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Thucyd. l. 9.

On voit par la harangue de Périclès aux Athéniens au fujet de la guerre du Péloponnéfe, combien ce grand homme, qui gouvernoit avec tant de fageffe les affaires de fa République, excelloit dans la science des armes, & combien fa prévoyance étoit vafte & profonde. Il régla l'état de la guerre, non pour une feule campagne, mais pour tout le tems que cette guerre dureroit, & il le régla fur la parfaite connoiffance qu'il avoit, & qu'il donna aux Athéniens, des forces de Lacédémone. Il les détermina à fe renfermer dans leur ville, & à fouffrir le ravage de leurs terres, plutôt que de hazarder un combat contre une armée beaucoup plus nombreuse que la leur, pendant que de fon côté il iroit avec fa flotte ravager toutes les côtes du Péloponnéfe. Il leur recommanda furtout de ne point former d'entreprise audehors, & de ne point fonger à de nouvelles conquêtes, moyennant quoi il leur promettoit une victoire affurée. Ce fut pour avoir méprifé ce dernier avis, & avoir porté leurs armes dans la Sicile, que les Athéniens périrent.

Y a-t-il rien de plus fage & de mieux concerté, que le plan qu'Annibal forma d'aller attaquer les Romains dans leur propre pays! Il propofa le même deffein à Antiochus, qui auroit fort embarraffé les Romains, s'il l'avoit fuivi: mais ce Prince n'avoit ni affez d'étendue d'efprit, ni affez de difcernement pour en comprendre

toute l'utilité & la fageffe.

Peut-être qu'Alexandre eût été arrêté tout court, réduit à la famine, & obligé de retourner dans fon Royaume, fi Darius, fuivant que nous l'avons remarqué plus haut, eût ravagé lui-même les terres par où fon ennemi devoit paffer, & s'il eût fait une puiffante diverfion dans la Macédoine, comme le lui confeilloit Memnon, l'un de fes Généraux, & l'un des plus habiles Capitaines qu'ait eu l'antiquité.

Former de tels plans, ce n'eft point faire la guerre au jour la journée & comme au hazard, en attendant que les événemens nous déterminent: c'eft fe conduire en grand homme, & agir avec connoiffance de caufe. Il (a) eft rare que des entreprifes, concertées avec tant de fageffe, n'ayent pas un heureux fuccès.

S. II.

Départ & marche des troupes.

Cyrop. I. t.

LE commencement & la fin de la guer- Xenoph. in re, le départ & le retour des troupes, étoient toujours confacrés par des actes de religion & des facrifices folemnels.

On fe fouvient fans doute qu'entre plufieurs avis que Cambyfe, Roi des Perfes, donna à fon fils Cyrus lorfqu'il partoit

(a) Qui victoriam cupit, tus, dimicet arte, non milites imbuat diligenter. cafu. Veget. lib. 3. in proQui fecundos optat even-logo.

pour fa première campagne, il infifta principalement fur la néceffité de n'entreprendre aucune action, grande ou petite, pour foi ou pour les autres, fans avoir confulté les Dieux, & fans leur avoir offert des Ibid. lib. 2. facrifices. Il exécuta ce confeil avec une exactitude merveilleufe. Quand il fut arrivé fur les frontières de la Perfe, il immola des victimes aux Dieux du pays, & à ceux de Médie dès qu'il y fut entré, pour implorer leur fecours, & les prier de lui être favorables. Son Hiftorien ne rougit point de répéter plufieurs fois que ce Prince, en toute occafion, avoit grand foin de s'acquitter de ce devoir, dont il faifoit dépendre tout le fuccès de ses entreprises. Xénophon lui-même, guerrier & Philofophe, ne s'engageoit dans aucune démarche importante fans avoir auparavant confulté les Dieux.

Liv. lib. 21.

G. 21.

Tous les héros d'Homére paroiffent fort religieux, & ont recours à la Divinité dans tous leurs befoins & tous leurs dangers.

