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mouvement involontaire; le murmure d'acclamation et de surprise fut si fort qu'il troubla l'orateur, et ce trouble ne servit qu'à augmenter le pathétique de ce morceau; le voici : « Je suppose que ce soit ici notre dernière heure à tous, que les cieux vont s'ouvrir sur nos têtes, que le temps est passé, et que l'éternité commence, que Jésus-Christ va paraître pour nous juger selon nos œuvres, et que nous sommes tous ici pour attendre de lui l'arrêt de la vie ou de la mort éternelle : je vous le demande, frappé de terreur comme vous, ne séparant point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même situation où nous devons tous paraître un jour devant Dieu notre juge; si Jésus-Christ, dis-je, paraissait dès à présent pour faire la terrible séparation des justes et des pécheurs, croyez-vous que le plus grand nombre fût sauvé? croyez-vous que le nombre des justes fût au moins égal à celui des pécheurs? croyez-vous que s'il faisait maintenant la discussion des œuvres du grand nombre qui est dans cette église, il trouvât seulement dix justes parmi nous? En trouverait-il un seul?» (11 y a eu plusieurs éditions différentes de ce discours; mais le fond est le mème dans toutes).

Cette figure, la plus hardie qu'on ait jamais employée, et en même temps la plus à sa place, est un des plus beaux traits d'éloquence qu'on puisse lire chez les nations anciennes et modernes ; et le reste du discours n'est pas indigne de cet endroit si saillant. De pareils chefsd'œuvre sont très-rares; tout est d'ailleurs devenu lieu commun. Les prédicateurs qui ne peuvent imiter ces grands modèles feraient mieux de les apprendre par cœur et de les débiter à leur auditoire (supposé encore qu'ils eussent ce talent si rare de la déclamation), que de prêcher dans un style languissant des choses aussi rebattues qu'u tiles.

On demande si l'éloquence est permise aux historiens celle qui leur est propre consiste dans l'art de préparer les événements, dans leur exposition toujours élégante, tantôt vive et pressée, tantôt étendue et fleurie; dans la peinture vraie et forte des mœurs générales et des principaux personnages; dans les réflexions incorporées naturellement au récit, et qui n'y paraissent point ajoutées. L'éloquencé de Démosthène ne convient point à Thucydide; une harangue directe qu'on met dans la bouche d'un héros qui ne la prononça jamais, n'est guère qu'un beau défaut, au jugement de plusieurs esprits éclairés.

Si pourtant ces licences pouvaient quelquefois se permettre. voici une occasion où Mézerai, dans sa grande Histoire, semble obtenir grâce pour cette hardiesse approuvée chez les anciens; il est égal à eux pour le moins dans cet endroit c'est au commencement du règne de Henri IV, lorsque ce prince, avec très-peu de troupes, était pressé auprès de Dieppe par une armée de trente mille hommes, et qu'on lui conseillait de se retirer en Angleterre. Mézerai s'élève au-dessus de luimême en faisant parler ainsi le maréchal de Biron, qui d'ailleurs était un homme de génie, et qui peut fort bien avoir dit une partie de ce que 'historien lui attribue: « Quoi! sire, on vous conseille de monter

sur mer, comme s'il n'y avait pas d'autre moyen de conserver votre royaume que de le quitter! Si vous n'étiez pas en France, il faudrait percer au travers de tous les hasards et de tous les obstacles pour y venir et maintenant que vous y êtes, on voudrait que vous en sortissiez et vos amis seraient d'avis que vous fissiez de votre bon gré ce que le plus grand effort de vos ennemis ne saurait vous contraindre de faire! En l'état où vous êtes, sortir seulement de France pour vingtquatre heures, c'est s'en bannir pour jamais. Le péril, au reste, n'est pas si grand qu'on vous le dépeint; ceux qui nous pensent envelopper sont ou ceux mêmes que nous avons tenus enfermés si lâchement dans Paris, ou gens qui ne valent pas mieux, et qui auront plus d'affaires entre eux-mêmes que contre nous. Enfin, sire, nous sommes en France, il nous y faut enterrer : il s'agit d'un royaume, il faut l'emporter ou y perdre la vie; et quand même il n'y aurait point d'autre sûreté pour votre sacrée personne que la fuite, je sais bien que vous aimeriez mieux mille fois mourir de pied ferme que de vous sauver par ce moyen. Votre Majesté ne souffrirait jamais qu'on dise qu'un cadet de la maison de Lorraine lui aurait fait perdre terre; encore moins qu'on le vît mendier à la porte d'un prince étranger. Non, non, sire, il n'y a ni couronne ni honneur pour vous au delà de la mer; si vous allez au-devant du secours d'Angleterre, il reculera; si vous vous présentez au port de la Rochelle en homme qui se sauve, vous n'y trouverez que des reproches et du mépris. Je ne puis croire que vous deviez plutôt fier votre personne à l'inconstance des flots et à la merci de l'étranger, qu'à tant de braves gentilshommes et tant de vieux soldats qui sont prêts à lui servir de remparts et de boucliers; et je suis trop serviteur de Votre Majesté, pour lui dissimuler que si elle cherchait sa sûreté ailleurs que dans leur vertu, ils seraient obligés de chercher la leur dans un autre parti que dans le

sien. »

Ce discours fait un effet d'autant plus beau, que Mézerai met ici en effet dans la bouche du maréchal de Biron ce que Henri IV avait dans le cœur.

