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César le débauché, qui vole le trésor public de Rome pour asservir sa patrie, mais dont la clémence égale la valeur, et dont l'esprit égale le courage;

Mahomet, imposteur, brigand, mais le seul des législateurs religieux qui ait eu du courage, et qui ait fondé un grand empire;

L'enthousiaste Cromwell, fourbe dans le fanatisme même, assassin de son roi en forme juridique, mais aussi profond politique que valeureux guerrier.

Mille contrastes se présentent souvent en foule, et ces contrastes sont dans la nature; ils ne sont pas plus étonnants qu'un beau jour suivi de la tempête.

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Des contradictions apparentes dans les livres. Il faut soigneusement distinguer dans les écrits, et surtout dans les livres sacrés, les contradictions apparentes et les réelles. Il est dit dans le Pentateuque que Moïse était le plus doux des hommes, et qu'il fit égorger vingttrois mille Hébreux qui avaient adoré le veau d'or, et vingt-quatre mille qui avaient ou épousé comme lui, ou fréquenté des femmes madianites; mais de sages commentateurs ont prouvé solidement que Moïse était d'un naturel très-doux, et qu'il n'avait fait qu'exécuter les vengeances de Dieu en faisant massacrer ces quarante-sept mille Israélites coupables, comme nous l'avons déjà vu.

Des critiques hardis ont cru apercevoir une contradiction dans le récit où il est dit que Moïse changea toutes les eaux de l'Égypte en sang, et que les magiciens de Pharaon firent ensuite le même prodige, sans que l'Exode mette aucun intervalle entre le miracle de Moïse et l'opération magique des enchanteurs.

Il paraît d'abord impossible que ces magiciens changent en sang ce qui est déjà devenu sang; mais cette difficulté peut se lever en supposant que Moïse avait laissé les eaux reprendre leur première nature, pour donner au pharaon le temps de rentrer en lui-même. Cette supposition est d'autant plus plausible, que si le texte ne la favorise pas expressément, il ne lui est pas contraire.

Les mêmes incrédules demandent comment tous les chevaux ayant été tués par la grêle dans la sixième plaie, Pharaon put poursuivre la nation juive avec de la cavalerie? Mais cette contradiction n'est pas même apparente, puisque la grêle, qui tua tous les chevaux qui étaient aux champs, ne put tomber sur ceux qui étaient dans les écuries.

Une des plus fortes contradictions qu'on ait cru trouver dans l'histoire des Rois, est la disette totale d'armes offensives et défensives chez les Juifs à l'avénement de Saul, comparée avec l'armée de trois cent trente mille combattants que Saül conduit contre les Ammonites qui assiégeaient Jabès en Galaad.

Il est rapporté en effet qu'alors1, et même après cette bataille, il n'y avait pas une lance, pas une seule épée chez tout le peuple hébreu;

1. II. Rois, chap. XIII, v. 22.

que les Philistins empêchaient les Hébreux de forger des épées et des lances; que les Hébreux étaient obligés d'aller chez les Philistins pour faire aiguiser le soc de leurs charrues', leurs hoyaux, leurs cognées, et leurs serpettes.

Cet aveu semble prouver que les Hébreux étaient en très-petit nombre, et que les Philistins étaient une nation puissante, victorieuse, qui tenait les Israélites sous le joug, et qui les traitait en esclaves; qu'enfin il n'était pas possible que Saül eût assemblé trois cent trente mille combattants, etc.

Le R. P. dom Calmet dit « qu'il est croyable qu'il y a un peu d'exagération dans ce qui est dit ici de Saül et de Jonathas; >> mais ce savant homme oublie que les autres commentateurs attribuent les premières victoires de Saül et de Jonathas à un de ces miracles évidents que Dieu daigna faire si souvent en faveur de son pauvre peuple. Jonathas, avec son seul écuyer, tua d'abord vingt ennemis; et les Philistins, étonnés, tournèrent leurs armes les uns contre les autres. L'auteur du livre des Rois dit positivement3 que ce fut comme un miracle de Dieu, accidit quasi miraculum a Deo. Il n'y a donc point là de contradiction.

Les ennemis de la religion chrétienne, les Celse, les Porphyre, les Julien, ont épuisé la sagacité de leur esprit sur cette matière. Des auteurs juifs se sont prévalus de tous les avantages que leur donnait la supériorité de leurs connaissances dans la langue hébraïque pour mettre au jour ces contradictions apparentes; ils ont été suivis même par des chrétiens tels que milord Herbert, Wollaston, Tindal, Toland, Collins, Shaftesbury, Woolston, Gordon, Bolingbroke, et plusieurs auteurs de divers pays. Fréret, secrétaire perpétuel de l'Académie des belles-lettres de France, le savant Leclerc même, Simon de l'Oratoire, ont cru apercevoir quelques contradictions qu'on pouvait attribuer aux copistes. Une foule d'autres critiques ont voulu relever et réformer des contradictions qui leur ont paru inexplicables.

