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femme sans l'ordre du pape avant Henri VIII, roi d'Angleterre, qui ne se passa du pape qu'après avoir longtemps sollicité son procès en cour de Rome.

Cette coutume, établie dans des temps d'ignorance, se perpétua dans les temps éclairés, par la seule raison qu'elle existait. Tout abus s'éternise de lui-même; c'est l'écurie d'Augias, il faut un Hercule pour la nettoyer.

Henri IV ne put être père d'un roi de France que par une sentence du pape encore fallut-il, comme on l'a déjà remarqué, non pas prononcer un divorce, mais mentir en prononçant qu'il n'y avait point eu de mariage.

DOGMES.

On sait que toute croyance enseignée par l'Église est un dogme qu'il faut embrasser. Il est triste qu'il y ait des dogmes reçus par l'Église latine, et rejetés par l'Église grecque. Mais si l'unanimité manque, la charité la remplace : c'est surtout entre les cœurs qu'il faudrait de la réunion.

Je crois que nous pouvons, à ce propos, rapporter un songe qui a déjà trouvé grâce devant quelques personnes pacifiques.

Le 18 février de l'an 1763 de l'ère vulgaire, le soleil entrant dans le signe des poissons, je fus transporté au ciel, comme le savent tous mes amis. Ce ne fut point la jument Borac de Mahomet qui fut ma monture; ce ne fut point le char enflammé d'Élie qui fut ma voiture; je ne fus porté ni sur l'éléphant de Sammonocodom le Siamois, ni sur le cheval de saint George patron de l'Angleterre, ni sur le cochon de saint Antoine : j'avoue avec ingénuité que mon voyage se fit je ne sais comment.

On croira bien que je fus ébloui; mais ce qu'on ne croira pas, c'est que je vis juger tous les morts. Et qui étaient les juges? C'étaient, ne vous en déplaise, tous ceux qui ont fait du bien aux hommes, Confucius, Solon, Socrate, Titus, les Antonins, Epictète, Charron, De Thou, le chancelier de L'Hospital; tous les grands hommes qui, ayant enseigné et pratiqué les vertus que Dieu exige, semblent seuls être en droit de prononcer ses arrêts.

Je ne dirai point sur quels trônes ils étaient assis, ni combien de millions d'êtres célestes étaient prosternés devant l'éternel architecte de tous les globes, ni quelle foule d'habitants de ces globes innombrables comparut devant les juges. Je ne rendrai compte ici que de quelques petites particularités tout à fait intéressantes dont je fus frappé.

Je remarquai que chaque mort qui plaidait sa cause, et qui étalait ses beaux sentiments, avait à côté de lui tous les témoins de ses actions. Par exemple, quand le cardinal de Lorraine se vantait d'avoir fait adopter quelques-unes de ses opinions par le concile de Trente, et que, pour prix de son orthodoxie, il demandait la vie éternelle, tout aussitôt paraissaient autour de lui vingt courtisanes ou dames de la cour, portant toutes sur le front le nombre de leurs rendez-vous avec le cardinal. On voyait ceux qui avaient jeté avec lui les fondements

de la Ligue; tous les complices de ses desseins pervers venaient l'envi

ronner.

Vis-à-vis du cardinal de Lorraine était Jean Chauvin, qui se vantait, dans son patois grossier, d'avoir donné des coups de pied à l'idole papale, après que d'autres l'avaient abattue. «J'ai écrit contre la peinture et la sculpture, disait-il; j'ai fait voir évidemment que les bonnes œuvres ne servent à rien du tout, et j'ai prouvé qu'il est diabolique de danser le menuet: chassez vite d'ici le cardinal de Lorraine, et placezmoi à côté de saint Paul. »

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Comme il parlait, on vit auprès de lui un bûcher enflammé; un spectre épouvantable, portant au cou une fraise espagnole à moitié brûlée, sortait du milieu des flammes avec des cris affreux. « Monstre, s'écriait-il, monstre exécrable, tremble! reconnais ce Servet que tu as fait périr par le plus cruel des supplices, parce qu'il avait disputé contre toi sur la manière dont trois personnes peuvent faire une seule substance.» Alors tous les juges ordonnèrent que le cardinal de Lorraine serait précipité dans l'abîme, mais que Calvin serait puni plus rigoureu⚫sement'.