Il y aurait encore bien des choses à dire sur l'éloquence, mais les livres n'en disent que trop; et dans un siècle éclairé, le génie aidé des exemples en sait plus que n'en disent tous les maîtres.

EMBLÈME. Figure, allégorie, symbole, etc. Tout est emblème et figure dans l'antiquité. On commence en Chaldée par mettre un bélier, deux chevreaux, un taureau, dans le ciel, pour marquer les productions de la terre au printemps. Le feu est le symbole de la Divinité dans la Perse; le chien céleste avertit les Egyptiens de l'inondation du Nil; le serpent qui cache sa queue dans sa tête devient l'image de l'éternité. La nature entière est peinte et déguisée.

Vous retrouvez encore dans l'Inde plusieurs de ces anciennes statues effrayantes et grossières dont nous avons déjà parlé, qui représentent la vertu munie de dix grands bras avec lesquels elle doit combattre les vices, et que nos pauvres missionnaires ont prise pour le portrait du

diable, ne doutant pas que tous ceux qui ne parlaient pas français ou italien n'adorassent le diable.

Mettez tous ces symboles de l'antiquité sous les yeux de l'homme du sens le plus droit, qui n'en aura jamais entendu parler, il n'y comprendra rien : c'est une langue qu'il faut apprendre.

Les anciens poëtes théologiens furent dans la nécessité de donner des yeux à Dieu, des mains, des pieds; de l'annoncer sous la figure d'un homme.

Saint Clément d'Alexandrie' rapporte ces vers de Xénophane le Colophonien, dignes de toute notre attention :

Grand Dieu! quoi que l'on fasse, et quoi qu'on ose feindre,
On ne peut te comprendre, et moins encor te peindre.
Chacun figure en toi ses attributs divers :

Les oiseaux te feraient voltiger dans les airs,
Les bœufs te prêteraient leurs cornes menaçantes,
Les lions t'armeraient de leurs dents déchirantes,
Les chevaux dans les champs te feraient galoper.

On voit par ces vers de Xénophane que ce n'est pas d'aujourd'hui que les hommes ont fait Dieu à leur image. L'ancien Orphée de Thrace, ce premier théologien des Grecs, fort antérieur à Homère, s'exprime ainsi, selon le même Clément d'Alexandrie :

Sur son trône éternel, assis dans les nuages,
Immobile, il régit les vents et les orages;

Ses pieds pressent la terre; et du vague des airs
Sa main touche à la fois aux rives des deux mers;

Il est principe, fin, milieu de toutes choses.

Tout étant donc figure et emblème, les philosophes, et surtout ceux qui avaient voyagé dans l'Inde, employèrent cette méthode; leurs préceptes étaient des emblèmes, des énigmes.

<< N'attisez pas le feu avec une épée, » c'est-à-dire n'irritez point des hommes en colère.

<< Ne mettez point la lampe sous le boisseau. » vérité aux hommes.

Ne cachez point la

<< Abstenez-vous des fèves. » — Fuyez souvent les assemblées publiques, dans lesquelles on donnait son suffrage avec des fèves blanches ou noires.

α N'ayez point d'hirondelles dans votre maison. » — Qu'elle ne soit point remplie de babillards.

<< Dans la tempête adorez l'écho. »- Dans les troubles civils retirezvous à la campagne.

<< N'écrivez point sur la neige.

mous et faibles.

D

N'enseignez point les esprits

<< Ne mangez ni votre cœur ni votre cervelle. » →→ au chagrin ni à des entreprises trop difficiles, etc.

1. Stromates, liv. V.

Ne vous livrez ni

Telles sont les maximes de Pythagore, dont le sens n'est pas

à comprendre.

difficile

Le plus beau de tous les emblèmes est celui de Dieu, que Timée de Locres figure par cette idée : « Un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Platon adopta cet emblème; Pascal l'avait inséré parmi les matériaux dont il voulait faire usage, et qu'on a intitulés ses Pensées.

En métaphysique, en morale, les anciens ont tout dit. Nous nous rencontrons avec eux, ou nous les répétons. Tous les livres modernes de ce genre ne sont que des redites.

Plus vous avancez dans l'Orient, plus vous trouvez cet usage des emblèmes et des figures établi; mais plus aussi ces images sont-elles éloignées de nos mœurs et de nos coutumes.

C'est surtout chez les Indiens, les Égyptiens, les Syriens, que les emblèmes qui nous paraissent les plus étranges étaient consacrés. C'est là qu'on portait en procession avec le plus profond respect les deux organes de la génération, les deux symboles de la vie. Nous en rions, nous osons traiter ces peuples d'idiots barbares, parce qu'ils remerciaient Dieu innocemment de leur avoir donné l'être. Qu'auraient-ils dit, s'ils nous avaient vus entrer dans nos temples avec l'instrument de la destruction à notre côté?

