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Quelques savants, voyant que chez les Juifs on avait des esprits de Python, en ont osé conclure que les Juifs n'avaient écrit que très-tard, et qu'ils avaient presque tout pris, dans les fables grecques; mais ce sentiment n'est pas soutenable.

Des autres sortiléges. Quand on est assez habile pour évoquer des morts avec des paroles, on peut à plus forte raison faire mourir des vivants, ou du moins les en menacer, comme le Médecin malgré lui dit à Lucas qu'il lui donnera la fièvre. Du moins il n'était pas douteux que les sorciers n'eussent le pouvoir de faire mourir les bestiaux; et il fallait opposer sortilège à sortilège pour garantir son bétail. Mais ne nous moquons point des anciens, pauvres gens que nous sommes, tis à peine de la barbarie! Il n'y a pas cent ans que nous avons fait brûler des sorciers dans toute l'Europe; et on vient encore de brûler une sorcière, vers l'an 1750, à Vurtzbourg. Il est vrai que certaines paroles et certaines cérémonies suffisent pour faire périr un troupeau de moutons, pourvu qu'on y ajoute de l'arsenic.

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L'Histoire critique des cérémonies superstitieuses, par Le Brun de l'Oratoire, est bien étrange; il veut combattre le ridicule des sortiléges, et il a lui-même le ridicule de croire à leur puissance. Il prétend que Marie Bucaille la sorcière, étant en prison à Valogne, parut à quelques lieues de là dans le même temps, selon le témoignage juridique du juge de Valogne. Il rapporte le fameux procès des bergers de Brie, condamnés à être pendus et brûlés par le parlement de Paris en 1691. Ces bergers avaient été assez sots pour se croire sorciers, et assez méchants pour mêler des poisons réels à leurs sorcelleries imaginaires.

Le P. Le Brun proteste' qu'il y eut beaucoup de surnaturel dans leur fait, et qu'ils furent pendus en conséquence. L'arrêt du parlement est directement contraire à ce que dit l'auteur. La cour déclare les accusés dûment atteints et convaincus de superstitions, d'impiétés, sacriléges, profanations, empoisonnements.

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L'arrêt ne dit pas que ce soient les profanations qui aient fait périr les animaux il dit que ce sont les empoisonnements. On peut commettre un sacrilége sans être sorcier, comme on empoisonne sans être sorcier.

D'autres juges firent brûler, à la vérité, le curé Gaufridi, et ils crurent fermement que le diable l'avait fait jouir de toutes ses pénitentes. Le curé Gaufridi croyait aussi en avoir obligation au diable; mais c'était en 1611 c'était dans le temps où la plupart de nos provinciaux n'étaient pas fort au-dessus des Caraïbes et des Nègres. Il y en a eu encore de nos jours quelques-uns de cette espèce, comme le jésuite Girard, l'ex-jésuite Nonotte, le jésuite Duplessis, l'ex-jésuite Malagrida; mais cette espèce de fous devient fort rare de jour en jour.

A l'égard de la lycanthropie, c'est-à-dire des hommes métamorphosés en loups par des enchantements, il suffit qu'un jeune berger ayant tué un ioup, et s'étant revêtu de sa peau, ait fait peur à de vieilles femmes,

1. Voy. le Procès des bergers de Brie, depuis la page 516.

pour que la réputation du berger devenu loup se soit répandue dans toute la province, et de là dans d'autres. Bientôt Virgile dira (Ecl. viii, v. 97):

His ego sæpe lupum fieri, et se condere silvis
Mærim, sæpe animas imis exire sepulcris.
Moeris devenu loup se cachait dans les bois :

Du creux de leurs tombeaux j'ai vu sortir des âmes.

Voir un homme loup est une chose curieuse; mais voir des âmes est encore plus beau. Des moines du Mont-Cassin ne virent-ils pas l'âme de saint Bénédict ou Benoît? Des moines de Tours ne virent-ils pas celle de saint Martin? Des moines de Saint-Denis ne virent-ils pas celle de Charles-Martel?

Enchantements pour se faire aimer. Il y en eut pour les filles et pour les garçons. Les Juifs en vendaient à Rome et dans Alexandrie, et ils en vendent encore en Asie. Vous trouverez quelques-uns de ces secrets dans le Petit-Albert; mais vous vous mettrez plus au fait, si vous lisez le plaidoyer' qu'Apulée composa lorsqu'il fut accusé par un chrétien, dont il avait épousé la fille, de l'avoir ensorcelée par des philtres. Son beau-père Émilien prétendait qu'Apulée s'était servi principalement de certains poissons, attendu que Vénus étant née de la mer, les poissons devaient exciter prodigieusement les femmes à l'a

mour.

On se servait d'ordinaire de verveine, de ténia, de l'hippomane, qui n'était autre chose qu'un peu de l'arrière-faix d'une jument lorsqu'elle produit son poulain, d'un petit oiseau nommé parmi nous hochequeue, en latin, motacilla.

Mais Apulée était principalement accusé d'avoir employé des coquillages, des pattes d'écrevisse, des hérissons de mer, des huftres cannelées, du calmar, qui passe pour avoir beaucoup de semence, etc.

