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dans ce moment les défenseurs de Louis comme des défenseurs : nous avons notre conscience à nous, nous aussi nous faisons partie du peuple; nous sentons tout ce qu'il sent, nous éprouvons tout ce qu'il éprouve, nous voulons tout ce qu'il veut ; nous sommes citoyens, nous sommes Français; nous avons pleuré avec le peuple, et nous pleurons encore comme lui sur tout le sang qui a coulé dans la journée du 10 août; et si nous avions cru Louis coupable des inconcevables événemens qui l'ont fait répandre, vous ne nous verriez pas aujourd'hui avec lui à votre barre lui prêter, oserai-je le dire! lui prêter l'appui de notre courageuse véracité !

Mais Louis est accusé; il est accusé du plus affreux des délits ; il lui importe de s'en justifier à vos yeux, à ceux de la France, à ceux de l'Europe: il faut donc l'entendre; il faut déposer toutes les opinions déjà faites, toutes les préventions, toutes les haines; il faut l'entendre comme si vous étiez étrangers à cette scène de désolation, qu'il faut bien que je vous retrace au moins en tableau vous le devez, puisque vous vous êtes créés ses juges. Législateurs, tous vos succès, depuis cette journée que vous avez appelée vous-mêmes immortelle, vous auraient permis d'être généreux; je ne vous demande que d'être justes.

Vous vous rappelez la journée du 20 juin, le refus de Louis de céder au vœu de la multitude qui avait pénétré armée dans son château, sa persévérance dans ce refus. Cette persévérance aigrit encore cette multitude déjà animée; on s'empare de son ressentiment, on le fortifie, on le nourrit; on lui inspire des préventions nouvelles; on sème des bruits de complots; on suppose un parti formé pour enlever la personne de Louis et la transporter hors de la capitale; on prête à ce parti de vastes ressources; on parle de préparatifs, de dépôts d'armes, d'habillemens militaires; des dénonciations sont faites à la municipalité; elles s'y multiplient la fermentatio.. ne fait que s'accroître; le mois de juillet se passe ainsi dans les agitations et dans les orages.

Cependant Louis s'occupe de les calmer. Il avait cru d'abord, par sagesse, devoir laisser tomber ces bruits de préparatifs et de

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dépôts d'armes: la consistance qu'ils acquièrent lui apprend enfin qu'il serait dangereux de les dédaigner; il sent le besoin de rassurer le peuple sur des inquiétudes même chimériques : il s'offre donc lui-même aux recherches. Il écrit le 25 juillet au maire de Paris; il lui demande de venir faire la visite de son château ; il donne des ordres pour que les portes soient ouvertes au maire : le maire répond qu'il chargera des officiers municipaux de cette visite. La visite ne se fait pas. Louis écrit à l'assemblée nationale; il lui fait part de ses inquiétudes; il lui rend compte de sa lettre au maire et de sa réponse : l'assemblée ne prononce rien.

Dans cet intervalle l'effervescence s'accroît par les précautions mêmes que Louis avait prises pour l'arrêter; les mêmes bruits se renouvellent; les dénonciations à la municipalité recommencent; le bouillonnement des esprits augmente: on ne parle plus que de la déchéance de Louis; on la demande, on la provoque; les commissaires des sections s'assemblent; une adresse est présentée à l'assemblée nationale le 5 août par ces commissaires, le maire à la tête, pour demander aux représentans de la nation d'accorder la déchéance de Louis aux voeux du peuple : bientôt on la sollicite plus ouvertement; on veut ou l'obtenir ou l'arracher; on fixe le jour où l'on déclare qu'il faut qu'elle soit prononcée; on annonce que, si elle n'est pas prononcée dans la séance du 9 au 10, le tocsin sonnera le 10 à minuit, que la générale sera battue, et que l'insurrection du peuple aura lieu.

Dès les premiers jours d'août Louis avait bien senti que sa position devenait plus critique; il voyait le mouvement des esprits; on lui rendait compte tous les jours des opinions de la capitale; on l'informait des progrès des agitations; il craignit quelque erreur de la multitude; il craignit pour la violation de son domicile ; il commença à prendre quelques précautions défensives; il s'entoura de la garde nationale; il plaça des Suisses dans son château; il entretint une correspondance encore plus exacte avec les autorités populaires; enfin il ne négligea aucune des mesures de prudence que les événemens et l'espèce de danger qu'il croyait courir pouvaient lui inspirer.

Le 9 août arrive. On excite alors dans l'esprit de Louis des alarmes plus vives encore; on lui parle de rassemblemens; on lui annonce des préparatifs; on lui fait craindre pour la nuit même. Louis alors redouble de précautions: le nombre des gardes nationales qui devaient veiller sur le Château est augmenté ; les Suisses sont mis sur pied; les autorités constituées sont appelées ; Louis fait venir autour de lui le département; il fait venir les of ficiers municipaux; il s'environne ainsi des secours et de la présence de tous les magistrats qui pouvaient avoir le plus d'ascendant ou de puissance sur l'esprit du peuple. Ces magistrats requièrent au nom de la loi les gardes nationales et les Suisses de ne pas laisser forcer le Château, ils donnent les ordres que la circonstance rendait nécessaires; le maire lui-même visite les postes.

