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commune sans laquelle il ne peut y avoir ni lien national ni lien inter-national. Courtois, commissaire de la Convention en Belgique, écrivait à Carra, de Bruxelles : Le matérialisme de Jacob Dupont ne fait pas fortune ici; cela nuit même à notre cause. Jacob Dupont, par son discours, a bien prouvé qu'il n'était que matière. (Annales patriotiques, n. du 3 janvier.)

Nous passons aux travaux de la Convention. Lorsqu'une question traitée par l'assemblée sera discutée par la presse et par le club des Jacobins, nous placerons l'analyse des opinions extraparlementaires avant ou après la séance dans laquelle auront lieu les débats parlementaires; et parce que la Convention et la Commune opèrent exactement sur le même terrain et sont deux puissances rivales, presque tous les actes de la municipalité prendront également leur place à côté des actes conventionnels : une séparation et une division, loin d'être un moyen d'ordre, seraient ici un contresens.

Il ne restera donc en dehors du mouvement conventionnel que les articles des journaux sur les généralités politiques et les satires purement personnelles. Nous ferons quelques extraits de ce genre, et nous terminerons l'histoire du mois de janvier par un bulletin des opérations militaires.

CONVENTION NATIONALE.

Nous avons fait connaître dans notre introduction les principales matières des travaux conventionnels; nous devons y ajouter, comme ayant été le sujet de deux discours que nous insèrerons à leur date, l'un de Kersaint, l'autre de Brissot, la prochaine déclaration de guerre à la Grande-Bretagne. Nous n'avons pas mentionné ce fait dans notre sommaire, parce qu'il ne fut accompli qu'en février, et qu'à cette époque seulement il sera pour nous un titre historique. Le discours de Kersaint fut prononcé le 1er janvier, et celui de Brissot le 12.

SÉANCE DU 1o JANVIER 1793. - Présidence de Treilhard.

Un secrétaire fait lecture du procès-verbal d'une des dernières séances. (Il fait mention de la lettre par laquelle le ministre de l'intérieur annonce qu'il a été mis un embargo sur un bâtiment français chargé de farine.)

Kersaint. Je demande la parole à l'occasion de ce procès-verbal. L'assemblée ne peut pas être plus long-temps indifférente sur tout ce qui se passe en Angleterre. Il faut qu'enfin nous réveillons la nation sur le danger que courent ses départemens maritimes. Le comité diplomatique m'a chargé de vous faire un rapport sur la lettre du ministre de l'intérieur, que vous lui avez renvoyée. Je demanderai ensuite la parole pour présenter mes réflexions particulières.

Deux vaisseaux chargés de blé, l'un destiné pour Bayonne, l'autre pour Brest, ont été arrêtés daus la Tamise par ordre du gouvernement britannique. Vos comités, qui ont examiné la nature de cet événement, ont pensé qu'il ne fallait prendre aucun parti avant que le ministre des affaires étrangères eût fait les réclamations d'usage. Ils vous proposent de renvoyer cette lettre au pouvoir exécutif.

La proposition de Kersaint est adoptée.

Kersaint. Je diviserai le résultat de mes réflexions sur cette importante matière en deux parties : dans la première j'essaierai de pénétrer et de dévoiler les intentions du ministère anglais; dans la seconde j'aborderai hardiment les conséquences de la guerre dont on nous menace.

Si le cabinet de Saint-James vous déclare la guerre, vous découvrirez la coalition des puissances maritimes, et vous pouvez d'avance compter que vous aurez à les combattre toutes à la fois : mais ce n'est pas de leur nombre ou de leur désir de nous nuire que je doute, c'est de leur pouvoir. Les gouvernemens d'Angleterre, d'Espagne, de Hollande, de Russie et de Portugal sont vos ennemis, car ils sont despotiques. Arrêtons-nous au plus puissant; car il exerce son empire sur un peuple qui naguère

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jouissait de quelque liberté, et ce seul avantage dans le temps de notre servitude l'avait rendu redoutable: voyons ce que peut le gouvernement anglais; démêlons ses desseins, et découvrons le but qu'il se propose. J'aperçois dans ses mouvemens trois intérêts distincts, également étrangers au peuple anglais : la haine du roi contre les Français, et ses craintes pour sa couronne, seul motif de l'intérêt qu'il a manifesté pour Louis XVI; cet intérêt est fortifié par celui des nobles et des épiscopaux, nos ennemis naturels : les inquiétudes du premier ministre Pitt, maître absolu de l'Angleterre depuis huit ans, et que les orages d'une révolution ou ceux d'une guerre menacent également de sa chute, et ce parti tient à l'autre par l'aristocratie de la finance et les nombreux agens du gouvernement; la guerre formera la coalition de ces deux intérêts, et telle est leur force qu'ils entraîneront l'Angleterre : l'ambition et le génie de Fox, et les intrigues de son parti, cherchant à profiter des circonstances pour s'emparer du gouvernement, flattant avec adresse les diverses espérances des réformations qu'il croyait propres à agiter le peuple anglais, espérances que la seule idée de révolution a changées en craintes ; et ce motif, échappant aux chefs de l'opposition, les a laissés à la merci du gouvernement, juste châtiment et exemple mémorable qui doit avertir les hommes libres du danger de l'intrigue. La cause de cet événement, qui sera peut-être fatale au monde, est dans le caractère de ce célèbre orateur, qui soutient par son génie la réputation d'un parti, dernier et frêle appui des défenseurs de la liberté en Angleterre. Ami des droits de l'homme et flatteur du roi, frondeur du gouvernement et superstitieux admirateur de la constitution britannique, aristocrate populaire, royaliste démocrate, Fox n'a qu'un but, celui de s'élever sur les ruines de son rival, et de se venger une fois de tant de défaites parlementaires non moins fatales à ses intérêts qu'à sa gloire.

