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de s'exprimer, plus touchantes, selon nous, que toute la poésie d'Homère. Si celui-ci veut peindre la vieillesse, il dit:

Τοῖσι δὲ Νέστωρ, etc.

<< Nestor, cet orateur des Pyliens, cette bouche éloquente dont les paroles étoient plus douces que le miel, se leva au milieu de l'assemblée. Déjà il avoit charmé par ses discours deux générations d'hommes, entre lesquelles il avoit vécu dans la grande Pylos, et il régnoit maintenant sur la troisième 1. »

Cette phrase est de la plus belle antiquité, comme de la plus douce mélodie. Le second vers imite la douceur du miel et l'éloquence onctueuse d'un vieillard:

Τοῦ καὶ ἀπὸ γλώσσης μέλιτος γλυκίων ῥέεν αὐδή.

Pharaon ayant interrogé Jacob sur son âge, le patriarche répond:

Il y a cent trente ans que je suis voyageur. Mes jours ont été courts et mauvais, et ils n'ont point égalé ceux de mes pères 2.

D

Voilà deux sortes d'antiquités bien différentes : l'une est en images, l'autre en sentiments; l'une réveille des idées riantes, l'autre des pensées tristes: l'une, représentant le chef d'un peuple, ne montre le vieillard que relativement à une position de la

1 Iliad., lib. 1, v. 247 62.

2 Genèse, chap. XLVII, v. 9.

vie; l'autre le considère individuellement et tout entier en général Homère fait plus réfléchir sur les hommes, et la Bible sur l'homme.

Homère a souvent parlé des joies de deux époux; mais l'a-t-il fait de cette sorte?

<< Isaac fit entrer Rébecca dans la tente de Sara sa mère, et il la prit pour épouse; et il eut tant de joie en elle, que la douleur qu'il avoit ressentie de la mort de sa mère fut tempérée 1. »

Nous terminerons ce parallèle et notre poétique chrétienne par un essai qui fera comprendre dans un instant la différence qui existe entre le style de la Bible et celui d'Homère; nous prendrons un morceau de la première pour la peindre des couleurs du second. Ruth parle ainsi à Noémi :

«Ne vous opposez point à moi, en me forçant à vous quitter, et à m'en aller : en quelque lieu que vous alliez, j'irai avec vous. Je mourrai où vous mourrez; votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu 2. »

Tâchons de traduire ce verset en langue homérique.

« La belle Ruth répondit à la sage Noémi, honorée des peuples comme une déesse: Cessez de vous opposer à ce qu'une divinité m'inspire; je vous dirai la vérité telle que je la sais et sans déguisement. Je suis résolue de vous suivre. Je demeurerai avec vous, soit

'Genèse, chap. xxi, v. 67.

› Ruth., chap. 1, v. 6.

que vous restiez chez les Moabites, habiles à lancer le javelot, soit que vous retourniez au pays de Juda, si fertile en oliviers. Je demanderai avec vous l'hospitalité aux peuples qui respectent les suppliants. Nos cendres seront mêlées dans la même urne, et je ferai au Dieu qui vous accompagne toujours des sacrifices agréables.

<< Elle dit et comme, lorsque le violent zéphyr amène une pluie tiède du côté de l'occident, les laboureurs préparent le froment et l'orge, et font des corbeilles de jonc très proprement entrelacées, car ils prévoient que cette ondée va amollir la glèbe, et la rendre propre à recevoir les dons précieux de Cérès, ainsi les paroles de Ruth, comme une pluie féconde, attendrirent le cœur de Noémi. >

Autant que nos foibles talents nous ont permis d'imiter Homère, voilà peut-être l'ombre du style de cet immortel génie. Mais le verset de Ruth, ainsi délayé, n'a-t-il pas perdu ce charme original qu'il a dans l'Écriture ? Quelle poésie peut jamais valoir ce seul tour: « Populus tuus populus meus, Deus tuus Deus meus. » Il sera aisé maintenant de prendre un passage d'Homère, d'en effacer les couleurs, et de n'en laisser que le fond à la manière de la Bible.

Par-là nous espérons (du moins aussi loin que s'étendent nos lumières) avoir fait connoître aux lecteurs quelques-unes des innombrables beautés des livres saints: heureux si nous avons réussi à leur faire admirer cette grande et sublime pierre qui porte l'Église de Jésus-Christ!

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GÉNIE DU CHRISTIANISME.

«Si l'Écriture dit saint Grégoire-le-Grand, renferme des mystères capables d'exercer les plus éclairés, elle contient aussi des vérités simples propres à nourrir les humbles et les moins savants: elle porte à l'extérieur de quoi allaiter les enfants, et dans ses plus secrets replis, de quoi saisir d'admiration les esprits les plus sublimes. Semblable à un fleuve dont les eaux sont si basses en certains endroits, qu'un agneau pourroit y passer, et en d'autres si profondes, qu'un éléphant y nageroit. >>

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TROISIÈME PARTIE.

BEAUX ARTS ET LITTÉRATURE.

LIVRE PREMIER.

BEAUX ARTS.

CHAPITRE PREMIER.

MUSIQUE.

DE L'INFLUENCE DU CHRISTIANISME DANS LA MUSIQUE.

'RÈRES de la poésie, les beaux arts vont être maintenant l'objet de nos études : attachés aux pas de la religion chrétienne, ils la reconnurent pour leur mère aussitôt qu'elle parut au monde ; ils lui prêtèrent leurs charmes terrestres; elle leur donna sa divinité; la musique nota ses chants, la peinture la représenta dans ses douloureux triomphes, la sculpture se plut à rêver avec elle sur les tombeaux, et l'architecture lui bâtit des temples sublimes et mystérieux comme sa pensée.

Platon a merveilleusement défini la nature de la musique : « On ne doit pas, dit-il, juger de la musique par le plaisir, ni rechercher celle qui n'auroit d'autre objet que le plaisir, mais celle qui contient en soi la ressemblance du beau. >>

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