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suis sûr que vous vous en repentirez un jour. Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir.

L'IMMATÉRIALITÉ DE L'AME.

PLUS je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme: Sois juste et tu seras heureux! Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée! La conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant: « Tu m'as trompé ! »

« Je t'ai trompé, téméraire! Qui te l'a dit? Ton âme est-elle anéantie? As-tu cessé d'exister? O Brutus! ô mon fils! ne souille point ta noble vie en la finissant: ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu : la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis. »

On diroit, aux murmures des impatiens mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, di

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L'IMMATERIALITÉ DE L'AME.

soit Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

Si l'âme est immatérielle, elle peut survivre au corps, et si elle lui survit, la Providence est justifiée. Quand je n'aurois d'autre preuve de l'immatérialité de l'âme, que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empêcheroit d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me feroit chercher à la résoudre. Je me dirois : <<< Tout ne finit pas pour moi avec la vie; tout rentre « dans l'ordre à la mort. >>

MORT DE CHARLES XII.

CHARLES partit une seconde fois pour la conquête de la Norvège au mois d'octobre 1718: il avoit si bien pris toutes ses mesures, qu'il espéroit se rendre maître en six mois de ce royaume. Il aima mieux aller conquérir des rochers au milieu des neiges et des glaces, dans l'âpreté de l'hiver, qui tue les animaux en Suède même, où l'air est moins rigoureux, que d'aller reprendre ses belles provinces d'Allemagne des mains de ses ennemis. C'est qu'il espéroit que sa nouvelle alliance avec le czar le mettroit bientôt en état de res→ saisir toutes ces provinces; bien plus, sa gloire étoit flattée d'enlever un royaume à son ennemi victorieux.

A l'embouchure du fleuve Tistendall, près de la manche de Danemarck, entre les villes de Bahus et d'Anslo, est située Frédéricksall, place forte et imporportante qu'on regardoit comme la clef du royaume. Charles en forma le siége au mois de décembre. Le soldat, transi de froid, pouvoit à peine remuer la terre endurcie sous la glace; c'étoit ouvrir la tranchée dans une espèce de roc mais les Suédois ne pouvoient se rebuter en voyant à leur tête un roi qui partageoit leurs fatigues. Jamais Charles n'en essuya de plus grandes sa constitution, éprouvée par dix-huit ans

porta Charles, sous le nom du capitaine CarlsberŸ, zu travers des troupes, qui voyoient passer leur roi mort sans se douter que ce fût lui.

Le prince ordonna à l'instant que personne ne sortît du camp; et fit garder tous les chemins de la Suède, afin d'avoir le temps de prendre ses mesures pour faire tomber la couronne sur la tête de sa femme, et pour en exclure le Duc de Holstein qui pouvoit y pré. tendre.

Ainsi périt, à l'âge de trente-six ans et demi, Charles XII, roi de Suède, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au-delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans foiblesse; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté devenue opiniâtreté fit ses malheurs dans l'Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède; son courage, poussé jusqu'à la témérité, a causé sa mort : sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté; et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchoit de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne; mais il ne fut pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquéraut sans avoir l'envie d'agrandir ses Etats; il vouloit gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre et pour la vengeance, l'em

pêcha d'être bon politique, qualité, sans laquelle ou n'a jamais vu de conquéraut. Avant la bataille et après la victoire, il n'avoit que de la modestie; après la défaite, que de la fermeté : dur pour les autres comme pour lui-même, comptant, pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi-bien que la sienne; homme unique plutôt que grand homme, admirable plutôt qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire.

Charles XII étoit d'une taille avantageuse et noble; il avoit un très-beau front, de grands yeux bleus remplis de douceur, un nez bien formé; mais le bas du visage désagréable, trop souvent défiguré par un rire fréquent qui ne partoit que des lèvres; presque point de barbe ni de cheveux: il parloit très-peu et ne répondoit souvent que par ce rire dont il avoit pris l'habitude. On observoit à sa table un silence profond. Il avoit conservé, dans l'inflexibilité de son caractère, cette timidité qu'on nomme mauvaise honte ; il eût été embarrassé dans une conversation, parce que, s'étant donné tout entier aux travaux et à la guerre, il n'avoit jamais connu la société. Il n'avoit lu jusqu'à son loisir chez les Turcs que les Commentaires de César et l'histoire d'Alexandre; mais il avoit écrit quelques réflexions sur la guerre et sur ses campagnes depuis 1700 jusqu'à 1709 : il l'avoua au chevalier de Folard, et lui dit que ce manuscrit avoit été perdu à la malheureuse journée de Pultava. Quelques personnes ont voulu faire passer ce prince pour un bon mathématicien ; il avoit sans doute beaucoup de pénétration dans l'esprit ; mais la preuve que l'on donne de ses connoissances en mathématiques n'est pas bien concluante ; il vouloit changer la manière de compter par dixaine, et il proposoit 18e siècle.

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