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CANTABO: Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur. Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. »>

Nous avions cru pendant quelque temps que l'oraison funèbre du prince de Condé, à l'exception du mouvement qui la termine, étoit généralement trop louée; nous pensions qu'il étoit plus aisé, comme il l'est en effet, d'arriver aux formes d'éloquence du commencement de cet éloge, qu'à celles de l'oraison de madame Henriette: mais quand nous avons lu ce discours avec attention; quand nous avons vu l'orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit, et donner, comme en se jouant, un chant d'Homère; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique, et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres; lorsque après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros; lorsque, enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis, dont il a l'air de faire les funérailles, prêt à s'abîmer dans l'éternité, à ce dernier effort de l'éloquence humaine, les larmes de l'admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains.

NOTES

ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTE A, page 4.

COMME la philosophie du jour loue précisément le polythéisme d'avoir fait cette séparation, et blâme le christianisme d'avoir uni les forces morales aux forces religieuses, je ne croyois pas que cette proposition pût être attaquée. Cependant un homme de beaucoup d'esprit et de goût, et à qui l'on doit toute déférence, a paru douter de l'assertion. Il m'a objecté la personnification des êtres moraux, comme la sagesse dans Minerve, etc.

Il me semble, sauf erreur, que les personnifications ne prouvent pas que la morale fût unie à la religion dans le polythéisme. Sans doute, en adorant tous les vices divinisés, on adoroit aussi les vertus; mais le prêtre enseignoit-il la morale dans les temples et chez les pauvres? Son ministère consistoit-il à consoler les malheureux par l'espoir d'une autre vie, à inviter le pauvre à la vertu, le riche à la charité ? Que s'il y avoit quelque morale attachée au culte de la déesse de la Justice, de la Sagesse, cette morale n'étoit-elle pas presque absolument détruite, et surtout pour le peuple, par le culte des plus infâmes divinités? Tout ce qu'on pourroit dire, c'est qu'il y avoit quelques sentences gravées sur le frontispice et sur les murs des temples, et qu'en général le prêtre et le législateur recommandoient au peuple la crainte des dieux. Mais cela ne suffit pas pour prouver que la profession de la morale fût essentiellement liée au polythéisme, quand tout démontre au contraire qu'elle en étoit séparée.

Les moralités qu'on trouve dans Homère sont presque toujours indépendantes de l'action céleste : c'est une simple réflexion que le poëte fait sur l'événement qu'il raconte, ou la catastrophe qu'il décrit. S'il personnifie les remords, la colère divine, etc., s'il peint le coupable au Tartare et le juste aux Champs-Élysées, ce sont sans doute de belles fictions, mais qui ne constituent pas un code moral attaché au polythéisme comme l'Évangile l'est à la religion chrétienne. Otez l'Évangile à Jésus-Christ, et le christianisme n'existe plus; enlevez aux anciens l'allégorie de Minerve, de Thémis, de Némésis, et le polythéisme existe encore. Il est certain, d'ailleurs, qu'un culte qui n'admet qu'un seul Dieu doit s'unir étroitement à la morale, parce qu'il est uni à la vérité ; tandis qu'un culte qui reconnoît la pluralité des dieux s'écarte nécessairement de la morale, en se rapprochant de l'erreur.

Quant à ceux qui font un crime au christianisme d'avoir ajouté la force morale à la force religieuse, ils trouveront ma réponse dans le dernier chapitre de cet ouvrage, où je montre qu'au défaut de l'esclavage antique, les peuples modernes doivent avoir un frein puissant dans leur religion.

NOTE B, page 83.

Voici quelques fragments que nous avons retenus de mémoire, et qui semblent être échappés à un poëte grec, tant ils sont pleins du goût de l'antiquité.

Accours, jeune Chromis, je t'aime, et je suis belle,

Blanche comme Diane, et légère comme elle;

Comme elle grande et fière; et les bergers, le soir,
Lorsque, les yeux baissés, je passe sans les voir,

Doutent si je ne suis qu'une simple mortelle,

Et, me suivant des yeux, disent: Comme elle est belle!

Néère, ne va point te confier aux flots,

De peur d'être déesse, et que les matelots

N'invoquent, au milieu de la tourmente amère,

La blanche Galatée et la blanche Néère.

Une autre idylle intitulée le Malade, trop longue pour être citée, est pleine des beautés les plus touchantes. Le fragment qui suit est d'un genre différent : par la mélancolie dont il est empreint, on diroit qu'André Chénier, en le composant, avoit un pressentiment de sa destinée :

Souvent, las d'être esclave et de boire la lie

De ce calice amer que l'on nomme la vie;
Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,

Je regarde la tombe, asile souhaitė;

Je souris à la mort volontaire et prochaine;

Je la prie, en pleurant, d'oser rompre ma chaîne.
Le fer libérateur qui perceroit mon sein
Déjà frappe mes yeux, et frémit sous ma main.

Et puis mon cœur s'écoute et s'ouvre à la foiblesse :
Mes parents, mes amis, l'avenir, ma jeunesse,
Mes écrits imparfaits; car à ses propres yeux
L'homme sait se cacher d'un voile spécieux.
A quelque noir destin qu'elle soit asservie,
D'une étreinte invincible il embrasse la vie,
Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir,
Quelque prétexte ami pour vivre et pour souffrir.
Il a souffert, il souffre: aveugle d'espérance,

Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance;
Et la mort, de nos maux ce remède si doux,

Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous.

Les écrits de ce jeune homme, ses connoissances variées, son courage, sa noble proposition à M. de Malesherbes, ses malheurs et sa mort, tout sert à répandre le plus vif intérêt sur sa mémoire. Il est remarquable que la France a perdu, sur la fin du dernier siècle, trois beaux talents à leur aurore : Malfilâtre, Gilbert et André Chénier; les deux premiers sont morts de misère, le troisième a péri sur l'échafaud.

NOTE C, page 104.

Nous ne voulons qu'éclaircir ce mot descriptif, afin qu'on ne l'interprète pas dans un sens différent de celui que nous lui donnons. Quelques personnes ont été choquées de notre assertion, faute d'avoir bien compris ce que nous voulions dire. Certainement les poëtes de l'antiquité ont des morceaux descriptifs; il seroit absurde de le nier, surtout si l'on donne la plus grande extension à l'expression, et qu'on entende par-là des descriptions de vêtements, de repas, d'armées, de cérémonies, etc., etc.; mais ce genre de description est totalement différent du nôtre; en général, les anciens ont peint les mœurs, nous peignons les choses: Virgile décrit la maison rustique, Théocrite les bergers, et Thomson les bois et les déserts. Quand les Grecs et les Latins ont dit quelques mots d'un paysage, ce n'a jamais été que pour y placer des personnages et faire rapidement un fond de tableau; mais ils les fleuves, n'ont jamais représenté nuement, comme nous les montagnes et les forêts: c'est tout ce que nous prétendons dire ici. Peut-être objectera-t-on que les anciens avoient raison de regarder la poésie descriptive comme l'objet accessoire, et non comme l'objet principal du tableau ; je le pense aussi, et l'on a fait de nos jours un étrange abus du genre descriptif; c'est un moyen que mais il n'en est pas moins vrai de plus entre nos mains, et qu'il a étendu la sphère des images poétiques, sans nous priver de la peinture des mœurs et des sions, telle qu'elle existoit pour les anciens.

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