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religieuses que la loi a prises pour que le citoyen, même coupable, ne fût jamais frappé que par elle?

Citoyens, je vous parlerai ici avec la franchise d'un homme libre je cherche parmi vous des juges, et je n'y vois que des accusateurs!

Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et c'est vousmêmes qui l'accusez!

Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vous avez déjà émis votre vœu !

Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vos opinions parcourent l'Europe!

Louis sera donc le seul Français pour lequel il n'existera aucune loi ni aucune forme !

Il n'aura ni les droits de citoyen, ni les prérogatives de roi ! Il ne jouira ni de son ancienne condition, ni de la nouvelle! Quelle étrange et inconcevable destinée !

Mais je n'insiste pas sur ces réflexions; je les abandonne à votre conscience; je ne veux pas défendre Louis seulement avec des principes; je veux combattre les préventions qui se sont élevées sur ses intentions ou son caractère; je veux les détruire. Je vais donc vous présenter sa justification, et j'entre dans la discussion des faits que votre acte d'accusation énonce.

Je divise cet acte en deux parties.

Je vais d'abord parcourir les faits qui ont précédé la Constitution.

J'examinerai ensuite ceux qui l'ont suivie.

Discussion des faits. - Première partie. Faits antérieurs à l'acceptation de la Constitution.

Citoyens, vous remontez dans votre acte jusqu'au mois de juin de l'année 1789; j'y remonte aussi.

Et comment avez-vous pu accuser Louis d'avoir voulu, le 20 juin, dissoudre l'assemblée des représentans de la nation? Oubliez-vous donc que c'était lui qui l'avait formée?

Oubliez-vous que, depuis plus de cent cinquante années, des

princes, plus jaloux que lui de leur pouvoir, s'étaient toujours refusés à la convoquer, qu'il en avait eu seul le courage, que seul il avait osé s'environner des lumières et des consolations de son peuple, et n'avait pas redouté ses réclamations?

Oubliez-vous tous les sacrifices qu'il avait faits avant cette grande convocation nationale, tout ce qu'il avait retranché à sa puissance pour l'ajouter à notre liberté, cette satisfaction si vive qu'il témoignait à nous voir jouir du bien si précieux que luimême nous accordait?

Citoyens, nous sommes bien loin aujourd'hui de ce momentlà : nous l'avons trop effacé de notre mémoire; nous ne songeons pas assez à ce qu'était la France en 1787, à l'empire que l'autorité absolue exerçait alors, à la crainte respectueuse qu'elle imprimait : nous ne réfléchissons pas que, sans un mouvement généreux de la volonté de ce prince, contre lequel aujourd'hui tant de voix s'élèvent, la nation n'eût pas même été assemblée ! Et croyez-vous que le même homme qui avait eu spontanément cette volonté, si hardie tout à la fois et si noble, cût pu en avoir un mois après une si différente!

Vous lui reprochez les agitations du mois de juillet, les troupes cantonnées autour de Paris, les mouvemens de ces troupes. Je pourrais vous dire que Louis a bien prouvé alors qu'il n'avait pas les intentions qu'on lui supposait.

Je pourrais vous dire que les troupes cantonnées autour de Paris n'étaient commandées que pour défendre Paris même des agitateurs; que, loin d'avoir reçu l'ordre de s'opposer à la résistance des citoyens, elles avaient reçu au contraire celui de s'arrêter devant eux ; que j'ai vu moi-même cet ordre lorsque j'ai eu occasion de défendre le général de ces troupes (Bezenval), accusé alors du crime de lèse-nation, et que la nation n'a pas balancé d'absoudre.

Mais j'ai une réponse encore meilleure à vous faire, et c'est la nation elle-mème qui me l'a fournie.

Je vois, le 4 août, la nation entière proclamer Louis le restaurateur de la liberté française, lui demander de s'unir à elle pour

porter ensemble l'hommage de leur mutuelle reconnaissance à l'Étre suprême, et voter une médaille pour perpétuer à jamais le souvenir de cette grande époque.

Je ne retrouve plus pour Louis le mois de juillet.

Vous lui avez reproché l'arrivée du régiment de Flandre à Versailles : les officiers municipaux l'avaient demandé.

L'insulte faite à la cocarde nationale: Louis vous a répondu lui-même que si ce fait odieux avait existé, ce qu'il ignorait, il ne s'était pas passé devant lui.

Ses observations sur les décrets du 11 août, c'était sa conscience qui les lui dictait.

Et comment n'aurait-il pas eu alors la liberté de son opinion sur les décrets, puisque la nation lui a donné depuis le droit de s'opposer aux décrets eux-mêmes?

Vous lui avez reproché les événemens des 5 et 6 octobre.

Citoyens, il n'y a ici qu'une réponse qui convienne à Louis, c'est de ne pas rappeler ces événemens.

J'aime bien mieux moi-même vous rappeler le beau mouvement de Louis vers l'assemblée nationale, le 4 février, et celui de l'assemblée vers Louis.

J'aime mieux vous rappeler qu'au mois de juillet suivant les représentans du peuple constituèrent eux-mêmes Louis le chef de la fédération nationale; et sans doute une marque de confiance aussi éclatante justifie bien l'opinion qu'ils avaient de lui.