Je vis une foule prodigieuse ds morts qui disaient: « J'ai cru, j'ai cru; mais sur leur front il était écrit: « J'ai fait; » et ils étaient condamnés.

Le jésuite Le Tellier paraissait fièrement, la bulle Unigenitus à la main. Mais à ses côtés s'éleva tout d'un coup un monceau de deux mille lettres de cachet. Un janséniste y mit le feu: Le Tellier fut brûlé jusqu'aux os; et le janséniste, qui n'avait pas moins cabalé que le jésuite, eut sa part de la brûlure.

Je voyais arriver à droite et à gauche des troupes de fakirs, de talapoins, de bonzes, de moines blancs, noirs, et gris, qui s'étaient tous imaginé que, pour faire leur cour à l'Être suprême, il fallait ou chanter, ou se fouetter, ou marcher tout nus. J'entendis une voix terrible qui leur demanda : « Quel bien avez-vous fait aux hommes ? » A cette voix succéda un morne silence; aucun n'osa répondre, et ils furent tous conduits aux Petites- Maisons de l'univers : c'est un des plus grands bâtiments qu'on puisse imaginer.

L'un criait : « C'est aux métamorphoses de Xaca qu'il faut croire ; » l'autre « C'est à celles de Sammonocodom. - Bacchus arrêta le soleil et la lune, disait celui-ci. Les dieux ressuscitèrent Pélops, disait celuilà. Voici la bulle in Cand Domini, » disait un nouveau venu; et l'huissier des juges criait : «< Aux Petites-Maisons, aux Petites-Maisons! »

Quand tous ces procès furent vidés, j'entendis alors promulguer cet arrêt « DE PAR L'ÉTERNEL CRÉATEUR, CONSERVATEUR, RÉMUNÉRATEUR, VENGEUR, PARDONNEUR, etc., soit notoire à tous les habitants des cent mille millions de milliards de mondes qu'il nous a plu de former, que nous ne jugerons jamais aucun desdits habitants sur leurs idées creuses, mais uniquement sur leurs actions; car telle est notre justice.

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1. Cela n'est pas juste; le cardinal de Lorraine avait allumé plus de bûchers que Calvin. (Ed. de Kehl.)

J'avoue que ce fut la première fois que j'entendis un tel édit : tous ceux que j'avais lus sur le petit grain de sable où je suis né finissant par ces mots : Car tel est notre plaisir.

DONATIONS.- La république romaine, qui s'empara de tant d'États, en donna aussi quelques-uns.

Scipion fit Massinisse roi de Numidie.

Lucullus, Sylla, Pompée, donnèrent une demi - douzaine de

royaumes.

Cléopatre reçut l'Egypte de César; Antoine, et ensuite Octave, donnèrent le petit royaume de Judée à Hérode.

Sous Trajan, on frappa la fameuse médaille regna assignata, les royaumes accordés.

Des villes, des provinces données en souveraineté à des prêtres, à des colléges, pour la plus grande gloire de Dieu ou des dieux, c'est ce qu'on ne voit dans aucun pays.

Mahomet et les califes ses vicaires prirent beaucoup d'États pour la propagation de leur foi, mais on ne leur fit aucune donation; ils ne tenaient rien que de leur Alcoran et de leur sabre.

La religion chrétienne, qui fut d'abord une société de pauvres, ne vécut longtemps que d'aumônes. La première donation est celle d'Anania et de Saphira sa femme: elle fut en argent comptant, et ne réussit pas aux donateurs.