Bientôt en effet le tocsin sonne, la générale se bat, le peuple accourt. Quelques heures se passent dans une agitation sans effet; vers le matin la marche du peuple commence ; il se porte vers les Tuileries; il s'y porte armé; des canons le suivent; les canons sont braqués vers les portes du Château; le peuple est là.

Le procureur-général-syndic du département de Paris alors s'avance; des officiers municipaux l'accompagnent, ils parlent à la multitude; ils lui représentent que, rassemblée en aussi grand nombre, elle ne peut présenter de pétition ni à Louis ni à l'assemblée nationale; i's l'invitent à nommer vingt pétitionnaires : cette invitation n'a aucune suite.

Pendant ce temps-là le rassemblement augmente; une foule immense se rend sur la place du Carrousel le mouvement devient plus fort; le danger croît. Les magistrats du peuple, avertis, se reproduisent devant les troupes ; le procureur-général-syndic leur lit l'article 5 de la loi du 5 octobre; il les exhorte à défendre le domicile de Louis, dont l'autorité était constituée. Il leur donne, sans doute à regret, l'ordre de repousser la force par la force; mais il le donne : les canonniers, pour toute réponse, déchargent leurs canons devant lui.

Le procureur-général-syndic rentre sur-le-champ dans le Château; il avertit Louis de la présence du danger; il le prévient

qu'il n'a pas de secours à attendre. Louis, qui déjà avait envoyé depuis quelques heures ses ministres à l'assemblée nationale pour solliciter le secours d'une députation, lui fait part de nouveau de la situation dans laquelle il se trouve : l'assemblée nationale ne prononce rien.

Le procureur-général-syndic, ainsi que deux autres membres du département, invitent alors Louis à se rendre lui-même au sein de l'assemblée nationale; ils l'engagent à s'y rendre avec sa famille; ils lui en font sentir la nécessité: Louis s'y rend.

Une heure après nos malheurs commencent.

Citoyens, voilà les faits.

Les voilà tels qu'ils sont connus, constatés dans tous les écrits publics, recueillis dans les procès-verbaux de l'assemblée nationale, en un mot consignés partout.

Je n'y ai rien ajouté de moi-même; je n'ai fait qu'obéir au devoir de ma défense en vous rappelant ces tristes détails, et vous voyez par la rapidité même avec laquelle je les parcours combien il m'en coûte de les retracer!

Mais enfin voilà les faits.

Maintenant, hommes justes, oubliez s'il est possible les affreux résultats de cette sanglante journée, n'en cherchez avec moi que les causes, et dites-moi, où est donc le délit que vous imputez à Louis?

Ce délit ne peut être que dans ce qui a suivi la retraite de Louis à l'assemblée nationale, ou dans ce qui l'a précédée.

Or, je dis d'abord que le délit ne peut pas être dans ce qui a suivi la retraite de Louis à l'assemblée nationale; car, depuis l'époque de cette retraite, Louis n'a rien vu, rien dit, rien fait, rien ordonné, et il n'est sorti de l'asile qu'il avait choisi volontairement que pour entrer dans la prison où il est détenu depuis le moment même qu'il l'a quitté.

Comment le combat s'est-il engagé ? Je l'ignore; l'histoire même l'ignorera peut-être; mais Louis au moins n'en peut pas répondre.

Le délit est-il dans ce qui a précédé la retraite de Louis à l'assemblée nationale?

Mais alors quelles sont les circonstances que vous accusez?

Vous avez parlé d'intentions hostiles de la part de Louis. Mais où était la preuve de ces intentions? Quels sont les faits que vous citez, quels sont les actes?

On a dit vaguement qu'il avait été formé un complot pour enlever la personne de Louis et la transporter hors de la capitale. Mais où est ce complot, où en est la trace, où en est la preuve? Vous avez parlé de préparatifs.

Je vois bien en effet de la part de Louis des préparatifs de défense; mais où sont les préparatifs d'attaque? Qu'a fait Louis pour être convaincu d'agression? Où est son premier mouvement, où est son premier acte?

Vous lui reprochez d'avoir encore des gardes suisses à cette époque.

Citoyens, je lis dans le procès-verbal de l'assemblée nationale du 4 août, qu'un membre avait proposé de décréter qu'en donnant aux Suisses tous les témoignages possibles de satisfaction et de reconnaissance, le roi ne pourrait plus avoir de régiment suisse pour sa garde.

Je lis que plusieurs membres insistent pour que l'assemblée, en déterminant les récompenses pour les Suisses, déclare qu'ils ont bien mérité de la patrie, et décrète que ceux qui resteront à Paris ne pourront faire le service de la garde du roi que sur la réquisition des autorités constituées.

Aucune de ces propositions ne fut décrétée.

Louis restait donc dans les termes du décret du 15 septembre de l'assemblée constituante, qui avait ordonné que, jusqu'à ce que les capitulations fussent renouvelées, les Suisses conserveraient leur destination et leur mode de service.

Louis pouvait donc avoir des Suisses.

On lui reproche d'avoir passé le matin les troupes en revue. Mais reprochez donc aussi au maire d'avoir visité lui-même les postes.

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