Page images
PDF
EPUB

« Et sur la vérité n'ayant point de mesure,
« Il faut suivre pour loi l'instinct de la nature! »
Monsieur, je n'ai pas dit un mot de tout cela...
«Eh! quoique vous ayez déguisé ce sens-là,
<< En vous interprétant la chose devient claire. >>
Mais en termes précis j'ai dit tout le contraire.
Cherchons la vérité, mais d'un commun accord:
Qui discute a raison, et qui dispute a tort.
Voilà ce que j'ai dit ; et d'ailleurs qu'à la guerre,
A la ville, à la cour, souvent il faut se taire...

<< Mon cher monsieur, ceci cache toujours deux sens;
« Je distingue... » — Monsieur, distinguez, j'y consens.
J'ai dit mon sentiment, je vous laisse les vôtres,
En demandant pour moi ce que j'accorde aux autres...
<< Mon fils, nous vous avons défendu de penser;
<< Et pour vous convertir je cours vous dénoncer. »
Heureux! ô trop heureux qui, loin des fanatiques,
Des causeurs importuns et des jaloux critiques,
En paix sur l'Hélicon pourroit cueillir des fleurs!
Tels on voit dans les champs de sages laboureurs,
D'une ruche irritée évitant les blessures,

En dérober le miel à l'abri des piqûres.

DE FLORIAN.

LE SINGE QUI MONTRE LA LANTERNE MAGIQUE.

MESSIEURS les beaux esprits, dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
Et tâchez de devenir clairs.

Un homme qui montroit la lanterne magique
Avoit un singe dont les tours
Attiroient chez lui grand concours;
Jacqueau, c'étoit son nom, sur la corde élastique,
Dansoit et voltigeoit au mieux,

Puis faisoit le saut périlleux,

Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
Le corps droit, fixe, d'à-plomb,

Notre Jacqueau fait tout du long
L'exercice à la prussienne.

Un jour qu'au cabaret son maître étoit resté

(C'étoit, je pense, un jour de fête ),

Notre singe en liberté

Veut faire un coup de sa tête;

Il s'en va rassembler les divers animaux
Qu'il peut rencontrer dans la ville;

Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux,
Arrivent bientôt à la file.

Entrez, entrez, messieurs, crioit notre Jacqueau;
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau
Vous charmera gratis. Oui, messieurs, à la

porte

On ne prend point d'argent, je fais tout pour l'honneur.

A ces mots, chaque spectateur

Va se placer, et l'on apporte

La lanterne magique : on ferme les volets;
Et, par un discours fait exprès,
Jacqueau prépare l'auditoire.
Ce morceau vraiment oratoire
Fit bâiller; mais on applaudit.

Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans sa lanterne.
Il sait comment ou le gouverne,

Et crie en le poussant : Est-il rien de pareil ?
Messieurs, vous voyez le soleil,

Ses rayons et toute sa gloire.

Voici présentement la lune, et puis l'histoire
D'Adam, d'Eve et des animaux....

Voyez, messieurs, comme ils sont beaux !
Voyez la naissance du monde;

Voyez... Les spectateurs, dans une nuit profonde,
Ecarquilloient leurs yeux et ne pouvoient rien voir;
L'appartement, le mur, tout étoit noir.
Ma foi, disoit un chat, de toutes les merveilles
Dont il étourdit nos oreilles,

Le fait est que je n'y vois rien.

Ni moi non plus, disoit un chien.

Moi, disoit un dindon, je vois bien quelque chose; Mais je ne sais pour quelle cause

Je ne distingue pas très-bien.

Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne

Parloit éloquemment et ne se lassoit point.
Il n'avoit oublié qu'un point,
C'étoit d'éclairer sa lanterne.

w

LE CHATEAU DE CARTES.

UN bon mari, sa femme et deux jolis enfans,
Couloient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parens.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivoient leur jardin, recueilloient leurs moissons;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver, devant leurs tisons,

Ils prêchoient à leurs fils la vertu,

la sagesse,

Leur parloient du bonheur qu'ils procurent toujours ; Le père par un conte égayoit ses discours,

La mère par une caresse.

L'aîné de ces enfans, né grave, studieux,
Lisoit et méditoit sans cesse ;

Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautoit, rioit toujours, ne se plaisoit qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une tableoù s'appuyoit la mère,
L'aîné lisoit Rollin : le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employoit tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.

Il n'en respiroit pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur

Qui s'interrompt: Papa, dit-il, daigne m'instruire:

270

Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérans,
Et d'autres fondateurs d'empire?

Ces deux noms sont-ils différens?
Le père méditoit une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,

S'écrie: Il est fini! Son frère, murmurant,

Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.

Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant.

FIN DE LA POÉSIE.

« PreviousContinue »