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ne se défend ni par l'épée ni par le bouclier, mais par une vie intègre et irréprochable, et ce combat vaut bien l'autre en fait de courage.

J'aime les gens de coeur, et ne puis souffrir les lâches; mais je veux que la valeur se montre dans les occasions légitimes, et qu'on ne se hâte pas d'en faire hors de propos une vaine parade, comme si on avoit peur de ne la pas retrouver au besoin. Tel fait un effort et se présente une fois pour avoir le droit de se cacher le reste de sa vie. Le vrai courage a plus de constance et moins d'empressement; il est toujours ce qu'il doit être, il ne faut ni l'exciter ni le retenir; l'homme de bien le porte partout avec lui, au combat contre l'ennemi, dans un cercle en faveur des absens et de la vérité, dans son lit contre les attaques de la douleur et de la mort. La force de l'âme qui l'inspire est d'usage dans tous les temps; elle met toujours la vertu audessus des événemens, et ne consiste pas à se battre, mais à ne rien craindre.

Telle est la sorte de courage que j'aime à louer. Tout le reste n'est qu'étourderie, extravagance, férocité ; c'est une lâcheté de s'y soumettre ; et je ne méprise pas moins celui qui cherche un péril inutile, que celui qui fuit un péril qu'il doit affronter.

J'ai cru dans une matière aussi grave devoir faire parler la raison seule, et vous présenter les choses exactement telles qu'elles sont. Si j'avois voulu les peindre telles que je les vois, et faire parler le sentiment et l'humanité, j'aurois pris un langage fort différent. Vous savez que mon père, dans sa jeunesse, eut le malheur de tuer un homme en duel: cet homme étoit son ami; ils se battirent à regret, l'insensé point d'honneur les y contraiguit. Le coup mortel qui priva l'un de la vie, ôta pour jamais le repos à l'autre. Le

triste remords n'a pu depuis ce temps sortir de son cœur; souvent dans la solitude on l'entend pleurer et gémir; il croit sentir encore le fer, poussé par sa main cruelle,entrer dans le cœur de son ami; il voit dans l'ombre de la nuit son corps pâle et sanglant; il contemple en frémissant la plaie mortelle; il voudroit étancher le sang qui coule; l'effroi le saisit, il s'écrie: ce cadavre affreux ne cesse de le poursuivre.

Je vous l'avoue, tout cela m'inspire une telle horreur des duels, que je les regarde comme le dernier degré de brutalité où les hommes puissent parvenir. Celui qui va se battre de gaîté de cœur n'est à mes yeux qu'une bête féroce qui s'efforce d'en déchirer une autre ; et, s'il reste le moindre sentiment naturel dans leur âme, je trouve celui qui périt moins à plaindre que le vainqueur. Voyez ces hommes accoutumés au sang, ils ne bravent les remords qu'en étouffant la voix de la nature; ils deviennent par degré cruels, insensibles; ils se jouent de la vie des autres; et la punition d'avoir pu manquer d'humanité, est de la perdre enfin tout-à-fait. Que sont-ils dans cet état? Réponds, veux-tu leur devenir semblable? Non, tu n'es point fait pour cet odieux abrutissement; redoute le premier pas qui peut t'y conduire : ton âme est encore innocente et saine, ne commence pas à la dépraver au péril de ta vie par un effort sans vertu, un crime sans plaisir, un point d'honneur sans raison.

LE SUICIDE.

Tu veux cesser de vivre; mais je voudrois bien savoir si tu as commencé. Quoi! fus-tu placé sur la terre pour n'y rien faire? Le Ciel ne t'impose-t-il point avec la vie une tâche pour la remplir? Si tu as fait ta journée avant le soir, repose-toi le reste du jour, tu le peux; mais, voyons ton ouvrage. Quelle réponse tienstu prête au juge suprême qui te demandera compte de ton temps? Malheureux! trouve-moi ce juste qui se vante d'avoir assez vécu que j'apprenne de lui comment il faut avoir porté la vie pour être en droit de la quitter.

