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(1) Il conteroit plûtoft combien dans un printemps,
Guenaud & l'antimoine ont fait mourir de gens:
Et combien la Neveu devant fon mariage,
A de fois au public vendu son P ***.

Mais fans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma penfee en deux mots:
N'en déplaise à ces Fous nommez Sages de Grece;
En ce monde il n'eft point de parfaite lageffe.
Tous les hommes font fous: & malgre tous leurs foins,
Ne different entre eux que du plus ou du moins
Comme on voit qu'en un bois, que cent routes feparent,
Les Voyageurs fans guide affez fouvent s'egarent;
L'un à droit, l'autre à gauche, & courant vainement,
La mefme erreur les fait errer diversement.
Chacun fuit dans le monde une route incertaine,
Selon que fon erreur le joue & le promene ;
Ettel y fait l'habile, & nous traitte de fous,
Qui fous le nom de fage eft le plus fou de tous.
Mais quoi que fur ce point la Satire publie:
Chacun veut en fageffe eriger fa folie,
Et fe laiffant regler à fon efprit tortu,

a

De fes propres défauts fe fait une vertu.
Ainfi cela foit dit pour qui veut fe connoitre;
Le plus fage eft celui qui ne penfe point l'eftre:
Qui toûjours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde foi-même en fevere cenfeur:
Rend à tous fes défauts une exacte justice,
Et fait fans fe flater le procés à fon vice.

Mais chacun pour foi-même est toûjours indulgent.
Un Avare idolâtre, & fou de fon argent,
Rencontrant la difette au sein de l'abondance,
Appelle fa folie une rare prudence,

Et met toute fa gloire & fon fouverain bien

(1) Juvenal Sat. X, 220,

Promtiùs expediam quot amaverit Hippia machos,
Quot Themifon ægros autumno occiderit uro.

Agroffir un trefor qui ne lui fert de rien.
Plus il le voit accrû, moins il en fçait l'ufage.
Sans mentir l'avarice est une etrange rage,
Dira cet autre Fou, non moins privé de fens,
Qui jette, furieux, fon bien à tous venans,
Et dont l'ame inquiete à foi-mefme importune,
Se fait un embarras de fa bonne fortune.
Qui des deux en effet eft le plus aveuglé?

L'un & l'autre à mon fens ont le cerveau troublé, Répondra chez Fredoc, ce Marquis fage & prude, Et qui fans ceffe au jeu, dont il fait fon étude, Attendant fon deftin, d'un quatorze, ou d'un sept, Voit fa vie, ou fa mort fortir de fon cornet. Que fi d'un fort fâcheux la maligne inconstance Vient par un coup fatal faire tourner la chance: Vous le verrez bientoft les cheveux heriffez, Et les yeux vers le ciel, de fureur élancez, Ainfi qu'un poffedé que le Preftre exorcife, Fefter dans fes fermens tous les Saints de l'Eglife: Qu'on le lie, ou je crains, à son air furieux, Que ce nouveau Titan n'efcalade les Cieux. Mais laiffons-le plûtoft en proye à fon caprice, Sa folie auffi bien lui tient lieu de fupplice. Il eft d'autres erreurs, dont l'aimable poifon D'un charme bien plus doux eny vre la raifon. L'efprit dans ce Nectar heureufement s'oublie, Chapelain veut rimer, & c'est là fa folie: Mais bien que fes durs vers d'épithetes enflez, Soient des moindres grimauds chez Menage fiflez: Lui-mefme il s'applaudit, & d'un efprit tranquille, Prend le pas au Parnaffe au deffus de Virgile. Que feroit-il, helas! fi quelque audacieux Alloit pour fon malheur lui defiller les yeux; Lui faifant voir fes vers & fans force, & fans graces, Montez fur deux grands mots, comme fur deux échaf fes

Ses termes fans raison l'un de l'autre écartez,

Et fes froids ornemens à la ligne plantez ?

B 2

(2)

(2) Qu'il maudiroit le jour, où fon ame infenfée
Perdit l'heureufe erreur qui charmoit fa pensée !
Jadis certain Bigot, d'ailleurs hominie fenfe,
D'un mal affez bizarre eut le cerveau bleffe:
S'imaginant fans ceffe, en fa douce manie,
Des Elprits bien-heureux entendre l'harmonie:
Enfin un Medecin fort expert en fon art
Le guerit par adreffe, ou plutoft par hazard:
Mais voulant de fes foins exiger le falaire,
Moi? vous payer? luy dit le Bigot en colere,
Vous, dont l'art infernal, par des fecrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ofte du Paradis.

