soit ou plus doux, ou plus fort, ou plus élevé, ou plus étendu, ou plus agréable, ou plus plein, ou meilleur que l'amour, parce que l'amour est né de Dieu, et que s'élevant au-dessus de toutes les créatures, il ne peut se reposer qu'en Dieu. <«< Celui qui aime est toujours dans la joie il court, il vole, il est libre, et rien ne le retient; il donne tout pour tous, et possède tout en tous, parce qu'il se repose dans ce bien unique et souverain qui est au-dessus de tout, et d'où découlent et procèdent tous les biens. «Il ne s'arrête jamais aux dons qu'on lui fait; mais il s'élève de tout son cœur vers celui qui les lui donne. «Il n'y a que celui qui aime qui puisse comprendre les cris de l'amour, et ces paroles de feu, qu'une âme vivement touchée de Dieu lui adresse, lorsqu'elle lui dit : Vous êtes mon Dieu, vous êtes mon amour, vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous. « Entendez mon cœur afin qu'il vous aime davantage, et que j'apprenne, par un goût intérieur et spirituel, combien il est doux de vous aimer, de nager et de se perdre, pour ainsi dire, dans cet océan de votre amour. « Celui qui aime généreusement, ajoute l'auteur de l'Imitation, demeure ferme dans les tentations, et ne se laisse point surprendre aux persuasions artificieuses de son ennemi. » Et c'est cette passion chrétienne, c'est cette querelle immense entre les amours de la terre et les amours du ciel, que Corneille a peint dans cette scène de Polyeucte1 (car ce grand homme, moins délicat que les esprits du jour, n'a pas trouvé le christianisme au-dessous de son génie): POLYEUCTЕ. Si mourir pour son prince est un illustre sort, Quel Dieu ? PAULINE. POLYEUCTE. Tout beau, Pauline, il entend vos paroles; De bois, de marbre ou d'or, comme vous le voulez ; PAULINE. Adorez-le dans l'âme, et n'en témoignez rien. POLYEUCTE. Que je sois tout ensemble idolâtre et chrétien! PAULINE. Ne feignez qu'un moment, laissez partir Sévère, POLYEUCTE. Les bontés de mon Dieu sont bien plus à chérir. Acte Iv, scène III. Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne, Et sous leur triste joug mourir comme elle est née ! PAULINE. Que dis-tu, malheureux ! qu'oses-tu souhaiter? POLYEUCTE. Ce que de tout mon sang je voudrois acheter. Que plutôt !... PAULINE. POLYEUCTE. C'est en vain qu'on se met en défense; PAULINE. Quittez cette chimère, et m'aimez. POLYEUCTE. Je vous aime Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même. PAULINE. Au nom de cet amour, ne m'abandonnez pas. POLYEUCTE. Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas. PAULINE. C'est peu de me quitter, tu veux donc me séduire? POLYEUCTE. C'est peu d'aller au ciel, je veux vous y conduire. Imaginations! PAULINE. POLYEUCTE. Célestes vérités! PAULINE. Etrange aveuglement! POLYEUCTE. Éternelles clartés! PAULINE. Tu préfères la mort à l'amour de Pauline! POLYEUCTE. Vous préférez le monde à la bonté divine, etc., etc. Voilà ces admirables dialogues, à la manière de Corneille, où la franchise de la repartie, la rapidité du tour et la hauteur des sentiments ne manquent jamais de ravir le spectateur. Que Polyeucte est sublime dans cette scène! Quelle grandeur d'âme, quel divin enthousiasme, quelle dignité! La gravité et la noblesse du caractère chrétien sont marquées jusque dans ces vous opposés aux tu de la fille de Félix : cela seul met déjà tout un monde entre le martyr Polyeucte et la païenne Pauline. Enfin, Corneille a deployé la puissance de la passion chrétienne dans ce dialogue admirable et toujours applaudi, comme parle Voltaire. Félix propose à Polyeucte de sacrifier aux faux dieux; Polyeucte le refuse. FÉLIX. Enfin ma bonté cède à ma juste fureur : Adore-les, ou meurs. POLYEUCTE. Je suis chrétien. FÉLIX. Impie! Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie. POLYEUCTE. Je suis chrétien. FÉLIX. Tu l'es? O cœur trop obstiné! Soldats, exécutez l'ordre que j'ai donné. PAULINE. Où le conduisez-vous? FÉLIX. A la mort. POLYEUCTE. A la gloire '. Ce mot, je suis chrétien, deux fois répété, égale les plus beaux mots des Horaces. Corneille, qui se connoissoit si bien en sublime, a senti que l'amour pour la religion pouvoit s'élever au dernier degré d'enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme la souveraine beauté, et le ciel comme sa patrie. Qu'on essaie maintenant de donner à un idolâtre quelque chose de l'ardeur de Polyeucte. Sera-ce pour une déesse impudique qu'il se passionnera, ou pour un dieu abominable qu'il courra à la mort? Les religions qui peuvent échauffer les âmes sont celles qui se rapprochent plus ou moins du dogme de l'unité d'un Dieu; autrement, le cœur et l'esprit, partagés entre une multitude de divinités, ne peuvent aimer fortement ni les unes ni les autres. Il ne peut, en outre, y avoir d'amour durable que pour la vertu la passion dominante de l'homme sera toujours la vérité; quand il aime l'erreur, c'est que cette erreur, au moment qu'il y croit, est pour lui comme une chose vraie. Nous ne chérissons pas le mensonge, bien tombions sans que nous y 1 Acte v, scène III. GENIE DU CHRIST. T. II. 7 |