Apulée fait assez entendre quel était le véritable philtre qui avait engagé Pudentilla à se donner à lui. Il est vrai qu'il avoue dans son plaidoyer que sa femme l'avait appelé un jour magicien. « Mais quoi ! dit-il, si elle m'avait appelé consul, serais-je consul pour cela? »

Le satyrion fut regardé chez les Grecs et chez les Romains comme le philtre le plus puissant; on l'appelait la plante aphrodisia, racine de Vénus. Nous y ajoutons la roquette sauvage; c'est l'eruca des Latins: Et venerem revocans eruca morantem. Nous y mêlons surtout un peu d'essence d'ambre. La mandragore est passée de mode. Quelques vieux débauchés se sont servis de mouches cantharides, qui portent en effet aux. parties génitales, mais qui portent beaucoup plus à la vessie, qui l'excorient, et qui font uriner du sang ils ont été cruellement punis d'avoir voulu pousser l'art trop loin.

La jeunesse et la santé sont les véritables philtres.

1. Oratio de Magia. (ÉD.)

2. Martial. Ce vers n'est pas de Martial; c'est le vers 86 du Moretum, ouvrage attribué à Virgile. (ED.)

Le chocolat a passé pendant quelque temps pour ranimer la vigueur endormie de nos petits-maîtres vieillis avant l'âge; mais on aurait beau prendre vingt tasses de chocolat, on n'en inspirera pas plus de goût pour sa personne.

ENFER.

--

....Ut ameris, amabilis esto.

(OVID., A. A., II, 107.)

Pour être aimé, soyez aimable.

Inferum, souterrain : les peuples qui enterraient les morts les mirent dans le souterrain; leur âme y était donc avec eux. Telle est la première physique et la première métaphysique des Egyptiens et des Grecs.

Les Indiens, beaucoup plus anciens, qui avaient inventé le dogme ingénieux de la métempsycose, ne crurent jamais que les âmes fussent dans le souterrain.

Les Japonais, les Coréens, les Chinois, les peuples de la vaste Tartarie orientale et occidentale, ne surent pas un mot de la philosophie du souterrain.

Les Grecs, avec le temps, firent du souterrain un vaste royaume qu'ils donnèrent libéralement à Pluton et à Proserpine sa femme. Ils leur assignèrent trois conseillers d'Etat, trois femmes de charge, nommées les Furies, trois parques pour filer, dévider, et couper le fil de la vie des hommes; et comme dans l'antiquité chaque héros avait son chien pour garder sa porte, on donna à Pluton un gros chien qui avait trois têtes; car tout allait par trois. Des trois conseillers d'Etat, Minos, Eaque et Rhadamanthe, l'un jugeait la Grèce, l'autre l'Asie Mineure (car les Grecs ne connaissaient pas alors la grande Asie), le troisième était pour l'Europe.

Les poëtes ayant inventé ces enfers s'en moquèrent les premiers. Tantôt Virgile parle sérieusement des enfers dans l'Enéide, parce qu'alors le sérieux convient à son sujet; tantôt il en parle avec mépris dans ses Géorgiques (11, v. 490 et suiv.):

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum

Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari!

Heureux qui peut sonder les lois de la nature,
Qui des vains préjugés foule aux pieds l'imposture;
Qui regarde en pitié le Styx et l'Achéron,

Et le triple Cerbère, et la barque à Caron !

On déclamait sur le théâtre de Rome ces vers de la Troade (chœur du ir acte), auxquels quarante mille mains applaudissaient :

....Tænara et aspero

Regnum sub domino, limen et obsidens
Custos non facili Cerberus ostio,
Rumores vacui, verbaque inania,
Et par sollicito fabula somnio.

Le palais de Pluton, son portier à trois têtes,
Les couleuvres d'enfer à mordre toujours prêtes,
Le Styx, le Phlégéthon, sont des contes d'enfants,
Des songes importuns, des mots vides de sens.

Lucrèce, Horace, s'expriment avec la même force: Cicéron, Sénèque, en parlent de même en vingt endroits. Le grand empereur MarcAurèle raisonne encore plus philosophiquement qu'eux tous1: « Celui qui craint la mort, craint ou d'être privé de tous sens, ou d'éprouver d'autres sensations. Mais si tu n'as plus tes sens, tu ne serás plus sujet à aucune peine, à aucune misère: si tu as des sens d'une autre espèce, tu seras une autre créature. »

Il n'y avait pas un mot à répondre à ce raisonnement dans la philosophie profane. Cependant, par la contradiction attachée à l'espèce humaine, et qui semble faire la base de notre nature, dans le temps même que Cicéron disait publiquement : « Il n'y a point de vieille femme qui croie ces inepties,» Lucrèce avouait que ces idées faisaient une grande impression sur les esprits; il vient, dit-il, pour les détruire.

....Si certam finem esse viderent

Erumnarum homines, aliqua ratione valerent
Relligionibus atque minis obsistere vatum.
Nunc ratio nulla est restandi, nulla facultas:
Eternas quoniam pœnas in morte timendum.
(LUCR., I, v. 108 et seq.)