Alexandre le Grand ne fortit point d'Europe, & n'entra point en Afie, fans avoir invoqué les Divinités qui présidoient à l'une & à l'autre.

Annibal, avant que de s'engager dans la guerre contre les Romains, fit un voya ge exprès à Cadix, pour s'acquitter des vœux qu'il avoit faits à Hercule, & pour implorer fa protection par de nouveaux vœux dans la nouvelle expédition qu'il entreprenoit.

Les Grecs étoient fort religieux à s'ac quitter de ce devoir. Leurs armées ne partoient point fans être accompagnées des Arufpices, des Sacrificateurs, & des autres Interprêtes de la volonté des Dieux, dont ils croyoient devoir s'affurer avant que de hazarder une bataille.

Mais de tous les peuples de la terre, les Romains ont été les plus exacts à recourir à la Divinité, foit (a) dans le commencement de leurs guerres, foit dans les grands dangers où ils fe trouvoient quelquefois expofés, foit après leurs heureux fuccès & ils n'attribuoient le bonheur de leurs armes qu'au foin qu'ils avoient de rendre ce culte à leurs Dieux.

Ils fe trompoient dans l'objet, non dans le principe; & cette coutume générale de tous les peuples, montre qu'on a toujours reconnu un Etre fouverain, tout - puissant, appliqué à gouverner le monde, maître abfolu de tous les événemens, & en particulier de ceux de la guerre, & attentif aux prières & aux vœux qu'on lui adreffoit.

Marche de l'armée.

QUAND tout étoit prêt, & qu'on s'étoit affemblé au lieu & au tems marqués, l'armée fe mettoit en marche. Pour éviter

(a) Ejus belli ( contra juffiffet. Liv. l. 20. n. 17. Annibalem) caufà fuppli- Civitas religiofa in princatio per urbem habita, cipiis maximè novorum atque adorati Dii, ut benè bellorum, fupplicationes ac foeliciter eveniret quod habuit, Id, lib. 32. n. J. bellum populus Romanus

AS

une trop grande longueur, je ne parlerai ici prefque que des Romais: on jugera des autre peuples à proportion.

C'eft une chofe étonnante de voir quelle étoit la charge des foldats dans la marche. Outre (a) leurs armes, dit Cicéron, le bouclier, l'épée, le cafque, (on pourroit ajouter les javelots ou la démie-pique ) outre ces armes, qu'ils ne regardoient point comme un fardeau non plus que leurs épaules, leurs bras & leurs mains car ils difoient que les armes font comme les membres d'un foldat; ils portoient des vivres pour quinze jours, & quelquefois plus, tout l'attirail de leur petit ménage, & un pieu chacun qui étoit affez pefant. Végéce (b) recommande qu'on exerce les jeunes foldats à porter un poids de plus de quarante-cinq de nos livres, outre leurs armes, & à faire la marche ordinaire, afin que dans l'occafion & le befoin ils y foient sy tout accoutumés. Et telle étoit la prati

(a) Noftri exercitus pri-gerunt aptè, ut, fi ufus mùm undè nomen ha- foret, abjectis oneribus, beant, vides. Deindè qui expeditis armis, ut memlabor, quantus agminis! bris, pugnare poffint. Cic. ferre plùs dimidiati menfis Tufc. 2. n. 37.

cibaria, ferre fi quid ad (b) Pondus quoque ba'ufum velint ferre valjulare ufque ad 60. libras lum : nam fcutum, gla- & iter facere gradu mili dium, galeam in onere tari, frequentiffimè cogennoftri milites non plùs nu- di funt juniores, quibus merant, quàm humeros, in arduis expeditionibus lacertos, manus. Arma neceffitas imminet anno. enim, membra militis effe nam pariter & arma por dicunt quæ quidem ita tandi. Veget, lib. 1. c. 19.

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