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Louis était une autorité constituée, et avait le droit de défendre son domicile, il devait compte de sa sûreté à la loi : comment donc peut-on lui reprocher d'avoir pris les précautions nécessaires pour la garantir ?

On est allé jusqu'à lui faire un crime d'avoir placé des troupes dans son château. ?

Mais fallait-il donc qu'il se laissât forcer par la multitude? Fallait-il qu'il obéît à la force? Et le pouvoir qu'il tenait de la Constitution n'était-il pas dans ses mains un dépôt auquel la loi ellemême lui défendait de souffrir qu'on portât atteinte?

Citoyens, si dans ce moment on vous disait qu'un multitude abusée et armée marche vers vous; que, sans respect pour votre caractère sacré de législateurs, elle veut vous arracher de ce sanctuaire, que feriez-vous?

On a imputé à Louis des desseins d'agression funeste.
Citoyens, il ne faut ici qu'un mot pour le justifier.

Celui-là est-il un agresseur qui, forcé de lutter contre la multitude, est le premier à s'environner des autorités populaires, appelle le département, réclame la municipalité, et va jusqu'à demander même l'assemblée, dont la présence eût peut-être prévenu les désastres qui sont arrivés?

Veut-on le malheur du peuple quand, pour résister à ses mouvemens, on ne lui oppose que ses propres défenseurs?

Mais que parlé-je ici d'agression, et pourquoi laisser si longtemps sur la tête de Louis le poids de cette accusation terrible!

Je sais qu'on a dit que Louis avait excité lui-même l'insurrection du peuple pour remplir les vues qu'on lui prête ou qu'on lui suppose.

Et qui donc ignore aujourd'hui que long-temps avant la journée du 10 août on préparait cette journée, qu'on la méditait, qu'on la nourrissait en silence, qu'on avait cru sentir la nécessité d'une insurrection contre Louis, que cette insurrection avait ses agens, ses moteurs, son cabinet, son directoire?

Qui est-ce qui ignore qu'il a été combiné des plans, formé des ligues, signé des traités ?

Qui est-ce qui ignore que tout a été conduit, arrangé, exécuté pour l'accomplissement du grand dessein qui devait amener pour la France les destinées dont elle jouit?

Ce ne sont pas là, législateurs, des faits qu'on puisse désavouer: ils sont publics, ils ont retenti dans la France entière ; ils se sont passés au milieu de vous; dans cette salle même où je parle on s'est disputé la gloire de la journée du 10 août. Je ne viens point contester cette gloire à ceux qui se la sont décernée; je n'attaque point les motifs de l'insurrection ; je n'attaque point ses effets je dis seulement que puisque l'insurrection a existé, et bien antérieurement au 10 août, qu'elle est certaine, qu'elle est avouée, il est impossible que Louis soit l'agresseur.

Vous l'accusez pourtant!

Vous lui reprochez le sang répandu !

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Vous voulez que ce sang crie vengeance contre lui!

Contre lui, qui à cette époque-là même n'était venu se confier à l'assemblée nationale que pour empêcher qu'il en fût versé? Contre lui, qui de sa vie n'a donné un ordre sanguinaire!

Contre lui, qui le 6 octobre empêcha à Versailles ses propres gardes de se défendre!

Contre lui, qui Varenne a préféré revenir captif plutôt que de s'exposer à occasioner la mort d'un seul homme!

Contre lui, qui le 20 juin refusa tous les secours qui lui étaient offerts, et voulut rester seul au milieu du peuple!

Vous lui imputez le sang répandu!... Ah! il gémit autant que vous sur la fatale catastrophe qui l'a fait répandre ; c'est là sa plus profonde blessure, c'est son plus affreux désespoir : il sait bien qu'il n'en est pas l'auteur, mais qu'il en a été peut-être la triste occasion ; il ne s'en consolera jamais.

Et c'est lui que vous accusez!

Français, qu'est donc devenu ce caractère national, ce caractère qui distinguait vos anciennes mœurs, ce caractère de grandeur et de loyauté?

Mettriez-vous votre puissance à combler l'infortune d'un

homme qui a eu le courage de se confier aux représentans de la nation elle-même ?

N'auriez-vous donc plus de respect pour les droits sacrés de l'asile? ne croiriez-vous devoir aucune pitié à l'excès du malheur, et ne regarderiez-vous pas un roi qui cesse de l'être comme une victime assez éclatante du sort, pour qu'il dùt vous paraître impossible d'ajouter encore à la misère de sa destinée ?

Français, la révolution qui vous régénère a développé en vous de grandes vertus; mais craignez qu'elle n'ait affaibli dans vos ames le sentiment de l'humanité, sans lequel il ne peut y en avoir que de fausses!