On lit dans un livre dangereux fait avec beaucoup d'art : « Saint Matthieu et saint Luc donnent chacun une généalogie de Jésus-Christ différente; et pour qu'on ne croie pas que ce sont de ces différences légères qu'on peut attribuer à méprise ou inadvertance, il est aisé de s'en convaincre par ses yeux en lisant Matthieu au chap. 1, et Luc au chap. in on verra qu'il y a quinze générations de plus dans l'une que dans l'autre; que depuis David elles se séparent absolument; qu'elles se réunissent à Salathiel; mais qu'après son fils elles se séparent de nouveau, et ne se réunissent plus qu'à Joseph.

<< Dans la même généalogie, saint Matthieu tombe encore dans une contradiction manifeste; car il dit qu'Osias était père de Jonathan; et dans les Paralipomènes, livre I, chap. II, v. 11 et 12, on trouve trois générations entre eux: savoir, Joas, Amazias, Azarias, desquels

1. Chap. xm, v. 19, 20 et 21.

3. Chap. XIV, v. 15.

2. Note de dom Calmet sur le verset 19.

4. Analyse de la religion chrétienne, p. 22, attribuée à Saint-Evremond.

Luc ne parle pas plus que Matthieu. De plus, cette généalogie ne fait rien à celle de Jésus, puisque, selon notre loi, Joseph n'avait eu aucun commerce avec Marie. »

Pour répondre à cette objection faite depuis le temps d'Origène, et renouvelée de siècle en siècle, il faut lire Julius Africanus. Voici les deux généalogies conciliées dans la table suivante, telle qu'elle se trouve dans la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques.

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Il y a une autre manière de concilier les deux généalogies par saint Epiphane.

Suivant lui, Jacob Panther, descendu de Salomon, est père de Joseph et de Cléophas.

Joseph a de sa première femme six enfants, Jacques, Josué, Siméon, Juda, Marie, et Salomé.

Il épouse ensuite la Vierge Marie, mère de Jésus, fille de Joachim et d'Anne.

Il y a plusieurs autres manières d'expliquer ces deux généalogies. Voyez l'ouvrage de dom Calmet, intitulé: Dissertation où l'on essaye de concilier saint Matthieu avec saint Luc sur la généalogie de JésusChrist.

Les mêmes savants incrédules qui ne sont occupés qu'à comparer des dates, à examiner les livres et les médailles, à confronter les anciens auteurs, à chercher la vérité avec la prudence humaine, et qui perdent par leur science la simplicité de la foi, reprochent à saint Luc de contredire les autres Évangiles, et de s'être trompé dans ce qu'il avance sur la naissance du Sauveur. Voici comme s'en explique témérairement l'auteur de l'Analyse de la religion chrétienne (page 23):

« Saint Luc dit que Cyrénius avait le gouvernement de Syrie lorsque Auguste fit faire le dénombrement de tout l'empire. On va voir com

bien il se rencontre de faussetés évidentes dans ce peu de mots. 1o Tacite et Suétone, les plus exacts de tous les historiens, ne disent pas un mot du prétendu dénombrement de tout l'empire, qui assurément eût été un événement bien singulier, puisqu'il n'y en eut jamais sous aucun empereur; du moins aucun auteur ne rapporte qu'il y en ait eu. 2o Cyrénius ne vint dans la Syrie que dix ans après le temps marqué par Luc; elle était alors gouvernée par Quintilius Varus, comme Tertullien le rapporte, et comme il est confirmé par les médailles. >>

On avouera qu'en effet il n'y eut jamais de dénombrement de tout l'empire romain, et qu'il n'y eut qu'un cens de citoyens romains, selon l'usage. Il se peut que des copistes aient écrit dénombrement pour cens. A l'égard de Cyrénius, que les copistes ont transcrit Cyrinus, il est certain qu'il n'était pas gouverneur de la Syrie dans le temps de la naissance de notre Sauveur, et que c'était alors Quintilius Varus; mais il est très-naturel que Quintilius Varus ait envoyé en Judée ce même Cyrénius qui lui succéda, dix ans après, dans le gouvernement de la Syrie. On ne doit point dissimuler que cette explication laisse encore quelques difficultés.

Premièrement, le cens fait sous Auguste ne se rapporte point au temps de la naissance de Jésus-Christ.

Secondement, les Juifs n'étaient point compris dans ce sens. Joseph et son épouse n'étaient point citoyens romains. Marie ne devait donc point, dit-on, partir de Nazareth, qui est à l'extrémité de la Judée, à quelques milles du mont Thabor, au milieu du désert, pour aller accoucher à Bethléem, qui est à quatre-vingts milles de Nazareth.

