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chrétien est plus favorisé dans la solitude où Dieu se promène avec lui! Libres de ce troupeau de dieux ridicules qui les bornoient de toutes parts, les bois se sont remplis d'une Divinité immense. Le don de prophétie et de sagesse, le mystère et la religion, semblent résider éternellement dans leurs profondeurs sacrées.

Pénétrez dans ces forêts américaines aussi vieilles que le monde: quel profond silence dans ces retraites quand les vents reposent! quelles voix inconnues quand les vents viennent à s'élever! Êtesvous immobile, tout est muet; faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s'approche, les ombres s'épaississent: on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres; la terre murmure sous vos pas; quelques coups de foudre font mugir les déserts; la forêt s'agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l'Orient; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s'assied sur le tronc d'un chêne pour attendre le jour; il regarde tour à tour l'astre des nuits, les ténèbres, le fleuve; il se sent inquiet, agité, et, dans l'attente de quelque chose d'inconnu, un plaisir inouï, une crainte extraordinaire, font palpiter son sein, comme s'il alloit être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts; mais l'esprit de l'homme remplit aisément les espaces de la nature, et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu'une seule pensée de son cœur.

Oui, quand l'homme renieroit la Divinité, l'être pensant, sans cortége et sans spectateur, seroit encore plus auguste au milieu des mondes solitaires que s'il y paroissoit environné des petites déités de la fable; le désert vide auroit encore quelques convenances avec l'étendue de ses idées, la tristesse de ses passions et le dégoût même d'une vie sans illusion et sans espérance.

Il y a dans l'homme un instinct qui le met en rapport avec les scènes de la nature. Eh! qui n'a passé des heures entières assis sur le rivage d'un fleuve, à voir s'écouler les ondes ! Qui ne s'est plu, au bord de la mer, à regarder blanchir l'écueil éloigné ! Il faut plaindre les anciens, qui n'avoient trouvé dans l'Océan que le palais de Neptune et la grotte de Protée; il étoit dur de ne voir que les aventures des tritons et des néréides dans cette immensité des mers, qui semble nous donner une mesure confuse de la grandeur de notre âme, dans cette immensité qui fait naître en nous un vague désir de quitter la vie pour embrasser la nature et nous confondre avec son auteur.

CHAPITRE II.

DE L'ALLEGORIE.

Mais quoi! dira-t-on, ne trouvez-vous rien de beau dans les allégories antiques?

Il faut faire une distinction.

L'allégorie morale, comme celle des Prières dans Homère, est belle en tout temps, en tout pays, en toute religion : le christianisme ne l'a pas bannie. Nous pouvons, autant qu'il nous plaira, placer au pied du trône du souverain Arbitre les deux tonneaux du bien et du mal. Nous aurons même cet avantage, que notre Dieu n'agira pas injustement et au hasard, comme Jupiter : il répandra les flots de la douleur sur la tête des mortels, non par caprice, mais pour une fin à lui seul connue. Nous savons que notre bonheur ici-bas est coordonné à un bonheur général dans une chaîne d'êtres et de mondes qui se dérobent à notre vue; que l'homme, en harmonie avec les globes, marche d'un pas égal avec eux à l'accomplissement d'une révolution que

Dieu cache dans son éternité.

Mais si l'allégorie morale est toujours existante pour nous, il n'en est pas ainsi de l'allégorie physique. Que Junon soit l'air, que Jupiter soit l'ether, et qu'ainsi frère et sœur ils soient encore époux et épouse, où est le charme de cette personnification? Il y a plus cette sorte d'allégorie est contre les principes du goût, et même de la saine logique.

On ne doit jamais personnifier qu'une qualité ou qu'une affection d'un être, et non pas cet étre luimême; autrement ce n'est plus une véritable personnification, c'est seulement avoir fait changer de nom à l'objet. Je peux faire prendre la parole à une pierre, mais que gagnerai-je à appeler cette pierre d'un nom allégorique ? Or, l'âme, dont la nature est la vie, a essentiellement la faculté de produire;

des

de sorte qu'un de ses vices, une de ses vertus, peuvent être considérés ou comme son fils, ou comme sa fille, puisqu'elle les a véritablement engendrés. Cette passion, active comme sa mère, peut à son tour croître, se développer, prendre des traits, devenir un être distinct. Mais l'objet physique, être passif de son essence, qui n'est susceptible ni de plaisir ni de douleur, qui n'a que accidents et point de passions, et des accidents aussi morts que lui-même, ne présente rien qu'on puisse animer. Sera-ce la dureté du caillou, ou la sève du chêne, dont vous ferez un être allégorique? Remarquez même que l'esprit est moins choqué de la création des dryades, des naïades, des zéphyrs, des échos, que de celle des nymphes attachées à des objets muets et immobiles : c'est qu'il y a dans les arbres, dans l'eau et dans l'air un mouvement et un bruit qui rappellent l'idée de la vie, et qui peuvent par conséquent fournir une allégorie comme le mouvement de l'âme. Mais, au reste, cette sorte de petite allégorie matérielle, quoiqu'un peu moins mauvaise que la grande allégorie physique, est toujours d'un genre médiocre, froid et incomplet; elle ressemble tout au plus aux fées des Arabes et aux génies des Orientaux.

Quant à ces dieux vagues que les anciens plaçoient dans les bois déserts et sur les sites agrestes, ils étoient d'un bel effet sans doute; mais ils ne tenoient plus au système mythologique : l'esprit humain retomboit ici dans la religion naturelle. Ce que le voyageur tremblant adoroit en passant dans

ces solitudes étoit quelque chose d'ignoré, quelque chose dont il ne savoit point le nom, et qu'il appeloit la Divinité du lieu; quelquefois il lui donnoit le nom de Pan, et Pan étoit le Dieu universel. Ces grandes émotions qu'inspire la nature sauvage n'ont point cessé d'exister, et les bois conservent encore pour nous leur formidable divinité.

Enfin il est si vrai que l'allégorie physique, ou les dieux de la fable, détruisoient les charmes de la nature, que les anciens n'ont point eu de vrais peintres de paysage', par la même raison qu'ils n'avoient point de poésie descriptive. Or, chez les autres peuples idolâtres qui ont ignoré le système mythologique, cette poésie a plus ou moins été connue; c'est ce que prouvent les poëmes sanskrits, les contes arabes, les Edda, les chansons des Nègres et des Sauvages 2. Mais, comme les nations infidèles ont toujours mêlé leur fausse religion (et par con séquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n'est que sous le christianisme qu'on a su peindre la nature dans sa vérité.

Les faits sur lesquels cette assertion est appuyée sont développés dans la note 1, à la fin du volume.

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