si on peut compter sur de telles supputations.

Il est donc dit dans les Juges que Gédéon avait soixante et dix fils, qui étaient << sortis de lui parce qu'il avait plusieurs femmes, » et qu'il eut d'une servante un autre fils nommé Abimélech.

Or, cet Abimélech écrasa sur une même pierre soixante et neuf de ses frères; selon la coutume; et les Juifs, pleins de respect et d'admiration pour Abimélech, allèrent le couronner roi sous un chêne auprès de la ville de Mello, qui d'ailleurs est peu connue dans l'histoire.

Joathan, le plus jeune des frères, échappé seul au carnage (comme il arrive toujours dans les anciennes histoires), harangua les Juifs; il leur dit que les arbres allèrent un jour se choisir un roi. On ne voit pas trop comment des arbres marchent; mais s'ils parlaient, ils pouvaient bien marcher. Ils s'adressèrent d'abord à l'olivier, et lui dirent: Règne. » L'olivier répondit : « Je ne quitterai pas le soin de mon huile pour régner sur vous. » Le figuier dit qu'il aimait mieux ses figues que l'embarras du pouvoir suprême. La vigne donna la préférence à ses raisins. Enfin les arbres s'adressèrent au buisson; le buisson répondit : « Je régnerai sur vous, je vous offre mon ombre; et si vous n'en voulez pas, le feu sortira du buisson et vous dévorera. »

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Il est vrai que la fable pèche par le fond, parce que le feu ne sort point d'un buisson; mais elle montre l'antiquité de l'usage des fables. Celle de l'estomac et des membres, qui servit à calmer une sédition dans Rome, il y a environ deux mille trois cents ans, est ingénieuse et sans défaut. Plus les fables sont anciennes, plus elles sont allégoriques.

1. Il est prouvé que la peuplade hébraïque n'arriva en Palestine que dans un temps où le Canaan avait déjà d'assez puissantes villes: Tyr, Sidon, Berith, florissaient. Il est dit que Josué détruisit Jericho et la ville des lettres, des ar chives, des écoles, appelée Cariath Sepher; donc les Juifs n'étaient alors que des étrangers qui portaient le ravage chez des peuples policés.

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