Donation de Constantin. La célèbre donation de Rome et de toute l'Italie au pape Sylvestre, par l'empereur Constantin, fut soutenue comme une partie du symbole jusqu'au xvIe siècle. Il fallait croire que Constantin, étant à Nicomédie, fut guéri de la lèpre à Rome par le baptême qu'il reçut de l'évêque Sylvestre (quoiqu'il ne fût point baptisé), et que pour récompense il donna sur-le-champ sa ville de Rome et toutes ses provinces occidentales à ce Sylvestre. Si l'acte de cette donation avait été dressé par le docteur de la comédie italienne, il n'aurait pas été plus plaisamment conçu. On ajoute que Constantin déclara tous les chanoines de Rome consuls et patrices, patricios et consules effici; qu'il tint lui-même la bride de la haquenée sur laquelle monta le nouvel empereur évêque, tenentes frenum equi illius.

Quand on fait réflexion que cette belle histoire a été en Italie une espèce d'article de foi, et une opinion révérée du reste de l'Europe pendant huit siècles, qu'on a poursuivi comme des hérétiques ceux qui en doutaient, il ne faut plus s'étonner de rien.

Donation de Pepin. Aujourd'hui on n'excommunie plus personne pour avoir douté que Pepin l'usurpateur ait donné et pu donner au pape l'exarchat de Ravenne; c'est tout au plus une mauvaise pensée, un péché véniel qui n'entraîne point la perte du corps et de l'âme. Voici ce qui pourrait excuser les jurisconsultes allemands qui ont des scrupules sur cette donation.

1o Le bibliothécaire Anastase, dont le témoignage est toujours cité, écrivait cent quarante ans après l'événement.

2° Il n'était point vraisemblable que Pepin, mal affermi en France, et à qui l'Aquitaine faisait la guerre, allât donner en Italie des Etats qu'il avouait appartenir à l'empereur résidant à Constantinople.

3o Le pape Zacharie reconnaissait l'empereur romain-grec pour souverain de ces terres disputées par les Lombards, et lui en avait prêté serment, comme il se voit par les lettres de cet évêque de Rome Zacharie à l'évêque de Mayence Boniface. Donc Pepin ne pouvait donner au pape les terres impériales.

4 Quand le pape Étienne II fit venir une lettre du ciel, écrite de la propre main de saint Pierre à Pepin, pour se plaindre des vexations du roi des Lombards Astolfe, saint Pierre ne dit point du tout dans sa lettre que Pepin eût fait présent de l'exarchat de Ravenne au pape; et certainement saint Pierre n'y aurait pas manqué, pour peu que la chose eût été seulement équivoque; il entend trop bien ses intérêts.

5o Enfin, on ne vit jamais l'acte de cette donation; et, ce qui est plus fort, on n'osa pas même en fabriquer un faux. Il n'est pour toute preuve que des récits vagues mêlés de fables. On n'a donc, au lieu de certitude, que des écrits de moines absurdes, copiés de siècle en siècle.

L'avocat italien qui écrivit, en 1722, pour faire voir qu'originairement Parme et Plaisance avaient été concédés au saint-siége comme une dépendance de l'exarchat, assure que « les empereurs grecs furent justement dépouillés de leurs droits, parce qu'ils avaient soulevé les peuples contre Dieu. » C'est de nos jours qu'on écrit ainsi! mais c'est à Rome. Le cardinal Bellarmin va plus loin: « Les premiers chrétiens, dit-il, ne supportaient les empereurs que parce qu'ils n'étaient pas les plus forts. » L'aveu est franc, et je suis persuadé que Bellarmin a raison.

Donation de Charlemagne. — Dans le temps que la cour de Rome croyait avoir besoin de titres, elle prétendit que Charlemagne avait confirmé la donation de l'exarchat, et qu'il y avait ajouté la Sicile, Venise, Bénévent, la Corse, la Sardaigne. Mais comme Charlemagne ne possédait aucun de ces États, il ne pouvait les donner; et quant à la ville de Ravenne, il est bien clair qu'il la garda, puisque dans son testament il fait un legs à sa ville de Ravenne, ainsi qu'à sa ville de Rome. C'est beaucoup que les papes aient eu Ravenne et la Romagne avec le temps; mais pour Venise, il n'y a point d'apparence qu'ils fassent valoir dans la place Saint-Marc le diplôme qui leur en accorde la souveraineté.

