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fants, ainsi que dans les chevaux et dans les chiens. Voulez-vous que vos enfants se haïssent, caressez plutôt l'un que l'autre; le secret est infaillible. Il prétend que la première chose que font deux jeunes femmes qui se rencontrent est de se chercher des ridicules, et la seconde de se dire des flatteries.

Il croit que sans l'envie les arts seraient médiocrement cultivés, et que Raphaël n'aurait pas été un grand peintre s'il n'avait pas été jaloux de Michel-Ange.

Mandeville a peut-être pris l'émulation pour l'envie; peut-être aussi l'émulation n'est-elle qu'une envie qui se tient dans les bornes de la décence.

Michel-Ange pouvait dire à Raphaël : « Votre envie ne vous a porté qu'à travailler encore mieux que moi; vous ne m'avez point décrié, vous n'avez point cabalé contre moi auprès du pape, vous n'avez point tâché de me faire excommunier pour avoir mis des borgnes et des boiteux en paradis, et de succulents cardinaux avec de belles femmes nues comme la main en enfer, dans mon tableau du jugement dernier. Allez, votre envie est très-louable; vous êtes un brave envieux, soyons bons amis. »

Mais si l'envieux est un misérable sans talents, jaloux du mérite comme les gueux le sont des riches; si, pressé par l'indigence comme par la turpitude de son caractère, il vous fait des Nouvelles du Parnasse', des Lettres de Mme la Comtesse, des Années littéraires 2, cet animal étale une envie qui n'est bonne à rien, et dont Mandeville ne pourra jamais faire l'apologie.

On demande pourquoi les anciens croyaient que l'œil de l'envieux ensorcelait les gens qui le regardaient. Ce sont plutôt les envieux qui sont ensorcelés.

Descartes dit que « l'envie pousse la bile jaune qui vient de la partie inférieure du foie, et la bile noire qui vient de la rate, laquelle se répand du cœur par les artères, etc. » Mais comme nulle espèce de bile ne se forme dans la rate, Descartes, en parlant ainsi, semblait ne pas trop mériter qu'on portât envie à sa physique.

Un certain Voët ou Voëtius, polisson en théologie, qui accusa Descartes d'athéisme, était très-malade de la bile noire; mais il savait encore moins que Descartes comment sa détestable bile se répandait dans son sang.

Mme Pernelle a raison :

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.

Tartufe, acte V, sc. III. Mais c'est un bon proverbe, qu'il vaut mieux faire envie que pitie. Faisons donc envie autant que nous pourrons.

1. Le Nouvelliste du Parnasse, 1731, 2 vol. in-12, a pour auteurs les abbės Desfontaines et Granet. (Note de M. Beuchot.)

2. Les Lettres de Mme la comtesse *** (1746, in-12, réimprimées dans le tome II des Opuscules de l'auteur, en 1753), et l'Année littéraire, sont de Fréron. (Note de M. Beuchot.)

ÉPIGRAMME Ce mot veut dire proprement inscription; ainsi une épigramme devait être courte. Celles de l'Anthologie grecque sont pour la plupart fines et gracieuses; elles n'ont rien des images grossières que Catulle et Martial ont prodiguées, et que Marot et d'autres ont imitées. En voici quelques-unes traduites avec une brièveté dont on a souvent reproché à la langue française d'être privée. L'auteur est inconnu'.

SUR LES SACRIFICES A HERCULE.

Un peu de miel, un peu de lait,
Rendent Mercure favorable;

Hercule est bien plus cher, il est bien moins traitable;
Sans deux agneaux par jour il n'est point satisfait.
On dit qu'à mes moutons ce dieu sera propice.
Qu'il soit béni! mais, entre nous,

C'est un peu trop en sacrifice :

Qu'importe qui les mange, ou d'Hercule ou des loups?

SUR LAÏS, QUI REMIT SON MIROIR DANS LE TEMPLE DE VÊNUS.

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Je le donne à Vénus, puisqu'elle est toujours belle;

Il redouble trop mes ennuis :

Je ne saurais me voir dans ce miroir fidèle
Ni telle que j'étais, ni telle que je suis.

SUR UNE STATUE DE VÉNUS.

Oui, je me montrai toute nue
Au dieu Mars, au bel Adonis,
A Vulcain même, et j'en rougis;
Mais Praxitèle, où m'a-t-il vue?

