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composent encore votre peuple au milieu d'une nation infidèle, je tournerai avec eux tous mes désirs vers la sainte Sion. On traitera de foiblesse la singularité de mes moeurs; mais heureuse foiblesse, Seigneur, qui me donnera la force de résister au torrent et à la séduction des exemples! Et vous serez, mon Dieu, adoré au milieu de Babylone, comme vous le serez un jour dans la sainte Jérusalem: Te oportet adorari, Domine. Ah! le temps de la captivité finira enfin ; vous vous souviendrez d'Abraham et de David, vous délivrerez votre peuple, vous nous transporterez dans la sainte cité; et alors vous régnerez seul sur Israël et sur les nations qui ne vous connoissent pas : alors tout étant détruit, tous les empires, tous les sceptres, tous les monumens de l'orgueil humain étant anéantis, et vous seul demeurant éternellement, on connoîtra que vous seul devez être adoré. Te oportet adorari, Domine.

Voilà le fruit que vous devez retirer de ce discours : vivez à part; pensez sans cesse que le grand nombre se damne; ne comptez pour rien les usages, si la loi de Dieu ne les autorise, et souvenez-vous que les saints ont été dans tous les siècles des hommes singuliers. 'C'est ainsi qu'après vous être distingué des pécheurs sur la terre, vous en serez séparé glorieusement dans

'éternité.

A insi soit-il.

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DISCOURS

SUR

LA CONNOISSANCE DE L'HOMME.

C'EST

'EST en vain que l'orateur se flatte d'avoir le talent de persuader les hommes, s'il n'a acquis celui de les connoître. L'étude de la morale et celle de l'éloquence sont nées en même temps, et leur union est aussi ancienne dans le monde que celle de la pensée et de la parole.

On ne séparoit point autrefois ces deux sciences qui par leur nature sont inséparables. Le philosophe et l'orateur possédoient en commun l'empire de la sagesse; ils entretenoient un heureux commerce, une parfaite intelligence entre l'art de bien penser et celui de bien parler, et l'on n'avoit pas encore imaginé cette distinction injurieuse aux orateurs, ce divorce funeste à l'éloquence, de l'esprit et de la raison, des expressions et des sentimens, de l'orateur et du philosophe.

S'il y avoit quelque différence entre eux, elle étoit toute à l'avantage de l'éloquence : le philosophe se contentoit de convaincre, l'orateur s'appliquoit à per

suader; l'un supposoit ses auditeurs attentifs, dociles, favorables; l'autre savoit leur inspirer l'attention, la docilité et la bienveillance. L'austérité des mœurs, la sévérité du discours, l'exacte rigueur du raisonnement, faisoient admirer le philosophe : la douceur d'esprit, ou naturelle, ou étudiée, les charmes de la parole, le talent de l'insinuation faisoient aimer l'orateur. L'esprit étoit pour l'un, et le cœur étoit pour l'autre. Mais le coeur se révoltoit souvent contre les vérités dont l'esprit étoit convaincu : l'esprit, au contraire, ne refusoit jamais de se soumettre aux sentimens du cœur, et le philosophe, roi légitime, se faisoit souvent craindre comme un tyran, au lieu que l'orateur exerçoit une tyrannie si douce et si agréable, qu'on la prenoit pour la domination légitime.

Ce fut dans le premier âge de l'éloquence que la Grèce vit autrefois le plus grand de ses orateurs jeter les fondemens de l'empire de la parole sur la connoissance de l'homme, et sur les principes de la morale. En vain la nature, jalouse de sa gloire, lui refuse sea talens extérieurs; cette éloquence muette, cette autorité visible qui surprend l'âme des auditeurs, et qui attire leurs voeux avant que l'orateur ait mérité leurs suffrages; la sublimité de son discours ne laissera pas à l'auditeur, transporté hors de lui-même, le temps et la liberté de remarquer ses défauts on sentira son impétuosité; mais on ne verra point ses démarches: on le suivra comme un aigle dans les airs, sans savoir comment il a quitté la terre. Censeur sévère de la conduite de son peuple, il paroîtra plus populaire que ceux qui le flattent; il osera présenter à ses yeux la triste image de la vertu pénible et laborieuse; et il le portera à préférer l'honnête difficile, et souvent même malheureux, à l'utile agréable, et aux douceurs d'une indi

