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au travers de l'eau, & ont les yeux placez d'une telle maniere, qu'il eftoit bien difficile, quand ils auroient eu la tefte hors de ces remparts, qu'ils puffent découvrir cette marche. Monfr. P. prétend neanmoins juftifier ces deux vers, mais c'est par des raifons fi peu fenfées, qu'en verité je croirois abuser du papier fi je l'employois à y repondre. Je me contenterai donc de le renvoyer à la comparaifon que Longin rapporte ici d'Homere. Il y pourra voir l'adreffe de ce grand Poëte à choifir, & à ramaffer les grandes circonftances. Je doute pourtant qu'il convienne de cette verité. Car il en veut fur tout aux comparaifons d'Homere, & il en fait le principal objet de fes plaifanteries dans fon dernier Dialogue. On me demandera peut-eftre ce que c'eft que ces plaifanteries, Monfr. P. n'eftant pas en reputation d'eftre fort plaifant: & comme vraisemblablement on n'ira pas les chercher dans l'original, je veux bien pour la curiofité des Lecteurs, en rapporter ici quelque trait. Mais pour cela il faut commencer par faire entendre ce que c'eft que les Dialogues de Monfieur P.

C'est une converfation qui fe paffe entre trois Perfonnages, dont le premier grand ennemi des Anciens, & fur tout de Platon, eft Monfr. P. lui-même, comme il le declare dans fa Préface. Il s'y donne le nom d'Abbé, & je ne fçai pas trop pourquoi il a pris ce titre Ecclefiaftique: puifqu'il n'est parlé dans ce Dialogue que de chofes tres-profânes que les Romans y font loüez par excés ;

& que l'Opera y eft regardé comme le comble de la perfection, où la poefie pouvoit arriver en noftre Langue. Le fecond de ces Perfonnages eft un Chevalier admirateur de Monfr. l'Abbé, qui eft là comme fon Tabarin pour appuyer fes decifions, & qui le contredit, mefmes quelquefois à deffein, pour le faire mieux valoir. Monfr. P. ne s'offenfera pas fans doute de ce nom de Tabarin, que je donne ici à fon Chevalier: puifque ce Chevalier lui mefme declare en un endroit qu'il eftime plus les Dialogues deMondor & de Tabarin, que ceux de Platon. Enfin le troifiéme de ces Perfonnages qui eft beaucoup le plus fot des trois, eft un President protecteur des Anciens qui les entend encore moins que l'Abbé, ni que le Chevalier; qui ne fçauroit fouvent repondre aux objections du monde les plus frivoles, & qui défend quelquefois fi fottement la Raifon, qu'elle devient plus ridicule dans fa bouche, que le Mauvais Sens. En un mot, il est là comme le Faquin de la Comedie pour recevoir toutes les nazardes. Ce font là les A&teurs de la Piece: il faut maintenant les voir en action.

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Monfr. l'Abbé, par exemple, declare en un endroit qu'il n'approuve point ces comparaifons d'Homere, où le Poëte non content de dire precifément ce qui fert à la comparaison, s'étend fur quelque circonstance hiftorique de la chofe, dont il eft parlé: comme lors qu'il compare la cuiffe de Menelas bleffé à de l'yvoire teint en pourpre par une femme de Moonie & de Carie, &c..

Certe

Cette femme de Moonie ou de Carie déplaift à Monfieur l'Abbé; & il ne fçauroit fouffrir ces fortes de comparaisons à longue queue, mot agreable qui eft d'abord admiré." par Monfr. le Chevalier, lequel prend de là occafion de raconter quantité de jolies chofes qu'il dît auffi à la campagne l'année derniere à propos de ces comparaisons à longue queuë.