Entendez d'avance i'histoire, qui redira à la renommée :

< Louis était monté sur le trône à vingt ans, et à vingt ans il donna sur le trône l'exemple des mœurs; il n'y porta aucune faiblesse coupable ni aucune passion corruptrice; il fut économe, juste, sévère; il s'y montra toujours l'ami constant du peuple. Le peuple désirait la destruction d'un impôt désastreux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir lui-même dans ses domaines ; le peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le peuple voulait que des milliers de Français que la rigueur de nos usages avait privés jusqu'alors de droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits ou les recouvrassent, il les en fit jouir par ses lois; le peuple voulut la liberté, il la lui donna (1)! Il vint même au devant de lui par ses sacrifices, et cependant c'est au nom de ce même peuple qu'on demande aujourd'hui...

(1) Un de nous avait rayé cette phrase sur le manuscrit, par respect même pour la Convention, et parce qu'elle avait excité des murmures dans les tribunes; mais ce retranchement étant devenu la matière d'un décret (rendu sur la proposition de Barrère), nous nous croyons obligés de déclarer que par ce mot donna nous n'avons eu d'autre intention que celle de rappeler que Louis avait préparé la liberté de la France par la convocation qu'il avait ordonnée des étatsgénéraux; et le décret de la nation du 4 août 1792, qui avait proclamé Louis restaurateur de la liberté française, nous avait lui-même inspiré ce mouverent. (Note des défenseurs. )

Citoyens, je n'achève pas... Je m'arrête devant l'histoire ; songez qu'elle jugera votre jugement, et que le sien sera celui des siècles?

Signé, LOUIS, DESÈZE, LAMOIGNON-MALESHERRES, TRONCHET. Nous soussignés, secrétaires de la Convention nationale, chargés, par un décret du 25 décembre, présent mois, de la correction de l'épreuve du discours prononcé le même jour à la barre de la Convention par le citoyen Desèze pour la défense de Louis, certifions avoir lu l'épreuve sur laquelle le discours a été imprimé, et l'avoir collationné mot à mot, en présence du citoyen Desèze, sur la minute du manuscrit qui a été déposée sur le bureau, après avoir été signée de Louis et de ses défenseurs officieux.

Nous certifions qu'à l'exception de quelques légères corrections de style qui ne changent en rien le sens du discours, l'épreuve a été rendue parfaitement conforme au manuscrit ; que les notes explicatives que le citoyen Desèze a cru devoir ajouter sont annoncées comme n'existant pas dans la minute.

Nous certifions enfin que cette phrase, le peuple voulait la liberté, il la lui donna, qui avait été prononcée telle qu'elle a été écrite dans le manuscrit, et qui depuis avait été raturée par l'un des défenseurs de Louis, été par nous rétablie dans la minute en exécution du décret du 26 de ce mois.

Paris, le 28 décembre 1792, l'an 1er de la république française. OSSELIN, secrétaire; J. A. CREUSÉ-LATOUCHE, secrétaire.

Louis prit la parole immédiatement après son défenseur, et lut le discours suivant :

. On vient de vous exposer mes moyens de défense; je ne les renouvellerai point. En vous parlant peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien, et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité.

> Je n'ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement; mais mon cœur est déchiré de trouver dans l'acte d'accusation l'imputation d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple, et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués !

› J'avoue que les preuves multipliées que j'avais données dans

tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m'étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m'exposer pour épargner son sang et éloigner à jamais de moi une pareille imputation. Signé Louis. ›

Ce discours n'est pas rapporté dans les mêmes termes par le Moniteur. Voici la version de ce journal, dont nous reprenons d'ailleurs la narration pour le reste de la séance.

Louis Capet. Citoyens, on vient de vous exposer mes moyens de défense; je ne résumerai point ce qu'on vous a dit. En parlant peut-être pour la dernière fois devant vous, je déclare que je n'ai rien à me reprocher, et que mes défenseurs ont dit la vérité. Jamais je n'ai craint que ma conduite fût examinée publiquement ; mais mon cœur est déchiré de trouver dans l'acte d'accusation le reproche d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple. J'avoue que les preuves multipliées de mon amour pour le peuple m'avaient paru me mettre à l'abri de ce reproche, moi, qui me serais exposé pour épargner son sang, et éloigner à jamais de moi une pareille inculpation.

Le président à Louis. La Convention nationale a décrété que cette note vous serait représentée. (Un secrétaire présente à Louis l'inscription présumée écrite de sa main sur l'enveloppe des clefs trouvées chez Thierry.) Connaissez-vous cette note (1)?

Louis. Pas du tout.

Le président. La Convention a décrété aussi que les clefs vous seraient représentées. Les reconnaissez-vous?

Louis. Je me ressouviens d'avoir remis des clefs aux Feuillans, à Thierry, parce que tout était sorti de chez moi, et que je n'en avais plus besoin.

Le président. Reconnaissez-vous celle-ci ?

(1) Nos lecteurs se rappellent que Louis, dans son interrogatoire, avait déclaré n'avoir aucune connaissance de l'armoire de fer et des pièces qu'elle renfermait. Or, depuis, on avait trouvé aux Tuileries, dans l'appartement de Thierry, son valet de chambre, une note de la main de Thierry contenant ces mots: Clefs que le roi m'a remises aux Feuillans, le 12 août 1792; et l'une de ces clefs ouvrait l'armoire de fer. (Note des auteurs.)

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