gne prospérité. La puissance du roi de Macédoine redoutera l'éloquence de l'orateur athénien; le destin de la Grèce demeurera suspendu entre Philippe et Démosthène ; et comme il ne peut survivre à la liberté de sa patrie, elle ne pourra jamais expirer qu'avec lui.

D'où sont sortis ces effets surprenans d'une éloquence plus qu'humaine? Quelle est la source de tant de prodiges, dont le simple récit fait encore, après tant de siècles, l'objet de notre admiration? Ce ne sont point des armes préparées dans l'école d'un déclamateur ces foudres, ces éclairs qui font trembler les rois sur leur trône sont formés dans une région supérieure. C'est dans le sein de la sagesse qu'il avoit puisé cette politique hardie et généreuse, cette liberté constante et intrépide, cet amour invincible de la patrie; c'est dans l'étude de la morale qu'il avoit reçu des mains de la raison même cet empire absolu, cette puissance souveraine sur l'âme de ses auditeurs. Il a fallu un Platon pour former un Démosthène, afin que le plus grand des orateurs fît hommage de toute sa réputation au plus grand des philosophes.

Que si, après avoir porté les yeux sur ces vives lumières de l'éloquence, nous pouvons encore soutenir la vue de nos défauts, nous aurons du moins la consolation d'en connoître la cause, et d'en découvrir le remède.

Ne nous étonnons point de voir en nos jours cette décadence prodigieuse de la profession de l'éloquence, nous devrions être surpris, au contraire, si elle étoit florissante.

Livrés dès notre enfance aux préjugés de l'éducation et de la coutume, le désir d'une fausse gloire nous empêche de parvenir à la véritable; et par une ambi

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tion qui se précipite en voulant s'élever, on veut agir avant d'avoir appris à se conduire, juger avant d'avoir connu, et, si nous osons même le dire, parler avant d'avoir pensé.

On méprise la connoissance de l'homme comme une spéculation stérile, plus propre à dessécher qu'à enrichir l'esprit ; comme l'occupation de ceux qui n'en ont point, et dont le travail, quelque éclatant qu'il soit par la beauté de leurs ouvrages, n'est regardé que comme une illustre et laborieuse oisiveté. Mais l'éloquence se venge elle-même de cette témérité : elle refuse son secours à ceux qui la veulent réduire à un simple exercice de parole; et, les dégradant de la dignité d'orateurs, elle ne leur laisse que le nom de déclamateurs frivoles, ou d'historiens souvent infidèles du différent de leurs parties.

Vous qui aspirez à la gloire de relever votre ordre, et à rappeler en nos jours du moins l'ombre et l'image de l'ancienne éloquence, ne rougissez point d'emprunter des philosophes ce qui étoit autrefois votre propre bien; et, avant d'approcher du sanctuaire de la justice, contemplez avec des yeux attentifs ce spectacle continuel que l'homme présente à l'homme même.

Que son esprit attire vos premiers regards, et attache pour un temps toute votre application.

La vérité est son unique objet; il la cherche dans ses plus grands égaremens; elle est la source innocente de ses erreurs; et même le mensonge ne sauroit lui plaire que sous l'image et sous l'apparence trompeuse de la vérité. L'orateur n'a qu'à la montrer, il est sûr de la victoire; il a rempli le plus noble de ses devoirs quand il a su éclairer, instruire, convaincre l'esprit, et présenter aux yeux de ses auditeurs une lumière si

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