Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

qu'il eft ferré & concis, & Ciceron au con-
traire en ce qu'il est diffus & étendu. On
peut comparer ce premier à caufe de la vio-
lence, de la rapidité, de la force, & de la
vehemence avec laquelle il ravage, pour ainfi
dire, & emporte tout, à une tempefte & à
un foudre. Pour Ciceron, on peut dire, à
mon avis, que comme un grand embrase-
ment il devore & confume tout ce qu'il ren-
contre avec un feu qui ne s'éteint point, qu'il
répand diversement dans fes Ouvrages; &
qui, à mesure qu'il s'avance, prend toûjours
de nouvelles forces. Mais vous pouvez
mieux juger de cela que moi. Au refte le Su-
blime de Demofthene vaut fans doute bien
mieux dans les exaggerations fortes, & dans
les violentes paffions, quand il faut, pour ain-
fi dire, étonner l'Auditeur. Au contraire l'a-
bondance eft meilleure, lors qu'on veut, fi
j'ofe me fervir de ces termes, répandre une
rofée agreable dans les efprits. Et certaine-
ment un difcours diffus eft bien plus propre
pour les lieux communs, les Peroraisons,
les Digreffions, & generalement pour tous
ces difcours qui fe font dans le Genre de-
monftratif. 11 en eft de mefme pour les Hi-
ftoires, les Traitez de Phyfique & plusieurs
autres femblables matieres.

CHAPITRE XI.

De l'Imitation.

Pour
Our retourner à noftre difcours, Platon
dont le ftile ne laiffe pas d'eftre fort éle-
vé, bien qu'il coule fans eftre rapide & fans

[ocr errors]

faire du bruit, nous a donné une idée de ce ftile que vous ne pouvez ignorer fi vous avez lû les livres de fa Republique. Ces hommes. malheureux, dit-il quelque part, qui ne fçavent ce que c'est que de fageffe ny de vertu, ម qui font continuellement plongez dans les feftins & dans la dévauche, vont toûjours de pis en pis, & errent enfin toute leur vie. La Verité n'a point pour eux d'attraits ny de charmes : Ils n'ont jamais levé les yeux pour la regarder ; En un mot ils n'ont jamais goûté de pur ny de folide plaifir. Ils font comme des beftes qui regardent toujours en bas, & qui font courbées vers la Terre: ils ne fongent qu'à manger, & à repaiftre, qu'à fatisfaire leurs passions_bratales, & dans l'ardeur de les raffafier, ils regimbent, ils égratignent, ils fe battent à coups d'ongles & de cornes de fer, & periffent à la fin par leur gourmandise infatiable.

Aurefte ce Philofophe nous a encore enfeigné un autre chemin, fi nous ne voulons point le negliger, qui nous peut conduire au Sublime. Quel eft ce chemin? c'est l'imitation & l'émulation des Poëtes & des Ecrivains illuftres qui ont vefcu devant nous. Car c'est le but que nous devons toûjours nous mettre devant les yeux.

Et certainement il s'en voit beaucoup que l'efprit d'autrui ravit hors d'eux-mêmes, comme on dit qu'une fainte fureur faifit la Preftreffe d'Apollon fur le facré Trépié. Car on tient qu'il y a une ouverture en terre d'où fort un fouffle & une vapeur toute celefte qui la remplit fur le champ d'une vertu divine & lui fait prononcer des oracles. De

même ces grandes beautez que nous remar quons dans les ouvrages des Anciens, font comme autant de fources facrées d'où il s'éleve des vapeurs heureufes qui fe répandent dans l'ame de leurs Imitateurs, & animent les efprits mêmes naturellement les moins échauffez: fi bien que dans ce moment ils font comme ravis & emportez de l'enthousiasme d'autrui. Ainfi voyons-nous qu'Herodote & devant luy Stefichore & Archiloque ont efté grands Imitateurs d'Homere. Platon neanmoins eft celui de tous qui l'a le plus imité; car il a puifé dans ce Poëte comme dans une vive fource, dont il a détourné un nombre infini de ruiffeaux : & j'en donnerois des exemples fi Ammonius n'en avoit déja rapporté plufieurs.

