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Et fans nous égarer fuivons noftre propos.
(6) Des fuccés fortunez du fpectacle tragique,
Dans Athenes nâquit la Comedie antique.

Là, le Grec né mocqueur, par milte jeux plaifans
Diftila le venin de fes traits médifans.

Aux accés infolens d'une boufonne joye,
La fageffe, l'efprit, l'honneur furent en proye.
On vit, par le Public un Poëte avoüé
S'enrichir aux dépens du merite joüé,
Et Socrate par lui dans un chœur de Nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrefta le cours.
Le Magiftrat, des loix emprunta le fecours,
Et rendant par édit les Poëtes plus fages,
Défendit de marquer les noms ni les visages.
Le Theatre perdit fon antique fureur.
La Comedie apprit à rire fans aigreur,

Sans fiel & fans venin fceut inftruire & reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaifir, ou crût ne s'y point voir.
L'avare des premiers rît du tableau fidele
D'un Avare fouvent tracé fur fon modele;
Et mille fois un Fat finement exprimé,
Méconnut le portrait fur lui-mefme formé.

Que la Nature donc foit voftre étude unique, Auteurs, qui pretendez aux honneurs du Comique. Quiconque voit bien l'Homme, & d'un efprit profond, De tant de cœurs cachez a penetré le fond:

Qui fçait bien ce que c'est qu'an Prodigue, un Avare,

Un

(6) Ibid.vf.281.

Succeffit vetus huic Comedia, non fine multa
Laude; fed in vitium libertas excidit & vim
Dignam lege regi; lex eft accepta, chorufque
Turpiter obticuit.

Les Nuécs, Comedie d'Ariftophane.

Un honnefte homme, un Fat, un Jaloux, un Bizare,
Sur une fcene heureufe il peut les étaler,

Et les faire à nos yeux vivre, agir, & parler.
Prefentez-en par tout les images naïves:

Que chacun y foit peint des couleurs les plus vives,
La Nature féconde en bizarres portraits,

Dans chaque ame eft marquée à de differens traits.
Un gefte la découvre, un rien la fait paroiftre:
Mais tout efprit n'a pas des yeux pour la connoistre.
(7) Le temps qui change tout, change auffi nos hu-

meurs.

Chaque Age a fes plaifirs, fon efprit, & fes mœurs.
(8) Un jeune homme toûjours bouillant dans fes ca
prices,

Eft prompt à recevoir l'impreffion des vices;
Eft vain dans fes difcours, volage en fes defirs,
Retif à la cenfure, & fou dans les plaifirs.

L'Age viril plus meur, infpire un air plus fage,
Se pouffe auprés des Grands, s'intrigue, fe menage,
Contre les coups du fort fonge à fe maintenir,
Et loin dans le prefent regarde l'avenir.

(7) Ibid. vf. 156.

Atatis cujufque notandi funt tibi mores

Mobilibúfque decor naturis, dandus & annis.

Regnier a dit Sat. V.

Chaque age a fes humeurs, fon goût, & fes plaisirs,

(8) Verf. 161.

Imberbis juvenis

Cereus in vitium fle&i, monitoribus asper,
Utilium tardus provifor, prodigus æris,

Sublimis, cupidúfque & amata relinquere pernix.
Converfis ftudiis, atas, animúfque virilis
Quærit opes & amicitias, infervit honori
Commififfe cavet, quod mox mutare laboret.
Multa fenem circumveniunt incommoda, vel quod
Quærit & inventis mifer abftinet, ac timet uti;
Vel quod res omnes timidè, gelidéque miniftrat
Dilator, fpe longus, iners, avidúfque futuri,
Difficilis, querulus laudator temporis acti
Se puero, cenfor caftigatórque minorum &c.
ne fortè feniles

Mandentur juveni partes, pueróque viriles.

La

La Vieilleffe chagrine inceffamment amaffe,
Garde, non pas pour foy, les trefors qu'elle entaffe,
Marche en tous fes deffeins d'un pas lent & glacé,
Toûjours plaint le prefent, & vante le paffe,
Inhabile aux plaifirs, dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs, que l'âge lui refuse.
Ne faites point parler vos Acteurs au hazard,

Un Vieillard en jeune homme, un jeune homme en
Vieillard.

Etudiez la Cour, & connoiffez la Ville.
L'une & l'autre eft toûjours en modeles fertile.
C'est par là que Moliere illuftrant fes écrits
Peut-eftre de fon Art euft remporté le prix ;
Si moins ami du peuple en fes doctes peintures,
Il n'euft point fait fouvent grimacer fes figures,
Quitté, pour le bouffon, l'agreable & le fin,
Et fans honte à Terence allié Tabarin..
Dans ce fac ridicule où * Scapin s'envelope,
Je ne reconnois plus l'Auteur du Mifanthrope.
Le Comique ennemi des foûpirs & des pleurs,
N'admet point en fes vers de tragiques douleurs:
Mais fon employ n'eft pas d'aller dans une place,
De mots fales & bas chariner la populace.

