Page images
PDF
EPUB

M. BALIVEAU.

Il faudra commencer par savoir où le prendre.

Dans son lit.

M. FRANCALEU.

M. BALIVEAU.

C'est bien dit, s'il vous plaît de s'y rendre.

Mais son hôte ne sait ce qu'il est devenu.

M. FRANCALEU.

On saura bien l'avoir après l'ordre obtenu.
Adieu; car il est temps de lui mettre à l'étude.

M. BALIVEAU.

Je vais donc m'enfoncer dans cette solitude;
Et là, gesticulant et brâi!lant tout le saoû,
Faire un apprentissage en vérité bien fou.

(Il s'éloigne.)

SCENE II.

M. FRANCALEU, LISETTE.

M. FRANCALEU.

Moi, je fais l'oncle, et toi, Lisette, es-tu contente?
Tu voulois un beau rôle; et tu fais l'indolente.
Reste à s'eu bien tirer. Ma fille est sous tes yeux;
Tâche à la copier. Tu ne peux faire mieux.

Le modèle est parfait.

LISETTE.

N'en soyez pas en peine.

Je veux lui ressembler au point qu'on s'y méprenne.
J'ai d'abord un habit en tout pareil au sien:
J'ai sa taille, j'aurai son geste et son maintien ;

Enfin, je veux si bien représenter l'idole,
Qu'elle se reconnoisse à la fadeur du rôle,

Et, comme en un miroir, s'y voyant traits pour traits, Que l'insipidité l'en dégoûte à jamais.

Car, monsieur, excusez, mais vous et votre femme, Vous avez fait un corps où je veux mettre une âme.

M. FRANCALEU.

L'indolence en effet laisse tout ignorer;
Et combien l'ignorance en fait-elle égarer !
Le danger vole autour de la simple colombe,
Et sans lumière, enfin, le moyen qu'on ne tombe!
Tu feras donc fort bien de la morigéner.
Qu'elle sache connoître, applaudir, condamner;
Qu'à son gré d'elle-même elle dispose ensuite:
Le penchant satisfait répond de la conduite.
C'est contre le torrent du siècle intéressé :
Mais, me regardât-on comme un père insensé,
Je veux qu'à tous égards ma fille soit contente ;
Que l'époux qu'elle aura soit selon son attente;
Qu'elle n'écoute qu'elle et que son propre cœur
Sur un choix qui fera sa perte ou son bonheur;
Qu'elle s'explique enfin là-dessus sans finesse.
Ce lieu rassemble exprès une belle jeunesse ;
Vingt honnêtes partis, dont le meilleur, je croi,
Ne refusera pas de s'allier à moi.

Ma fille est riche et belle. En un mot, je la donne
Au premier qui lui plaît ; je n'excepte personne.

LISETTE.

Pas même le poëte?

M. FRANCALEU.

Au contraire, c'est lui

Que je préférerois à tout autre aujourd'hui.

18c siècle.

[blocks in formation]

M. FRANCALEU.

Eh bien! j'en ai de reste.

J'aurai fait un heureux : c'est passe-temps céleste.
Favorisant ainsi l'honnête homme indigent,
Le mérite une fois aura valu l'argent.

LISETTE.

Je vois dans ce choix libre un contre-temps à craindre, Qui rendroit votre fille extrêmement à plaindre.

Eh quel?

M. FRANCALEU.

LISETTE.

C'est que son choix pourroit tomber très-bien

Sur tel qui, sur une autre, auroit fixé le sien;
Et lors il seroit moins aisé qu'on ne pense,
De ramener son cœur à de l'indifférence.

pour

SCENE III.

DORANTE, dans le fond, écoutant, sans être vu que de Lisette; M. FRANCALEU, LISETTE.

M. FRANCALEU, sans voir Dorante.

Tu parles juste. Aussi j'ai pris soin de savoir
L'histoire de tous ceux qu'ici j'ai voulu voir.

LISETTE.

Et celle du jeune homme à qui l'on donne un rôle, La savez-vous?

W. FRANCALEU.

On dit à propos que le drôle...

LISETTE.

Je vous en avertis; il est fort amoureux.
Pour ne pas nous jeter dans un cas dangereux,
Très-positivement songez donc à l'exclure.

M. FRANCALEU.

J'y cours tout de ce pas, tu peux en être sûre,
Et vais, à la douceur joignant l'autorité,
Laisser un libre choix, ce jeune homme excepté.

SCENE IV.

DORANTE, LISETTE.

DORANTE.

JE ne t'interromps point.

LISETTE.

Bien malgré vous, je gage.

DORANTE.

Nou: j'écoute, j'admire, et je me tais... Courage!

LISETTE.

Vous vous trouverez bien de n'avoir pas parlé.

DORANTE.

En effet, me voilà joliment installé.

LISETTE.

Installé? Tout des mieux ; j'en réponds.

DORANTE.

Quelle audace!

Quoi! tu peux sans rougir me regarder en face?

LISETTE.

Pourquoi donc, s'il vous plaît, baisserois-je les yeux?

DORANTE.

Après l'exclusion qu'on me donne en ces lieux?

LISETTE.

Eh! c'est le coup de maître.

DORANTE.

Il est bon là!

LISETTE.

Sans doute.

Ne décidons jamais où nous ne voyons goutte.

DORANTE.

De grâce, fais-moi voir...

LISETTE.

Oh! qui va rondement

Ne daigne pas entrer en éclaircissement.

DORANTE.

Je n'en demande plus. Ma perte étoit jurée.
Je trouve en mon chemin monsieur de l'Empirée.
Il aime ; il a su plaire. Oui, je le tiens de lui.
J'ignorois seulement quel étoit son appui.
Mais sans voir ta maîtresse il osoit tout écrire ;
Tandis qu'en la voyant, moi, je n'osois rien dire;
Et la bouche infidèle, ouverte en sa faveur,
Des vers que j'empruntois le déclaroit l'auteur.

[blocks in formation]

Vous ne croyez donc pas que l'intérêt me guide?
Pauvre cervelle! Ainsi je l'ai donc bien servi?
Quand j'ai formé le plan que vous avez suivi,
Quand je vous établis dans les lieux où vous êtes?
Quand je songe à tenir les routes toutes prêtes

« PreviousContinue »