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L'amour m'y tend les bras. Mon cœur m'a devancé.
C'est un noeud que de loin l'esprit a commencé.
Il est temps que la vue et l'achève et le serre.
Partons.

SCENE VII.

DAMIS, MONDOR.

MONDOR, donnant une lettre à Damis.

AH! grâce au ciel! enfin je vous déterre. (Damis prend la lettre et la lit bas.) Je vous cherche, monsieur, depuis huit jours entiers; Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers. J'ai craint au bord de l'eau vos visions cornues; Que chei chant quelque rime et lisant dans les nues, Pégase imprudemment, la bride sur le cou, N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Cloud. DAMIS en montrant la lettre.

Oh, oh! bon gré, mal gré, voici qui me retarde.

MONDOR.

Ecoutez donc, monsieur; ma foi, prenez-y garde. Un beau jour...

DAMIS.

Un beau jour ne te tairas-tu point?

MONDOR.

A votre aise. Après tout, liberté sur ce point.
Enfin, quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez être.
Mais personne, monsieur, ne veut vous y counoître ;
Et dans ce vaste enclos, que j'ai tout parcouru,
Je vous manquois encor, si vous n'eussiez paru.

DAMIS.

De mes admirateurs tout cet enclos fourmille :

Mais tu m'as demandé par mon nom de famille?

MONDOR.

Sans doute; comment donc aurois-je interrogé?

Je n'ai plus ce nom-là.

DAMIS.

MONDOR.

Vous en avez changé ?

DAMIS.

Oui ; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères.
Sous leur nom véritable ils ne s'illustrent guères;
Et, parmi ces messieurs, c'est l'usage commun
De prendre un nom de terre, ou de s'en forger un.

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De l'Empirée ? oui-dà ! N'ayant, sous l'horizon,
Ni feu, ni lieu qui puisse allonger votre nom,
Et ne possédant rien sous la voûte céleste,
Le nom de l'enveloppe est tout ce qui vous reste.
Voilà donc votre esprit devenu grand terrien.
L'espace est vaste: aussi s'y promène-t-il bien :
Mais quand il va là-haut, lui seul à sa campagne,
Que le corps, ici-bas, souffre qu'on l'accompagne!

DAMIS.

Et crois-tu donc qu'un homme à talens, tel que moi, Puisse régler sa marche et disposer de soi?

Les gens de mon espèce ont le destin des belles : Tout le monde voudroit nous enlever comme elles. Je me laisse entraîner chez monsieur Francaleu, Par un impertinent que je connoissois peu.

C'est lui qui me présente; et,' dupe du manége,
Je sers de passe-port au fat qui me protége.
On tenoit table encore: on se serre pour nous.
La joie, en circulant, me gagne ainsi qu'eux tous.
Je la sens: j'entre en verve ; et le feu prend aux poudres.
Il part de moi des traits, des éclairs et des foudres.
J'ai le vol si rapide et si prodigieux,

Qu'à me suivre, on se perd, après moi, dans les cieux:
Et c'est là qu'à grands cris, je reçois des convives,
Ce nom qui va du Pinde enrichir les archives.

MONDOR.

Qui va nous appauvrir, à coup sûr, tous les deux.

DAMIS.

Ensuite un équipage et commode et pompeux
Me roule, en un quart d'heure, à ce lieu de plaisance,
Où je ris, chante et bois; le tout par complaisance.

MONDOR.

Par complaisance? soit. Mais vous ne savez pas

?

Eh quoi ?

DAMIS.

MONDOR.

Pendant qu'aux champs vous prenez vos ébats,

La fortune, à la ville, en est un peu jalouse.
Monsieur Baliveau...

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DAMIS.

Qu'il y reste.

MONDOR.

Fort bien !

Sans croire, sans vouloir que vous en sachiez rien.

DAMIS.

Pourquoi donc me le dire?

MONDOR.

Ah! quelle indifférence! Et rien est-il pour vous de plus de conséquence? Un oncle riche et vieux, dont votre sort dépend, Qui, du bien qu'il vous veut, sans cesse se repent ; Prétendant sur son goût régler votre génie,

De vos diables de vers détestant la manie,

Et qui, depuis cinq ans bien comptés, dieu merci,
Pour faire votre droit, nous pensionne ici.

Attendez-vous, monsieur, à d'horribles tempêtes.
Il vient incognito pour voir où vous en êtes.
Peut-être il sait déjà que, vous donnant l'essor,
Vous n'avez pris ici d'autre licence encor

Que celles qu'il craignoit, et que dans vos rubriques

Vous nommez, entre vous, licences poétiques.

Ah! monsieur, redoutez son indignation;

Vous aurez encouru l'exhérédation.

Ce mot doit vous toucher, ou votre âme est bien dure.

DAMIS.

Mondor, porte ces vers à l'auteur du Mercure.

MONDOR, refusant de prendre le papier.

Beau fruit de mon sermon !

DAMIS.

Digne du sermoueur.

MONDOR.

Et que doit nous valoir ce papier?

DAMIS.

De l'honneur.

MONDOR.

Bon! de l'honneur.

DAMIS.

Tu crois que je dis des sornettes ?

MONDOR.

C'est qu'on n'a point d'honneur à mal payer ses dettes, Et qu'avec celui-ci vous les paierez très-mal.

DAMIS.

Qu'un valet raisonneur est un sot animal!
Eh! fais ce qu'on te dit.

MONDOR.

Aussi, ne vous déplaise,

Vous en parlez, monsieur, un peu trop à votre aise.
Vous avez les plaisirs, et moi, tout l'embarras.
Vous et vos créanciers, je vous ai sur les bras.
C'est moi qui les écoute et qui les congédie.
Je suis las de jouer, pour vous, la comédie;
De vous celer, d'oser remettre au lendemain,
Pour emprunter encore avec un front d'airain.
Ma probité répugne à ces façons de vivre.
De ce monde aboyant cherchez qui vous délivre.
Pour moi, plein désormais d'un juste repentir,
J'abandonne le rôle, et ne veux plus mentir.
Viennent baigneur, marchand, tailleur, hôte, aubergiste;
Que leur cour vous talonne et vous suive à la piste,
Tirez-vous-en tout seul, et voyons une fois...

DAMIS, en lui tendant le même papier.
Tu me rapporteras le Mercure du mois ;

Entends-tu?

18e siècle.

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