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Aussi bien, transporté du bonheur de ma flamme,
Déjà dans mon cerveau roule un épithalame,

Que, devant qu'il soit peu, je prétends mettre au net
Et donner au Mercure en paiement du sonnet.

(à part.)

Muse! évertuons-nous; ayons les yeux sans cesse Sur l'astre qui fait naître en ces lieux la tendresse; Cherche, en le contemplant, matière à tes crayons; Et que ton feu divin s'allume à ses rayons!

Que cette solitude est paisible et touchante ! J'y veux relire encor le sonnet qui m'enchante. (Il va s'asseoir à l'écart.)

MONDOR, à part,

Quelle tête! Il faut bien le prendre comme il est...
Voyons ce qui naîtra de ce jeu qui lui plaît.
L'assiduité peut, Lucile étant jolie jo
Lui faire de Quimper abjurer la folie.

(Il rentre dans la maison.)

SCENE IX.

DORANTE, LUCILE, DAMIS, à l'écart, et sans être vu de Dorante et de Lucile.

DORANTE, à Lucile.

A cet aveu si tendre, à de tels sentimens,
Que je viens d'appuyer du plus saint des sermens,
A tout ce que j'ai craint, madame, à ce que j'ose,
A vos charmes enfin plus qu'à toute autre chose,
Reconnoissez que j'aime ; et réparez l'erreur
D'un père qui m'exclut du don de votre cœur.
Je ne veux pour tout droit que sa volonté même.
Père équitable et tendre, il veut que l'on vous aime.

Dès que c'est à ce prix qu'il a mis votre foi,
Qui jamais vous pourra mériter mieux que moi?

LUCILE.

Mais enfin là-dessus qu'importe qu'on l'éclaire,
S'il ne vous en est pas pour cela moins contraire?
Et si, dès qu'il saura de qui vous êtes fils,
Nul espoir près de moi ne vous est plus permis?

DORANTE.

J'obtiendrai son aveu; rien ne m'est plus facile.
Mais parmi tant d'amans, adorable Lucile,
N'auriez-vous pas déjà nommé votre vainqueur?
LUCILE, tirant des vers de sa poche.

L'auteur seul de ces vers a su toucher mon cœur :
Je l'avoue; et pour lui me voilà déclarée.

DORANTE, apercevant Damis.

On nous écoute.

LUCILE.

Eh! c'est mopsieur de l'Empirécr

I.isons-les lui ces vers il en sera charmé.

DORANTE, à part.

Est-ce lui, juste ciel! ou moi qu'elle a nommé ?
LUCILE, à Damis.

Venez, monsieur, venez, pour qu'en votre présence
Nous discutions un fait de votre compétence;
Il s'agit d'une idylle, où j'ai quelque intérêt;
Et vous nous en direz votre avis, s'il vous plaît.

DORANTE.

Madame, on fait grand tort à messieurs les poëtes Quand on les interrompt dans leurs doctes retraites. Laissons donc celui-ci rêver en liberté,

Et détournons nos pas de cet autre côté.

DAMIS.

Le plus grand tort, monsieur, que l'on puisse nous faire,
C'est de priver nos yeux de ce qui peut leur plaire.
Peut-on penser si bien, étant seul en ces lieux,
Qu'étant avec madame on ne pense encor mieux?
Madame, je vous prête une oreille attentive.
Rien ne me plaira tant. Lisez : et s'il m'arrive
Quelque distraction, dont je ne réponds pas,
Vous ne l'imputerez qu'à vos divins appas.

LUCILE.

Votre façon d'écrire, élégante et fleurie,
Vous accoutume au ton de la galanterie.

Allons, messieurs, passons sous ce feuillage épais,
Où, loin des importuns, nous puissions lire en paix.
(Damis lui présente la main, qu'elle accepte au mo-
ment où Dorante lui présentoit aussi la sienne; et
ils s'éloignent.)

DORANTE, seul.

Est-ce un coup du hasard, ou de leur perfidie?
Voyons: il faut de près que je les étudie,
Et que je sorte enfin de la perplexité

La plus grande où peut-être on ait jamais été.

(Il suit Lucile et Damis. )

FIN DU SECOND ACTE.

SCENE I.

DORANTE, ramassant des tablettes.

QUELQ

UELQU'UN regrette bien les secrets confiés A ces tablettes-ci que je trouve à mes pieds. (Il les ouvre et lit.)

ÉPITHALAME. Ah! ah! j'en reconnois le maître. J'y pourrois bien aussi développer un traître... Lisons.

SCENE II.

LISETTE, DORANTE.

LISETTE.

SUIS-JE une fourbe? ai-je trahi vos feux? Le seul qu'on veut exclure est-il si malheureux? Dès que je vous ai vu près d'aborder Lucile, Je me suis éclipsée en confidente habile; Et je vous ai laissé le champ libre à l'instant. Eh bien! quelle nouvelle? En êtes-vous content?

DORANTE.

Ah! qu'elle est ravissante! et que ce tête-à-tête
Achève de lui bien assurer sa conquête !
Je l'aimois, l'adorois, l'idolâtrois : mais rien
N'exprime mon état depuis cet entretien.

Jusqu'au son de sa voix, tout me pénètre en elle; Son défaut me la rend plus piquante, et plus belle: Oui, ce qu'en elle on nomme indolence et froideur, Redouble de mes feux la tendresse et l'ardeur.

LISETTE.

La dédaigneuse enfin s'est-elle humanisée ?
Je l'avois, ce me semble, assez bien disposée.

DORANTE.

Tu me vois dans un trouble...

LISETTE.

Eh! vivez en repos.

DORANTE.

Ses grâces m'ont charmé, mais non pas ses propos.

LISETTE.

A-t-elle avec rigueur fermé l'oreille aux vôtres ?

DORANTE.

Non; mais j'aurois voulu qu'elle en eût tenu d'autres.

LISETTE.

Quoi ! qu'elle eût dit : « Monsieur, je suis folle de vous;
« Je voudrois que déjà vous fussiez mon époux... »
Mais, oui; c'est avoir l'âme assurément bien dure
De ne pas abréger ainsi la procédure.

CORANTE.

Ayant fait de ma flamme un libre et tendre aveu,
Et promis d'agréer à monsieur Francaleu,
Comme je témoignois la plus ardente envie
D'entendre mon arrêt ou de mort ou de vie,

Elle m'a répondu : { dirai-je avec douceur ?)

« L'auteur seul de ces vers a su toucher mon cœur. » A ces mots, de sa poche elle a tiré l'idylle

Dont le succès me rend de moins en moins tranquille.

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