J'approuve fon courroux. Car puis qu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la Raison eft le pire.
C'est elle qui farouche, au milieu des plaifirs,
D'un remords importun vient brider nos defirs.
La fâcheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles:
C'est un Pedant qu'on a fans ceffe à fes oreilles,
Qui toûjours nous gourmande, & loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli, perd fon temps à prefcher.
En vain certains Rêveurs nous l'habillent en Reine,
Veulent fur tous nos fens la rendre fouveraine,
Et s'en formant en terre une divinité,

Penfent aller par elle à la felicité."

C'eft elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces difcours, il eft vai, font fort beaux dans un livre,
Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait.

(2) Horace Ep. Lib. II. Ep. 11. 138.

Pol me occidiftis, amici,
Non fervaftis, ait, cui fic extorta voluptas,
Et demtus per vim mentis gratiffimus error.

SA

SATIRE V.

A MONSIEUR LE MARQUIS
DE DANGEAU.

(1) A Nobleffe, Dangeau, n'eft pas une chimere;
Quand fous l'étroite loi d'une vertu severe,
Un homme iffu d'un fang fécond en Demi-dieux,
Suit comme toi, la trace où marchoient fes Ayeux.
Mais je ne puis fouffrir qu'un Fat, dont la mol-
leffe

N'a rien pour s'appuier qu'une vaine noblesse,
Se pare infolemment du merite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
Je veux que la valeur de fes ayeux antiques,
Ait fourni de matiere aux plus vieilles Chroniques,
Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de Lis doté leur écuffon.
Que fert ce vain amas d'une inutile gloire ?
Si de tant de Heros celebres dans l'Hiftoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'Univers,
Que de vieux parchemins, qu'ont épargnez les vers:
Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui fa fuperbe origine :
Et n'ayant rien de grand qu'une fotte fierté,
S'endort dans une lâche & molle oifiveté?
Cependant, à le voir avec tant d'arrogance,
Vanter le faux éclat de fa haute naiffance;
On diroit que le Ciel eft foûmis à fa loi,
Et que Dieu l'a paiftri d'autre limon que moi.

B 3

(2) Di

(1) Juvenal a traité la même matiére, dans fa VIII. Sa

tire.

(2) Dites-nous, grand Heros, efprit rare & fublime, Entre tant d'animaux, qui font ceux qu'on eftime? On fait cas d'un Courfier, qui fier & plein de cœur Fait paroiftre en courant fa bouillante vigueur : Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriere S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiere: Mais la pofterité d'Alfane & de Bayard, Quand ce n'eft qu'une roffe, eft vendue au hazard, Sans refpect des Ayeux dont elle eft defcenduë; Et va porter la malle, ou tirer la charuë : Pourquoi donc voulez-vous, que par un fot abus, Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus ? On ne m'éblouit point d'une apparence vaine. La vertu, d'un cœur noble eft la marque certaine. Si vous eftes forti de ces Heros fameux, Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux, Ce zéle pour l'honneur, cette horreur pour le vice. Refpectez-vous les loix? Fuiez-vous l'injuftice? Sçavez-vous fur un mur repouffer des affauts, Et dormir en plein champ le harnois fur le dos? Je vous connois pour Noble à ces illuftres marques : (3) Aiors foyez iffu des plus fameux Monarques;

(2) Juvenal Sat.VIII. 56.

Dic mihi, Teucrorum proles, animalia muta
Quis generofa putet, nifi fortia? nempe, volucrem
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Fervet & exfultat rauco victoria circo.

Nobilis hic quocumque venit de gramine, cujus
Clara fuga ante alios, & primus in æquore pulvis.
Sed venale pecus Corythe, pofteritas &
Hirpini, rara jugo victoria fedit.

Nil ibi majorum refpectus, gratia nulla
Umbrarum, Dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis, tritóque trahunt epirhedia collo,
Segnipedes dignique molam verfare Nepotis.
(3) Ibid.vf. 131.

Tunc licet à Pico numeres genus, altáque fi te
Nomina delectant, omnem Titanida pugnam
later majores, ipfúmque Promethea ponas.
De quocumque voles proavum tibi fumito libro.

Ve

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