Vous dites que depuis cette fédération Louis a essayé de corrompre l'esprit public; qu'on a trouvé chez lui des mémoires dans lesquels Talon était présenté comme destiné à agir dans Paris, et Mirabeau comme chargé d'imprimer un mouvement contrerévolutionnaire dans les provinces ; qu'on y avait trouvé aussi des lettres de l'administrateur de sa liste civile, qui parlent d'argent répandu, et qui disaient que cet argent n'avait rien produit. Vous lui opposez ces mémoires et ces lettres.

Citoyens, j'ai ici plusieurs réponses à vous faire.

D'abord, si je défendais un accusé ordinaire dans les tribu

naux, je soutiendrais que des pièces qu'on n'aurait pu se procuter

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contre lui que par l'invasion de son domicile ne peuvent pas lui

être opposées.

J'observerai que, dans les sceliés mêmes que la justice fait apposer sur les papiers de tout accusé, on n'a jamais fait l'inventaire des pièces que les scellés pouvaient renfermer qu'en présence de l'accusé qui en était l'objet.

J'ajouterai qu'autrement rien ne serait plus facile à des malveillans ou à des ennemis que de glisser sous les scellés des pièces capables de compromettre un accusé, et d'en retirer qui le justifiassent.

Enfin je dirai que, sans cette forme sacrée de la nécessité de la présence de tout accusé à tout inventaire de pièces existantes ou saisies dans son domicile, l'honneur de tout citoyen serait tous les jours exposé au péril le plus imminent, ainsi que sa liberté.

Or, cette défense, que j'aurais le droit de faire valoir en faveur de tout accusé, j'ai bien le droit sans doute de la faire valoir en faveur de Louis.

Le domicile de Louis a été envahi; ses armoires ont été forcées; ses secrétaires ont été brisés; une grande partie de ses papiers a été dispersée ou perdue ; la loi ne les a point placés sous sa sauvegarde; il n'y a point eu de scellés; il n'y a point eu d'inventaire fait avec Louis; on a pu, pendant le tumulte de l'invasion, égarer ou enlever des pièces, on a pu égarer surtout celles qui auraient expliqué celles qu'on oppose; en un mot, Louis n'était pas là quand on s'est saisi de ces pièces; il n'a point assisté au rassemblement qu'on en a fait, il n'a point assisté à leur examen, il a donc le droit de ne pas les reconnaître, et on n'a pas celui d'en argumenter contre lui. Mais d'ailleurs quelles sont donc ces pièces?

Ce sont d'abord des lettres d'un homme mort.

Mais des lettres d'un homme mort peuvent-elles faire ici une preuve?

Si celui à qui on les a imputées existait encore, on ne pourrait pas les lui opposer à lui-même avant d'avoir vérifié la fidélité de son écriture: comment pourrait-on les opposer à un tiers? comment pourrait-on les opposer à Louis?

On dit que ces lettres parlent d'argent répandu.

Mais quand ce fait, que les lettres elles-mêmes n'expliquent pas, ou dont elles ne disent pas le motif, serait vrai; quand on aurait abusé de la bienfaisance de Louis; quand, sous prétexte d'intentions droites, et en lui présentant un grand bien à faire, on lui aurait arraché des sommes plus ou moins fortes, ne sait-on pas avec quel art on trompe les rois? Les rois savent-ils la vérité, la connaissent-ils? Ne sont-ils pas toujours entourés de piéges? N'est-on pas sans cesse occupé à s'approprier ou leur puissance, ou leurs trésors, et souvent même à leur préjudice, et seront-ils convaincus de corruption par cela seul que des hommes importuns ou intrigans auront provoqué ou harcelé en quelque sorte leur munificence?

On parle d'un mémoire adressé à Louis, et dans lequel Mirabeau est peint, dit-on, comme disposé à imprimer un mouvement contre-révolutionnaire dans les provinces.

Mais un roi peut-il donc répondre des mémoires qu'on lui présente? Peut-il en vérifier les allégations? peut- en constater les faits?

Quelle serait donc la malheureuse condition des rois, si on les chargeait ainsi de tous les soupçons que pourraient exciter les réclamations même qu'on leur adresse?

Citoyens, Mirabeau a joui pendant toute sa vie publique d'une popularité qu'on peut dire immense.

Cette popularité a survécu même à sa mort.

On attaque aujourd'hui sa mémoire; mais une voix s'élève pour la défendre devant la nation: il faut donc attendre que la nation ait entendu et prononcé.

Au fond, toutes ces lettres, tous ces mémoires, tous ces écrits, qu'offrent-ils de personnel à Louis? Il n'y a pas une seule circonstance qui en sorte pour l'accuser; il n'existe pas seulement. l'ombre d'une preuve qu'il ait accueilli, ou les plans qu'on lui a présentés, ou les propositions qu'on lui a faites. Les apostilles qu'on remarque sur les mémoires ne portent que la date et le nom de l'auteur; il n'en résulte rien qui puisse faire connaître

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