A Thèbes, on représentait les péchés du peuple par un bouc. Sur la côte de Phénicie, une femme nue avec une queue de poisson était l'emblème de la nature.

Il ne faut donc pas s'étonner si cet usage des symboles pénétra chez les Hébreux, lorsqu'ils eurent formé un corps de peuple dans le désert de la Syrie.

De quelques emblèmes dans la nation juive. Un des plus beaux emblèmes des livres judaïques est ce morceau de l'Ecclésiaste :

"

Quand les travailleuses au moulin seront en petit nombre et oisives, quand ceux qui regardaient par les trous s'obscurciront. que l'amandier fleurira, que la sauterelle s'engraissera, que les câpres tomberont, que la cordelette d'argent se cassera, que la bandelette d'or se retirera..., et que la cruche se brisera sur la fontaine.... »

Cela signifie que les vieillards perdent leurs dents, que leur vue s'affaiblit, que leurs cheveux blanchissent comme la fleur de l'amandier, que leurs pieds s'enflent comme la sauterelle, que leurs cheveux tombent comme les feuilles du câprier, qu'ils ne sont plus propres à la génération, et qu'alors il faut se préparer au grand voyage.

Le Cantique des cantiques est, comme on sait, un emblème continuel du mariage de Jésus-Christ avec l'Église :

« Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche, car vos tetons sont meilleurs que du vin- qu'il mette sa main gauche sous ma tête, et qu'il m'embrasse de la main droite que tu es belle, ma chère! tes yeux sont des yeux de colombe - tes cheveux sont comme des troupeaux de chèvres, sans parler de ce que tu nous caches--tes lèvres sont comme un petit ruban d'écarlate, tes joues sont comme des moitiés de pommes

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d'écarlate, sans parler de ce que tu nous caches- que ta gorge est belle! que tes lèvres distillent le miel! - Mon bien-aimé mit sa main au trou, et mon ventre tressaillit à ses attouchements

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ton nom

bril est comme une coupe faite au tour ton ventre est comme un monceau de froment entouré de lis- tes deux tetons sont comme deux faons gémeaux de chevreuil ton cou est comme une tour d'ivoire ton nez est comme la tour du mont Liban ta tête est comme le mont Carmel, ta taille est celle d'un palmier. J'ai dit, je monterai sur le palmier et je cueillerai de ses fruits. Que ferons-nous de notre petite sœur? elle n'a pas encore de tetons. Si c'est un mur, bâtissons dessus une tour d'argent; si c'est une porte, fermons-la avec du bois de cèdre. »

Il faudrait traduire tout le cantique pour voir qu'il est un emblème d'un bout à l'autre; surtout l'ingénieux dom Calmet démontre que le palmier sur lequel monte le bien-aimé, est la croix à laquelle on condamna Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais il faut avouer qu'une morale saine et pure est encore préférable à ces allégories.

On voit dans les livrés de ce peuple une foule d'emblèmes typiques qui nous révoltent aujourd'hui, et qui exercent notre incrédulité et notre raillerie, mais qui paraissaient communs et simples aux peuples asiatiques.

Dieu apparaît à Isaïe fils d'Amos, et lui dit1 : « Va, détache ton sac de tes reins, et tes sandales de tes pieds; » et il le fit ainsi, marchant tout nu et déchaux. Et Dieu dit : « Ainsi que mon serviteur Isaïe a marché tout nu et déchaux, comme un signe de trois ans sur l'Egypte et l'Ethiopie, ainsi le roi des Assyriens emmènera des captifs d'Egypte et d'Ethiopie, jeunes et vieux, les fesses découvertes, à la honte de l'Egypte. »

Cela nous semble bien étrange; mais informons-nous seulement de ce qui se passe encore de nos jours chez les Turcs et chez les Africains, et dans l'Inde où nous allons commercer avec tant d'acharnement et si peu de succès. On apprendra qu'il n'est pas rare de voir des santons, absolument nus, non-seulement prêcher les femmes, mais se laisser baiser les parties naturelles avec respect, sans que ces baisers inspirent ni à la femme ni au santon le moindre désir impudique. On verra sur les bords du Gange une foule innombrable d'hommes et de femmes nus de la tête jusqu'aux pieds, les bras étendus vers le ciel, attendre le moment d'une éclipse pour se plonger dans le fleuve.

Le bourgeois de Paris ou de Rome ne doit pas croire que le reste de la terre soit tenu de vivre et de penser en tout comme lui.

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Jérémie, qui prophétisait du temps de Joakim, melk de Jérusalem2, en faveur du roi de Babylone, se met des chaînes et des cordes au cou par ordre du Seigneur, et les envoie aux rois d'Edom, d'Ammon, de Tyr, de Sidon, par leurs ambassadeurs qui étaient venus à Jérusalem vers Sédécias; il leur ordonne de parler ainsi à leurs maîtres :

« Voici ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d'Israël; vous di

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