Son prudent adversaire a besoin en ce moment de toutes ses forces, car il faut à la fois qu'il défende sa popularité et son parti, évidemment aristocratique, la royauté et son pouvoir, évidemment.absolu; et si la guerre éclate, peut-il être sûr de con

server, malgré les événemens qui l'accompagneront, cette prépondérance qu'on lui dispute au sein même de la paix!

Il est un fait connu en Angleterre, et qu'une foule d'exemples a changé en axiome politique, c'est que le ministère qui y déclare la guerre ne la voit jamais finir. Pitt voit dans la guerre commune le terme de son autorité, Pitt ne veut donc pas la guerre. Mais que veut Pitt? que veulent les divers intéressés dans ce grand conflit? George III veut la guerre par passion; Fox veut entraîner le ministère dans de fausses démarches, et le contraindre à défendre les abus du gouvernement; Pitt espère sortir de ce mauvais pas en offrant sa médiation aux puissances belligérantes : Pitt a pour lui la force du gouvernement, dont toutes les branches sont entre les mains de ses créatures; il a pour lui la théorie de la corruption, son éloquence et la clef de la trésorerie. Nos transfuges et l'aristocratie qui l'environnent, le poussent aux deux partis qu'il paraît avoir embrassés, savoir, de nous arrêter dans le cours rapide de nos victoires sur terre par la crainte d'une guerre maritime, et de nous amener à des accommodemens avec nos ennemis à l'aide de sa médiation.

Pitt doit être naturellement séduit par ces idées, et les demilumières qu'il a sur notre situation lui en font regarder le succès comme certain; car nos agitations intérieures, le désordre apparent de nos délibérations législatives, la masse de nos dépenses, l'acharnement de nos partis, tous ces caractères extérieurs d'une des plus violentes crises qu'ait jamais éprouvées le corps politique d'aucune nation, il ne faut pas le dissimuler, sont trèspropres à fonder l'espoir auquel ce ministre s'abandonne. Il ignore que l'imminence du danger public nous réunira; il ignore que ces agitations dont on fait tant de bruit expriment l'excès de la force, et n'appartiennent jamais à un corps affaibli; que nos dépenses, quelque fortes qu'elles soient, ne sont rien si nous les comparons à nos ressources; que la France est là tout entière, et qu'il nous reste plusieurs milliards dont nous ne pouvons faire un meilleur usage que de les employer à fonder notre indépendance intérieure et extérieure; il ne sait pas que le nombre de

nos ennemis, loin de nous inspirer du découragement, déploiera notre activité, nos ressources, et qu'un peuple qui met en commun ses bras, son courage et sa fortune est invincible, qu'il ne saurait manquer de soldats et d'argent; enfin il ne sait pas que telle est notre position que nous ne devons plus compter nos ennemis, et qu'ils nous ont placés dans cette glorieuse nécessité de les vaincre ou de périr. Si l'Angleterre, sans motif, au mépris du droit des gens, nous déclare la guerre, Français, souvenez-vous de Cortès brûlant ses vaisseaux aux yeux de son armée débarquée sur les plages du Mexique!

Mais après avoir fixé votre attention sur l'état actuel du gouvernement britannique, permettez-moi de la ramener sur les dispositions du peuple anglais, car ce peuple n'est pas encore réduit à ce point de servitude qu'il faille le compter pour rien dans la supposition d'une rupture prochaine avec son gouvernement. Nous sommes accoutumés à désigner sous le nom générique d'Anglais trois peuples différens que la nature avait séparés, que la force a réunis, que l'intérêt divise sans cesse, et que les principes de notre révolution ont très-diversement affectés.

Le peuple anglais, comme tous les conquérans, a long-temps opprimé l'Écosse et l'Irlande; mais on doit remarquer que ces deux dernières nations, toujours inquiètes, et secrètement révoltées contre les injustices du peuple prépondérant, ont acquis à différentes époques des concessions qui leur ont laissé l'espoir de reconquérir leur entière indépendance. Je ne m'arrêterai point ici sur les circonstances qui différencient l'Irlande de l'Angleterre; chacun connaît son parlement, son vice-roi, et la sorte de liberté politique qu'elle s'est procurée à force ouverte pendant la guerre d'Amérique; mais ce qu'on sait moins ce sont les entraves que le parlement d'Angleterre continue de mettre au développement de l'industrie et du commerce d'Irlande, et sa constante opposition à l'affranchissement de ce commerce. La secte catholique se trouve encore soumise aux lois gothiques et barbares des siècles intolérans qui les ont vues naître, et, dans cette demindépendance, l'Irlandais semble tourner ses regards vers nous,

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