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L'esprit humain s'égare, et follement crédules
Les peuples se sont fait des maîtres ridicules.
Ces maîtres toutefois par l'erreur encensés
Jamais impunément ne furent offensés :
On détesta Mézence ainsi que Salmonée,
Et l'horreur suit encor le nom de Capanée.
Un impie en tout temps fut un monstre odieux;
Et quand, pour me guérir de la crainte des dieux,
Epicure en secret médite son système,

Aux pieds de Jupiter je l'aperçois lui-même.
Surpris de son aveu, je l'entends en effet
Reconnoître un pouvoir dont l'homme est le jouet,
Un ennemi caché qui réduit en poussière
De toutes nos grandeurs la pompe la plus fière.
Peuples, rois, vous mourez, et vous, villes, aussi.
Là, gît Lacédémone, Athènes fut ici.

Quels cadavres épars dans la Grèce déserte!
Eh! que vois-je partout! la terre n'est couverte
Que de palais détruits, de trônes renversés,
Que de lauriers flétris, que de sceptres brisés.
Où sont, fière Memphis, tes merveilles divines?
Le temps a dévoré jusques à tes ruines,
Que de riches tombeaux élevés en tous lieux,
Superbes monumens qui portent jusqu'aux cieux
Du néant des humains l'orgueilleux témoignage !
A ce pouvoir si craint tout mortel rend hommage,
Aux pieds de son idole un barbare à genoux,
D'un être destructeur vient fléchir le courroux.
Etre altéré de sang, je te vais satisfaire,
Que cette autre victime apaise ta colère;
J'arrose ton autel du sang de cet agneau.
N'en es-tu pas content? Te faut-il un taureau ?
Faut-il une hécatombe à ta haine implacable?
Pour mieux me remplacer, te faut-il mon semblable?

Faut-il mon fils? je viens l'égorger devant toi.
De ce sang enivré, cruel, épargne-moi.

Ces épaisses forêts, qui couvrent les contrées
Par un vaste Océan des nôtres séparées,
Renferment, dira-t-on, de tranquilles mortels,
Qui jamais à des dieux n'ont élevé d'autels.

Quand d'obscurs voyageurs racontent ces nouvelles,
Croirai-je des témoins tant de fois infidèles ?
Supposons cependant tous leurs rapports certains,
Comment opposerois-je au reste des humains,
Un stupide sauvage errant à l'aventure,
A peine de nos traits conservant la figure;
Un misérable peuple, égaré dans les bois,
Sans maîtres, sans Etats, sans villes et sans lois?
Qu'à bon droit, libertins, vous êtes méprisables,
Lorsque dans ces forêts vous cherchez vos semblables!
Ces hommes toutefois à ce point abrutis,
Dans la nuit de leurs sens tristement engloutis,
Montrent quelques rayons d'une image divine,
Restes défigurés d'une illustre origine.

Il est une justice et des devoirs pour eux :
Du sang qui les unit ils connoissent les nœuds.
Au plus barbare époux la tendre épouse est chère..
Il chérit son enfant, il respecte son père.

La nature sur nous ne perd point tous ses droits.
Mais ces droits, que sont-ils? D'imaginaires lois,
Quand d'un être vengeur j'ai secoué la crainte,
Ne peuvent sur mon âme établir leur contrainte.
C'est pour moi que je vis, je ne dois rien qu'à moi..
La vertu n'est qu'un nom, mon plaisir est ma loi..

Ainsi parle l'impie, et lui-même est esclave
De la foi, de l'honneur, de la valeur qu'il brave:
Dans ses honteux plaisirs, s'il cherche à.se cacher,
Un éternel témoin les lui vient reprocher:

Son juge est dans son cœur, tribunal où réside
Le censeur de l'ingrat, du traître, du perfide.
Par ses affreux complots nous a-t-il outragés?
La peine suit de près, et nous sommes vengés.
De ses remords secrets, triste et lente victime,
Jamais un criminel ne s'absout de son crime.
Sous des lambris dorés ce triste ambitieux
Vers le ciel, sans pâlir, n'ose lever les yeux :
Suspendu sur sa tête, un glaive redoutable
Rend fades tous les mets dont on couvre sa table.
Le cruel repentir le premier bourreau
Qui dans un sang coupable enfonce le couteau.
Des chagrins dévorans attachés sur Tibère
La cour de ses flatteurs veut en vain le distraire.
Maître du monde entier, qui peut l'inquiéter?
Quel juge sur la terre a-t-il à redouter?
Cependant il se plaint, il gémit, et ses vices
Sont ses accusateurs, ses juges, ses supplices.
Toujours ivre de sang, et toujours altéré,
Enfin par ses forfaits au désespoir livré,
Lui-même étale aux yeux du sénat qu'il outrage
De son cœur déchiré la déplorable image :
Il périt chaque jour consumé de regrets,
Tyran plus malheureux que ses tristes sujets.
Ainsi de la vertu les lois sont éternelles.

Les peuples ni les rois ne peuvent rien contre elles;
Les dieux que révéra notre stupidité

N'obscurcissent jamais sa constante beauté :
Et les Romains, enfans d'une impure déesse,
En dépit de Vénus, admirèrent Lucrèce.

Adorable vertu, que tes divins attraits Dans un cœur qui te perd laissent de longs regrets!

De celui qui te hait ta vue est le supplice.
Parois que le méchant te regarde et frémisse.
La richesse, il est vrai, la fortune te fuit;
Mais la paix t'accompagne et la gloire te suit;
Et, perdant tout pour toi, l'heureux mortel qui t'aime,
Sans biens, sans diguités, se suffit à lui-même.
Mais lorsque nous voulons sans toi nous contenter,
Importune vertu, pourquoi nous tourmenter?
Pourquoi par des remords nous rendre misérables?
Qui t'a donné ce droit de punir les coupables?
Laisse-nous en repos, cesse de nous charmer,
Et qu'il nous soit permis de ne te point aimer.
Non, tu seras toujours, par ta seule présence,
Ou notre désespoir, ou notre récompense.

Quite pourra, grand Dieu, méconnoître à ces traits?
Tu nous parles sans cesse, et les hommes distraits
N'écoutent point la voix qui frappe leurs oreilles.
Tu fais briller partout tes dons et tes merveilles;
Mais sur la terre, hélas! admirant tes bienfaits,
Nos regards jusqu'à toi ne remontent jamais :
Quique maître nouveau sans cesse nous entraîne,
Et d'objets en objets notre âme se promène,
Tandis que de toi seul nous restons séparés.
Que! crime, quelle erreur nous a donc égarés?
Nos malheurs, ô mon Dieu, seroient-ils sans ressource?
Sondons leur profondeur, remontons à leur source.
Que l'homme maintenant se présente à mes yeux;
Quand je l'aurai connu, je te connoîtrai mieux.

LA CHARTREUSE,

PAR GRESSET.

A M. D. D. N.

POURQUOI de ma sage indolence

Interrompez-vous l'heureux cours?
Soit raison, soit indifférence,
Dans une douce négligence,
Et loin des muses pour toujours,
J'allois racheter en silence
La perte de mes premiers jours.
Transfuge des routes ingrates
De l'infructueux Hélicon,
Dans les retraites des Socrates
J'allois jouir de ma raison,
Et m'arracher malgré moi-même.
Aux délicieuses erreurs

De cet art brillant et suprême
Qui, malgré les attraits flatteurs,
Toujours peu sûr et peu tranquille,
Fait de ses plus chers amateurs
L'objet de la haine imbécille
Des pédans, des prudes,
Et la victime des cagots.

des sots

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