SUR UNE STATUE DE NIOBÉ.

Le fatal courroux des dieux
Changea cette femme en pierre;
Le sculpteur a fait bien mieux,
Il a fait tout le contraire.

SUR DES FLEURS, A UNE FILLE GRECQUE QUI PASSAIT
POUR ÊTRE FIÈRE.

Je sais bien que ces fleurs nouvelles
Sont loin d'égaler vos appas;

Ne vous enorgueillissez pas,

Le temps vous fanera comme elles.

1. C'est Voltaire lui-même. (ÉD.)

SUR LEANDRE QUI NAGEAIT VERS LA TOUR D'HÉFO.
PENDANT UNE TEMPÈTE.

(Épigramme imitée depuis par Martial.)

Léandre, conduit par l'Amour,
En nageant, disait aux orages :
« Laissez-moi gagner les rivages,
Ne me noyez qu'à mon retour. »

A travers la faiblesse de la traduction, il est aisé d'entrevoir la délicatesse et les grâces piquantes de ces épigrammes. Qu'elles sont différentes des grossières images trop souvent peintes dans Catulle et dans Martial!

At nunc pro cervo mentula supposita est.

Martial, III, 91.

Teque puta cunnos, uxor, habere duos.

Martial, XI, 44.

Marot en a fait quelques-unes, cù l'on retrouve toute l'aménité de la Grèce.

Plus ne suis ce que j'ai été
Et ne le saurois jamais être;
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les dieux.
O! si je pouvois deux fois naître,
Comment je te servirois mieux!

Sans le printemps et l'été qui font le saut par la fenêtre, cette épigramme serait digne de Callimaque.

Je n'oserais en dire autant de ce rondeau, que tant de gens de lettres ont si souvent répété.

Au bon vieux temps un train d'amour régnoit
Qui sans grand art et dons se démenoit,

Si qu'un bouquet donné d'amour profonde

C'étoit donner toute la terre ronde,

Car seulement au cœur on se prenoit;

Et si par cas à jouir on venoit,

Savez-vous bien comme on s'entretenoit?

Vingt ans, trente ans; cela duroit un monde
Au bon vieux temps.

Or est perdu ce qu'amour ordonnoit',

1. Il est évident qu'alors on prononçait tous les oi rudement, prenoit, demenoit, ordonnoit, et non pas ordonnait, démenait, prenait, puisque ces terminaisons rimaient avec oit. Il est évident encore qu'on se permettait les baillemenis, les hiatus.

Rien que pleurs feints, rien que changes on n'oit.
Qui voudra donc qu'à aimer je me fonde,
Il faut premier que l'amour on refonde,
Et qu'on la mène ainsi qu'on la menoit
Au bon vieux temps'.

Je dirais d'abord que peut-être ces rondeaux, dont le mérite est de répéter à la fin de deux couplets les mots qui commencent ce petit poëme, sont une invention gothique et puérile, et que les Grecs et les Romains n'ont jamais avili la dignité de leurs langues harmonieuses par ces niaiseries difficiles.

Ensuite je demanderais ce que c'est qu'un train d'amour qui règne, un train qui se démène sans dons. Je pourrais demander si venir à jouir par cas, sont des expressions délicates et agréables; si s'entretenir et se fonder à aimer ne tiennent pas un peu de la barbarie du temps que Marot adoucit dans quelques-unes de ses petites poésies.

Je penserais que refondre l'amour est une image bien peu convenable, que si on le refond on ne le mène pas; et je dirais enfin que les femmes pouvaient répliquer à Marot: «Que ne le refonds-tu toi-même? quel gré te saura-t-on d'un amour tendre et constant, quand il n'y aura point d'autre amour? »

Le mérite de ce petit ouvrage semble consister dans une facilité naïve; mais que de naïvetés dégoûtantes dans presque tous les ouvrages de la cour de François Ier!

2 Ton vieux couteau, Pierre Martel, rouillé,
Semble ton v.. jà retrait et mouillé;
Et le fourreau tant laid où tu l'engaînes,
C'est que toujours as aimé vieilles gaînes.
Quant à la corde à quoi il est lié,
C'est qu'attaché seras et marié.

Au manche aussi de corne connoît-on

Que tu seras cornu comme un mouton.
Voilà le sens, voilà la prophétie

De ton couteau dont je te remercie.