Il faut que fes Acteurs badinent noblement:
Que fon nœud bien formé fe denouëaisement:
Que l'Action marchant où la Raifon la guide,
Ne fe perde jamais dans une Scene vuide;
Que fon ftile humble & doux fe releve, à propos,
Que fes difcours par tout fertiles en bons mots,
Soient pleins de paffions finement maniées;
Et les fcenes toûjours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon fens gardez de plaisanter.
Jamais de la Nature il ne faut s'écarter.
Contemplez de quel air un Pere dans Terence
Vient d'un Fils amoureux gourmander l'imprudence:
De quel air cet Amant écoute fes leçons,
Et court chez fa Maistreffe oublier ces chanfons.

*Comedie de Moliere.

Ce

Ce n'eft pas un portrait, une image femblable,
C'est un Amant, un Fils, un Pere veritable.
J'aime fur le Theatre un agreable Auteur
Qui, fans fe diffamer aux yeux du Spectateur,
Plaift par la raifon feule, & jamais ne la choque.
Mais pour un faux Plaifant, à groffiere équivoque,
Qui, pour me divertir, n'a que la faleté;
Qu'il s'en aille, s'il veut, fur deux treteaux monté,
Amufant le Pont-neuf de fes fornetes fades,
Aux Laquais affemblez joüer fes Mafcarades.

D

CHANT IV.

Ans Florence jadis vivoit un Medecin,
Sçavant hableur, dit-on, & celebre affaffin.
Lui feul y fit long-temps la publique mifere.
Là le Fils orphelin lui redemande un Pere,
Ici le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené.
Lerhume à fon afpect fe change en pleurefie:
Et par lui la migraine eft bien-toft phrenefie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux detefté.
De tous fes Amis morts un feul Ami refté,
Le mene en fa maison de fuperbe structure;
C'eftoit un riche Abbé fou de l'Architecture.
Le Medecin d'abord femble né dans cet art,
Déja de bâtimens parle comme Manfard:
D'un falon qu'on éleve il condamne la face:
Au veftibule obfcur il marque une autre place:
Approuve l'efcalier tourné d'autre façon.
Son Ami le conçoit, & mande fon Maçon.
Le Maçon vient, écoute, approuve, & fe corrige.
Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige,
Noftre Affaffin renonce à fon art inhumain,
Et deformais la regle & l'équierre à la main,

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Laiffant de Galien la fcience fufpecte,

De méchant Medecin devient bon Architecte.
Son exemple eft pour nous un precepte excellent.
Soyez plûtoft Maçon, fi c'eft voftre talent,
Ouvrier eftimé dans un art neceffaire,
Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrez differens.
On peut avec honneur remplir les feconds rangs :
Mais dans l'Art dangereux de rimer & d'écrire,
Il n'eft point de degrez du mediocre au pire.
Les vers ne fouffrent point de mediocre Auteur,
Ses écrits en tous lieux font l'effroy du Lecteur,
Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent,
Et les ais chez Billaine* regret les endurent.
Un Fou du moins fait rire, & peut nous égayer:
Mais un froid Ecrivain ne fçait rien qu'ennuyer.
J'aime mieux Bergerac + & fa burlefque audace,
Que ces vers où Motin fe morfond & nous glace..
Ne vous enyvrez point des éloges flateurs
Qu'un amas quelquefois de vains Admirateurs
Vous donne en ces Reduits prompts à crier, merveille!
Tel écrit recité fe foûtint à l'oreille,

Qui dans l'impreffion au grand jour fe montrant,
Ne foûtient pas des yeux le regard penetrant.
On fçait de cent Auteurs l'aventure tragique:
Et Gombaut tant loüé garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, affidu confultant.
Un Fat quelquefois ouvre un avis important.
Quelques vers toutefois qu'Apollon vous infpire,
En tous lieux auffi toft ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce Rimeur furieux,
Qui de fes vains écrits lecteur harmonieux
Aborde en recitant quiconque le faluë,
Et pour fuit de fes vers les paflans dans la rue.
Il n'eft Temple fi faint des Anges refpecté,.
Qui foit contre fa Mufe un lieu de feureté.

Je

*Fameux Libraire. + Cyrano Bergerac, Auteur duVoyage de la Lune.

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