Si l'on voyait du moins un terme à son malheur,
On soutiendrait sa peine, on combattrait l'erreur,
On pourrait supporter le fardeau de la vie;

Mais d'un plus grand supplice elle est, dit-on, suivie :
Après de tristes jours on craint l'éternité.

Il était donc vrai que parmi les derniers du peuple, les uns riaient de l'enfer, les autres en tremblaient. Les uns regardaient Cerbère, les Furies, et Pluton, comme des fables ridicules; les autres ne cessaient de porter des offrandes aux dieux infernaux. C'était tout comme chez

nous :

Et quocumque tamen miseri venere, parentant,
Et nigras mactant pecudes, et Manibu' divis
Inferias mittunt, multoque in rebus acerbis
Acrius advertunt animos ad relligionem.

(LUCR., III, v. 51-54.)

Ils conjurent ces dieux qu'ont forgés nos caprices;
Ils fatiguent Pluton de leurs vains sacrifices;

Le sang d'un bélier noir coule sous leurs couteaux:
Plus ils sont malheureux, et plus ils sont dévots.

Plusieurs philosophes qui ne croyaient pas aux fables des enfers,

1. Liv. VIII, no 62.

voulaient que la populace fût contenue par cette croyance. Tel fut Timée de Locres, tel fut le politique historien Polybe. « L'enfer, dit-il, est inutile aux sages, mais nécessaire à la populace insensée. »

Il est assez connu que la loi du Pentateuque n'annonça jamais un enfer'. Tous les hommes étaient plongés dans ce chaos de contradictions et d'incertitudes quand Jésus-Christ vint au monde. Il confirma la doctrine ancienne de l'enfer; non pas la doctrine des poëtes païens, non pas celle des prêtres égyptiens, mais celle qu'adopta le christianisme, à laquelle il faut que tout cède. Il annonça un royaume qui allait venir, et un enfer qui n'aurait point de fin.

Il dit expressément à Capharnaüm en Galilée 2: « Quiconque appellera son frère Raca sera condamné par le sanhédrin; mais celui qui l'appellera fou sera condamné au gehenei eimom, gehenne du feu. »

Cela prouve deux choses premièrement, que Jésus-Christ ne voulait pas qu'on dit des injures; car il n'appartenait qu'à lui, comme maître, d'appeler les prévaricateurs pharisiens race de vipères.

Secondement, que ceux qui disent des injures à leur prochain méritent l'enfer; car la gehenna du feu était dans la vallée d'Ennom, où l'on brûlait autrefois des victimes à Moloch; et cette gehenna figure le feu d'enfer.

Il dit ailleurs3 : « Si quelqu'un sert d'achoppement aux faibles qui croient en moi, il vaudrait mieux qu'on lui mît au cou une meule asinaire, et qu'on le jetât dans la mer.

<< Et si ta main te fait achoppement, coupe-la; il est bon pour toi d'entrer manchot dans la vie, plutôt que d'aller dans la gehenna du feu inextinguible, où le ver ne meurt point et où le feu ne s'éteint point.

« Et si ton pied te fait achoppement, coupe ton pied; il est bon d'entrer boiteux dans la vie éternelle, plutôt que d'être jeté avec tes deux pieds dans la gehenna inextinguible, où le ver ne meurt point, et où le feu ne s'éteint point.

1. Dans le Dictionnaire encyclopédique, l'auteur de l'article théologique Enfer (l'abbé Mallet, ED.) semble se méprendre étrangement en citant le Deutéronome, au chap. XXXII, v. 22 et suivants; il n'y est pas plus question d'enfer de mariage et de danse. On fait parler Dieu ainsi: «Ils m'ont provoqué dans celui qui n'était pas leur Dieu, et ils m'ont irrité dans leurs vanités, et moi je les provoquerai dans celui qui n'est pas mon peuple, et je les irriterai dans une nation folle. Un feu s'est allume dans ma fureur, et il brûlera jusqu'au bord du souterrain, et il dévorera la terre avec ses germes, et il brûlera les racines des montagnes. J'accumulerai les maux sur eux; je viderai sur eux mes flèches; je les ferai mourir de faim; les oiseaux les dévoreront d'une morsure amère; j'enverrai contre eux les dents des bêtes avec la fureur des reptiles et des serpents. Le glaive les dévastera au dehors, et la frayeur au dedans, eux et les garçons, et les filles, et les enfants à la mamelle, avec les vieillards. »

Y a-t-il là, s'il vous plait, rien qui désigne les châtiments après la mort? Des herbes sèches, des serpents qui mordent, des filles et des enfants qu'on tue, ressemblent-ils à l'enfer? N'est-il pas honteux de tronquer un passage pour y trouver ce qui n'y est pas? Si l'auteur s'est trompé, on lui pardonne; s'il a voulu tromper, il est inexcusable.

2. Matthieu, chap. v, v. 22. — 3. Marc, chap. IX, v. 41 et suiv.

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