Mais il se peut très-aisément que Cyrinus ou Cyrénius étant venu à Jérusalem de la part de Quintilius Varus pour imposer un tribut par tête, Joseph et Marie eussent reçu l'ordre du magistrat de Bethleem de venir se présenter pour payer le tribut dans le bourg de Bethléem, lieu de leur naissance; il n'y a rien là qui soit contradictoire.

Les critiques peuvent tâcher d'infirmer cette solution, en représentant que c'était Hérode seul qui imposait les tributs; que les Romains ne levaient rien alors sur la Judée, qu'Auguste laissait Hérode maître absolu chez lui, moyennant le tribut que cet Iduméen payait à l'empire. Mais on peut dans un besoin s'arranger avec un prince tributaire, et lui envoyer un intendant pour établir de concert avec lui la nouvelle taxe.

Nous ne dirons point ici, comme tant d'autres, que les copistes ont commis beaucoup de fautes, et qu'il y en a plus de dix mille dans la version que nous avons. Nous aimons mieux dire avec les docteurs et les plus éclairés, que les Évangiles nous ont été donnés pour nous enseigner à vivre saintement, et non pas à critiquer savamment.

Ces prétendues contradictions firent un effet bien terrible sur le déplorable Jean Meslier, curé d'Etrepigny et de But en Champagne : cet homme vertueux, à la vérité, et très-charitable, mais sombre et mélancolique, n'ayant guère d'autres livres que la Bible et quelques Pères, les lut avec une attention qui lui devint fatale; il ne fut pas assez docile, lui qui devait enseigner la docilité à son troupeau. Il vit

les contradictions apparentes, et ferma les yeux sur la conciliation. Il crut voir des contradictions affreuses entre Jésus né Juif, et ensuite reconnu Dieu; entre ce Dieu connu d'abord pour le fils de Joseph, charpentier, et le frère de Jacques, mais descendu d'un empyrée qui n'existe point, pour détruire le péché sur la terre, et la laissant couverte de crimes; entre ce Dieu né d'un vil artisan, et descendant de David par son père qui n'était pas son père; entre le créateur de tous les mondes, et le petit-fils de l'adultère Bethsabée, de l'impudente Ruth, de l'incestueuse Thamar, de la prostituée de Jéricho, et de la femme d'Abraham ravie par un roi d'Egypte, ravie ensuite à l'âge de quatre-vingt-dix ans.

Meslier étale avec une impiété monstrueuse toutes ces prétendues contradictions qui le frappèrent, et dont il lui aurait été aisé de voir la solution, pour peu qu'il eût eu l'esprit docile. Enfin sa tristesse s'augmentant dans sa solitude, il eut le malheur de prendre en horreur la sainte religion qu'il devait prêcher et aimer; et, n'écoutant plus que sa raison séduite, il abjura le christianisme par un testament olographe, dont il laissa trois copies à sa mort, arrivée en 1732. L'extrait de ce testament a été imprimé plusieurs fois, et c'est un scandale bien cruel. Un curé qui demande pardon à Dieu et à ses paroissiens, en mourant, de leur avoir enseigné des dogmes chrétiens! un curé charitable qui a le christianisme en exécration, parce que plusieurs chrétiens sont méchants, que le faste de Rome le révolte, et que les difficultés des saints livres l'irritent! un curé qui parle du christianisme comme Porphyre, Jamblique, Epictète, Marc-Aurèle, Julien ! et cela lorsqu'il est prêt de paraître devant Dieu! Quel coup funeste pour lui et pour ceux que son exemple peut égarer!

C'est ainsi que le malheureux prédicant Antoine, trompé par les contradictions apparentes qu'il crut voir entre la nouvelle loi et l'ancienne, entre l'olivier franc et l'olivier sauvage, eut le malheur de quitter la religion chrétienne pour la religion juive; et, plus hardi que Jean Meslier, il aima mieux mourir que se rétracter.

On voit, par le testament de Jean Meslier, que c'étaient surtout les contrariétés apparentes des Évangiles qui avaient bouleversé l'esprit de ce malheureux pasteur, d'ailleurs d'une vertu rigide, et qu'on ne peut regarder qu'avec compassion. Meslier est profondément frappé des deux généalogies qui semblent se combattre; il n'en avait pas v la conciliation; il se soulève, il se dépite, en voyant que saint Matthieu fait aller le père, la mère et l'enfant en Egypte, après avoir reçu l'hommage des trois mages ou rois d'Orient, et pendant que le vieil Hérode, craignant d'être détrôné par un enfant qui vient de naître à Bethléem, fait égorger tous les enfants du pays pour prévenir cette révolution. Il est étonné que ni saint Luc, ni saint Jean, ni saint Marc, ne parlent de ce massacre. Il est confondu quand il voit que saint Luc fait rester saint Joseph, la bienheureuse Vierge Marie, et Jésus notre Sauveur, à Bethléem, après quoi ils se retirèrent à Nazareth. Il devait voir que la sainte famille pouvait aller d'abord en Egypte, et quelque temps après à Nazareth sa patrie.

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