On a disputé pendant des siècles sur tous ces actes, instruments, diplômes. Mais c'est une opinion constante, dit Giannone, ce martyr de la vérité, que toutes ces pièces furent forgées du temps de Grégoire VII: « E constante opinione presso i più gravi scrittori, che tutti questi instrumenti e diplomi furono supposti ne' tempi d'Ildebrando.

Donation de Bénévent par l'empereur Henri III. La première do1. Page 120, IIe partie. 2. Liv. IX, chap. II.

nation bien avérée qu'on ait faite au siége de Rome, fut celle de Bénévent; et ce fut un échange de l'empereur Henri III avec le pape Léon IX: il n'y manqua qu'une formalité, c'est qu'il eût fallu que l'empereur qui donnait Bénévent en fût le maître. Elle appartenait aux ducs de Bénévent, et les empereurs romains-grecs réclamaient leurs droits sur ce duché. Mais l'histoire n'est autre chose que la liste de ceux qui se sont accommodés du bien d'autrui.

Donation de la comtesse Mathilde.— La plus considérable des donations, et la plus authentique, fut celle de tous les biens de la fameuse comtesse Mathilde à Grégoire VII. C'était une jeune veuve qui donnait tout à son directeur. Il passe pour constant que l'acte en fut réitéré deux fois, et ensuite confirmé par son testament.

Cependant il reste encore quelque difficulté. On a toujours cru à Rome que Mathilde avait donné tous ses Etats, tous ses biens présents et à venir à son ami Grégoire VII, par un acte solennel, dans son château de Canossa, en 1077, pour le remède de son âme et de l'âme de ses parents. Et pour corroborer ce saint instrument, on nous en montre un second de l'an 1102, par lequel il est dit que c'est à Rome qu'elle a fait cette donation, laquelle s'est égarée, et qu'elle la renouvelle, et toujours pour le remède de son âme.

Comment un acte si important était-il égaré? la cour romaine estelle si négligente? comment cet instrument écrit à Canosse avait-il été écrit à Rome? que signifient ces contradictions? Tout ce qui est bien clair, c'est que l'âme des donataires se portait mieux que l'âme de la donatrice, qui avait besoin, pour se guérir, de se dépouiller de tout en faveur de ses médecins.

Enfin, voilà donc, en 1102, une souveraine réduite par un acte en forme à ne pouvoir pas disposer d'un arpent de terre; et depuis cet acte jusqu'à sa mort, en 1115, on trouve encore des donations de terres considérables, faites par cette même Mathilde à des chanoines et à des moines. Elle n'avait donc pas tout donné. Et enfin cet acte de 1102 pourrait bien avoir été fait après sa mort par quelque habile homme. La cour de Rome ajouta encore à tous ses droits le testament de Mathilde qui confirmait ses donations. Les papes ne produisirent jamais

ce testament.

Il fallait encore savoir si cette riche comtesse avait pu disposer de ses biens, qui étaient la plupart des fiefs de l'empire.

L'empereur Henri V, son héritier, s'empara de tout, ne reconnut ni testament, ni donations, ni fait, ni droit. Les papes, en temporisant, gagnèrent plus que les empereurs en usant de leur autorité; et, avec le temps, ces césars devinrent si faibles, qu'enfin les papes ont obtenu de la succession de Mathilde ce qu'on appelle aujourd'hui le patrimoine de Saint-Pierre.

Donation de la suzeraineté de Naples aux papes. - Les gentilshommes normands, qui furent les premiers instruments de la conquête de Naples et de Sicile, firent le plus bel exploit de chevalerie dont on ait jamais entendu parler. Quarante à cinquante hommes seulement délivrent VOLTAIRE. XIII

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