Au refte on ne doit point regarder cela comme un larcin, mais comme une belle idée qu'il a euë, & qu'il s'eft formée fur les mœurs, l'invention, & les ouvrages d'autrui. En effet jamais, à mon avis, il n'euft meflé tant de fi grandes chofes dans fes traitez de Philofophie, paffant comme il fait du fimple difcours à des expreffions & à des matieres poëtiques, s'il ne fût venu, pour ainfi dire, comme un nouvel Athlete, difputer de toute fa force le prix à Homere, c'est-à-dire à celuy qui avoit déja receu les applaudiffemens de tout le monde. Car bien qu'il ne le faffe peut-être qu'avec un peu trop d'ardeur, &, comme on dit, les armes à la main, cela ne laiffe pas neanmoins de luy fervir beaucoup, puifqu'enfin, felon Hefiode,

La noble jalousie eft utile aux Mortels.

Et

Et n'est-ce pas en effet quelque chofe de bien glorieux & bien digne d'une ame noble, que de combattre pour l'honneur & le prix de la victoire, avec ceux qui nous ont précedez ? puifque dans ces fortes de combats on peut même eftre vaincu fans honte.

T

CHAPITRE XII.

De la maniere d'imiter.

"Outes les fois donc que nous voulons travailler à un ouvrage qui demande du Grand & du Sublime, il eft bon de faire cette reflexion. Comment eft-ce qu'Homere auroit dit cela? Qu'auroient fait Platon, Demofthene ou Thucydide mefine, s'il eft queftion d'Hiftoire, pour écrire ceci en ftile Sublime? Car ces grands Hommes que nous nous propofons à imiter, fe présentant de la forte à noftre imagination, nous fervent comme de flambeau, & fouvent nous eflevent l'ame prefque auffi haut que l'idée que nous avons conceuë de leur genie. Sur tout fi nous nous imprimons bien ceci en nous-mêmes. Que penferoient Homere ou Demofthene de ce que je dis s'ils m'écoutoient, & quel jugement feroient-ils de moi? En effet, nous ne croirons pas avoir un mediocre prix à difputer, fi nous pouvons nous figurer que nous allons, mais ferieusement, rendre compte de nos écrits devant un fi celebre Tribunal, & fur un Theatre où nous avons de tels Heros pour juges & pour témoins. Mais un motif encore plus puiffant

pour

pour nous exciter, c'eft de fonger au jugement que toute la pofterité fera de nos écrits. Car fi un Homme, dans la deffiance de ce jugement, a peur, pour ainsi dire, d'avoir dit quelque chofe qui vive plus que lui, fon efprit ne fçauroit jamais rien produire que des avortons aveugles & imparfaits; & il ne fe donnera jamais la peine d'achever des ouvrages, qu'il ne fait point pour passer jufqu'à la derniere posterité.

CHAPITRE XIII.

Des Images.

CEs Images, que d'autres apellent Peintures ou Fictions, font auffi d'un grand artifice pour donner du poids, de la magnificence, & de la force au difcours. Ce mot d'Image fe prend en general, pour toute pensée propre à produire une expreffion, & qui fait une peinture à l'efprit de quelque maniere que ce foit. Mais il fe prend encore dans un fens plus particulier & plus refferré, pour ces difcours que l'on fait, lorfque par un enthoufiafme & un mouvement extraordinaire de l'ame, il femble que nous voyons les chofes dont nous parlons, & que nous les mettons devant les yeux de ceux qui écoutent.

Au refte vous devez fçavoir que les Images dans la Rhetorique, ont tout un autre ufage que parmi les Poëtes. En effet le but qu'on s'y propofe dans la Poëfie, c'eft l'étonnement & la furprife: au lieu que dans la profe c'est de bien peindre les chofes, & de

les

« PreviousContinue »