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Tu comptes les maux de l'humanité, et tu dis: la vie est un mal. Mais, regarde, cherche dans l'ordre des choses si tu y trouves quelques biens qui ne soient point mêlés de maux. Est-ce donc à dire qu'il n'y ait aucun bien dans l'univers, et peux-tu confondre ce qui est mal par sa nature, avec ce qui ne souffre le mal que par accident? La vie passive de l'homme n'est rien, et ne regarde qu'un corps dont il sera bientôt délivré; mais sa vie active et morale, qui doit influer sur tout son être, consiste dans l'exercice de sa volonté. La vie est un mal pour le méchant qui prospère, et un bien pour l'honnête homme infortuné : car ce n'est pas une modification passagère, mais son rapport avec son objet qui la rend honne ou mauvaise.

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Tu t'ennuies de vivre, et tu dis: la vie est un mal. Tôt ou tard tu seras consolé, et tu diras la vie est un bien. Tu diras plus vrai sans mieux raisonner; car rien n'aura changé que toi. Change donc dès aujour d'hui; et puisque c'est dans la mauvaise disposition de ton âme qu'est le mal, corrige tes affections déréglées, et ne brûle pas ta maison pour n'avoir pas la peine de la ranger.

Que sont dix, vingt, trente ans pour une âme immortelle? La peine et le plaisir passent comme une ombre la vie s'écoule en un instant; elle n'est rien par elle-même, son prix dépend de son emploi. Le bien seul qu'on a fait demeure, et c'est pour lui qu'elle est quelque chose. Ne dis donc plus que c'est un mal pour toi de vivre, puisqu'il dépend de toi seul que ce soit un bien, et si c'est un mal d'avoir vécu, ne dis pas non plus qu'il t'est permis de mourir car autant vaudroit dire qu'il t'est permis de n'être pas homme, qu'il t'est permis de te révolter contre l'auteur de ton être, et de tromper ta destination.

Le suicide est une mort furtive et honteuse, c'est un vol fait au genre humain. Avant de le quitter, rends-lui ce qu'il a fait pour toi. Mais je ne tiens à rien, je suis inutile au monde. Philosophe d'un jour! ignores-tu que tu ne saurois faire un pas sur la terre sans trouver quelque devoir à remplir, et que tout homme est utile à l'humanité par cela seul qu'il existe? Jeune insensé! s'il te reste au fond du coeur le moindre sentiment de vertu, viens que je t'apprenne à aimer la vie. Chaque fois que tu seras tenté d'en sortir, dis en toi-même Que je fasse encore une bonne action avant que de mourir; puis, va chercher quelque indigent à secourir, quelque infortuné à consoler, quelque, opprimé à défendre. Si cette considération te retient

aujourd'hui, elle te retiendra demain, toute la vie. Si elle ne te retient pas, meurs, tu n'es qu'un méchant.

LE CANARD AIMANTÉ.

Un jour, mon élève et moi, nous étions allés à la foire. Un joueur de gobelets attiroit, avec un morceau de pain, un canard de cire flottant sur un bassin d'eau. Nous retournons au logis, étonnés de son adresse : Bientôt, à force de parler du canard de la foire, nous allons nous mettre en tête de l'imiter : nous prenons une bonne aiguille bien aimantée, nous l'entourons de cire blanche, que nous façonnons de notre mieux en forme de canard, de sorte que l'aiguille traverse le corps et que la tête fasse le bec. Nous posons sur l'eau le canard, nous approchons du bec un anneau de clef, et nous voyons avec une joie facile à comprendre que notre canard suit la clef précisément comme celui de la foire suivoit le morceau de pain.

Dès le même soir, nous retournons à la foire avec du pain préparé dans nos poches; et, sitôt que le joueur de gobelets a fait son tour, mon petit docteur, qui so contenoit à peine, lui dit que ce tour n'est pas difficile, et que lui-même en fera bien autant. Il est pris au mot : à l'instant il tire de sa poche le pain où est caché le morceau de fer; en approchant de la table, le cœur lui bat; il présente le pain presqu'en tremblant ; le canard vient et le suit. L'enfant s'écrie et tressaille d'aise.

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