Est-ce un courtisan qui est l'auteur d'une telle épigramme? est-ce un matelot 'ivre dans un cabaret? Marot, malheureusement, n'en a que trop fait dans ce genre.

Les épigrammes qui ne roulent que sur des débauches de moines et sur des obscénités sont méprisées des honnêtes gens; elles ne sont goûtées que par une jeunesse effrénée, à qui le sujet plaît beaucoup plus que le style. Changez d'objets, mettez d'autres acteurs à la place, alors ce qui vous amusait paraîtra dans toute sa laideur.

ÉPIPHANIE.

sant.

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La visibilité, l'apparition, l'illustration, le reluiOn ne voit pas trop quel rapport ce mot peut avoir avec trois rois, ou trois mages, qui vinrent d'Orient conduits par une étoile.

1. Marot, rondeau LXIV. (ÉD.) 2. Id., épigr. ccIX. (ÉD.)

C'est apparemment cette étoile brillante qui valut à ce jour le titre d'Épiphanie.

On demande d'où venaient ces trois rois. Il y en avait un, dit-on, qui arrivait d'Afrique celui-là n'était donc pas venu de l'Orient. On dit que c'étaient trois mages; mais le peuple a toujours préféré trois rois. On célèbre partout la fête des rois, et nulle part celle des mages. On mange le gâteau des rois, et non pas le gâteau des mages. On crie Le roi boit! et non pas : Le mage boit!

D'ailleurs, comme ils apportaient avec eux beaucoup d'or, d'encens et de myrrhe, il fallait bien qu'ils fussent de très-grands seigneurs. Les mages de ce temps-là n'étaient pas fort riches. Ce n'était pas comme du temps du faux Smerdis.

Tertullien est le premier qui ait assuré que ces trois voyageurs étaient des rois. Saint Ambroise et saint Césaire d'Arles tiennent pour les rois; et on cite en preuve ces passages du psaume LXXI: « Les rois de Tarsis et des îles lui offriront des présents. Les rois d'Arabie et de Saba lui apporteront des dons. » Les uns ont appelé ces trois rois Magalat, Galgalat, Saraïm; les autres Athos, Satos, Paratoras. Les catholiques les connaissent sous le nom de Gaspard, Melchior, et Balthasar. L'évêque Osorius rapporte que ce fut un roi de Cranganor dans le royaume de Calicut qui entreprit ce voyage avec deux mages, et que ce roi, de retour dans son pays, bâtit une chapelle à la sainte Vierge. On demande combien ils donnèrent d'or à Joseph et à Marie. Plusieurs commentateurs assurent qu'ils firent les plus riches présents. Ils se fondent sur l'Évangile de l'enfance, dans lequel il est dit que Joseph et Marie furent volés en Egypte par Titus et Dumachus. Or, disent-ils, on ne les aurait pas volés s'ils n'avaient pas eu beaucoup d'argent. Ces deux voleurs furent pendus depuis; l'un fut le bon larron, et l'autre le mauvais larron. Mais l'Evangile de Nicodème leur donne d'autres noms; il les appelle Dimas et Gestas.

Le même Évangile de l'enfance dit que ce furent des mages et non pas des rois qui vinrent à Bethléem; qu'ils avaient été à la vérité conduits par une étoile; mais que l'étoile ayant cessé de paraître quand ils furent dans l'étable, un ange leur apparut en forme d'étoile pour leur en tenir lieu. Cet Évangile assure que cette visite des trois mages avait été prédite par Zoradasht, qui est le même que nous appelons Zo

roastre.

Suarez a recherché ce qu'était devenu l'or que présentèrent les trois rois, ou les trois mages. Il prétend que la somme devait être trèsforte, et que trois rois ne pouvaient faire un présent médiocre. Il dit que tout cet argent fut donné depuis à Judas, qui, servant de maître d'hôtel, devint un fripon et vola tout le trésor.

Toutes ces puérilités n'ont fait aucun tort à la fête de l'Epiphanie, qui fut d'abord instituée par l'Église grecque, comme le nom le porte, et ensuite célébrée par l'Église latine.

ÉPOPÉE. - Poëme épique. Puisque épos signifiait discours chez les Grecs, un poëme épique était donc un discours; et il était en vers,

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