Ces plaifanteries étonnent un peu Monfr. le Prefident, qui fent bien la fineffe qu'il y a dans ce mot de longue queue. Il fe met. pourtant à la fin en devoir de répondre. La chofe n'eftoit pas fans doute fort mal-aifée: puifqu'il n'avoit qu'à dire, ce que tout homme qui fçait les élemens de la Rhetorique auroit dit d'abord: Que les comparaisons dans les Odes & dans les Poëmes Epiques ne font pas fimplement mifes pour éclaircir, & pour orner le difcours; mais pour amuser & pour delaffer l'efprit du Lecteur, en le détachant de temps en temps du principal fujet, & le promenant fur d'autres images agreables à l'efprit: Que c'est en cela qu'a principalement excellé Homere, dont non feulement toutes les comparaisons, mais tous les difcours font pleins d'images de la Nature fi vrayes & fi variées, qu'eftant toûjours le mefme, il eft neanmoins toûjours different, inftruifant fans ceffe le Lecteur, & lui faifant obferver dans les objets mefmes, qu'il a tous les jours devant les yeux, des chofes qu'il ne s'avifoit pas d'y remarquer. Que c'est une verité univerfellement reconnuë, qu'il n'eft point neceffaire en matiere de

1.7.

poësie

poëfie que les points de la comparaison se répondent fi jufte les uns aux autres: qu'il fuffit d'un rapport general, & qu'une trop grande exactitude fentiroit fon Rheteur.

C'eft ce qu'un homme fenfé auroit pû dire fans peine à Monfr. l'Abbé, & à Monfr. le Chevalier mais ce n'est pas ainfi que raifonne Monfr. le Prefident. Il commence par avoûer fincerement que nos Poëtes fe feroient moquer d'eux, s'ils mettoient dans Ieurs Poëmes de ces comparaifons étenduës; & n'excufe Homere, que parce qu'il avoit le gouft Oriental, qui eftoit, dit-il, le gouft de fa nation. Là-deffus il explique ce que c'eft que le gouft des Orientaux, qui à caufe du feu de leur imagination, & de la vivacité de leur efprit, veulent toûjours, poursuit-il, qu'on leur dife deux chofes à la fois, & ne fçauroient fouffrir un feul fens dans un difcours: Au lieu que nous autres Européans nous nous contentons d'un feul fens, & fommes bien aifes qu'on ne nous dise qu'une feule chofe à la fois. Belles obfervations que Monfr.le Prefident a faites dans la nature, & qu'il a faites tout feul! Puifqu'il eft tresfaux que les Orientaux ayent plus de vivacité d'efprit que les Européans, & fur tout que les François, qui font fameux par tout païs, pour leur conception vive & promte: le ftile figuré, qui regne aujourd'hui dans l'Afie mineure & dans les païs voisins, & qui n'y regnoit point autrefois, ne venant que de l'irruption des Arabes, & des autres nations Barbares, qui peu de temps aprés Heraclius inonderent ces païs, & y porte

rent

rent avec leur Langue & avec leur Religion ces manieres de parler empoulées. En effet,. on ne voit point que les Peres Grecs de l'Orient, comme S. Justin, S. Bafile, S. Chryfoftome, S. Gregoire de Nazianze, & tant d'autres, ayent jamais pris ce ftile dans leurs écrits: & ni Herodote, ni Denys d'Halycarnaffe, ni Lucien, ni Josephe, ni Philon le Juif, ni aucun Auteur Grec n'a jamais parlé ce langage.

Mais pour revenir aux comparaisons à longue queue: Monfieur le Prefident rappelle toutes fes forces, pour renverser ce mot, qui fait tout le fort de l'argument de Monfieur l'Abbé, & répond enfin; Que comme dans les ceremonies on trouveroit à redire aux queues des Princeffes, fi elles net traînoient jufqu'à terre, de mefine les comparaifons dans le Poëme Epique feroient blafmables, fi elles n'avoient des queues fort. traînantes. Voilà peut-eftre une des plus extravagantes réponses qui ayent jamais efte faites. Car quel rapport ont les comparaifons à des Princeffes? Cependant Monfr. le Chevalier, qui jufqu'alors n'avoit rien approuvé de tout ce que le Prefident avoit dit, eft éblouï de la folidité de cette réponse, & commence à avoir peur pour Monfr. l'Abbé, qui frappé auffi du grand fens de ce difcours, s'en tire pourtant, mais avec affez de peine, en avouant, contre fon premier fentiment: qu'à la verité on peut donner de longues queues aux comparaifons, mais foûtenant qu'il faut, ainfi qu'aux robbes des Princeffes, que ces queues foient de mefme

étoffe

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