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loi

que vous puissiez m'appliquer, vous voulez en faire une pour moi tout seul!

Certes il n'y a pas aujourd'hui de puissance égale à la vôtre; mais il y en a une que vous n'avez pas; c'est celle de n'être pas justes!

Citoyens, je ne connais pas de réponse à cette défense.
On en oppose cependant.

On dit que la nation ne pouvait pas, sans aliéner sa souveraineté, renoncer au droit de punir autrement que par les peines de la Constitution les crimes commis contre elle.

Mais c'est là une équivoque qu'il est bien étonnant qu'on se soit permise.

La nation a pu se donner à elle-même une loi constitutionnelle. Elle n'a pas pu renoncer au droit de changer cet e loi, parce que ce droit était dans l'essence de la souveraineté qui lui appartenait; mais elle ne pourrait pas dire aujourd'hui, sans soulever contre elle les réclamations de l'univers indigné: - Je ne veux pas exécuter la loi que je me suis donnée à moi-même, malgré le serment solennel que j'avais fait de l'exécuter pendant tout le temps qu'elle subsisterait.

Lui prêter ce langage, ce serait insulter à la loyauté nationale et supposer que, de la part des représentans du peuple français, la Constitution n'a été que le plus horrible de tous les piéges!

On a dit aussi que si les délits dont Louis était accusé n'étaient pas dans l'acte constitutionnel, tout ce qu'on pouvait en conclure, c'est qu'il pouvait être jugé par les principes du droit naturel, ou par ceux du droit politique.

A cette objection, je réponds deux choses:

La première, c'est qu'il serait bien étrange que le roi ne jouît pas lui-même du droit que la loi accorde à tout citoyen, celui de n'être jugé que d'après la loi, et de ne pouvoir être soumis à aucun jugement arbitraire;

La seconde, c'est qu'il n'est pas vrai que les délits dont on accuse Louis ne soient pas dans l'acte constitutionnel.

Qu'est-ce en effet en masse qu'on lui reproche?

C'est d'avoir trahi la nation en coopérant de tout son pouvoir à favoriser les entreprises qu'on a pu tenter pour renverser la Constitution.

Or, ce délit se place évidemment sous le second chef de l'article 6, qui concerne le cas où le roi ne s'opposera pas à une entreprise faite sous son nom.

Mais si le délit porté par le premier chef du même article, qui est celui d'une guerre faite à la nation à la tête d'une armée, et qui est bien plus grave que le second, n'est puni lui-même que par l'abdication présumée de la royauté, comment pourrait-on imposer une peine plus forte au délit moins grave?

Je cherche les objections les plus spécieuses qu'on ait élevées; je voudrais pouvoir les parcourir toutes.

Je ne parle pas de ce qu'on a dit que Louis avait été jugé en insurrection.

Et la raison et le sentiment se refusent également à la discus- sion d'une maxime destructive de toute liberté et de toute justice, d'une maxime qui compromet la vie et l'honneur de tout citoyen, et qui est contraire à la nature même de l'insurrection.

Je n'examine point en effet les caractères qui peuvent distinguer les insurrections légitimes ou celles qui ne le sont pas, les insurrections nationales ou les insurrections seulement partielles ; mais je dis que, par sa nature, une insurrection est une résistance subite et violente à l'oppression qu'on croit éprouver, et que, par cette raison même, elle ne peut pas être un mouvement réfléchi, ni par conséquent un jugement.

Je dis que, dans une nation qui a une loi constitutionnelle quelconque, une insurrection ne peut être qu'une réclamation à cette loi, et la provocation d'un jugement fondé sur les dispositions qu'elle a consacrées.

Je dis enfin que toute constitution, républicaine ou autre, qui ne portera pas sur cette base fondamentale, et qui donnera à l'insurrection seule, n'importe sa nature ou son but, tous les caractères qui n'appartiennent qu'à la loi elle-même, ne sera qu'un

édifice de sable que le premier vent populaire aura bientôt renversé.

Je ne parle pas non plus de ce qu'on a dit que la royauté était un crime, parce qu'on a dit que c'était une usurpation.

Le crime ici serait de la part de la nation, qui aurait dit : Je t'offre la royauté, et qui se serait dit à elle-même : Je te punirai de l'avoir reçue.

Mais on a objecté que Louis ne pouvait pas invoquer la loi constitutionnelle, puisque cette loi il l'avait violée.

D'abord on suppose qu'il l'a violée, et je prouverai bientôt le contraire.

Mais ensuite la loi constitutionnelle a prévu elle-même sa violation, et elle n'a prononcé contre cette violation d'autre peine que l'abdication présumée de la royauté.

On a dit que Louis devait être jugé en ennemi.

Mais n'est-ce pas un ennemi, celui qui se met à la tête des armées contre sa propre nation! Et cependant, il faut bien le redire puisqu'on l'oublie, la Constitution a prévu ce cas et a fixé la peine.

On a dit que le roi n'était inviolable que pour chaque citoyen, mais que de peuple à roi il n'y avait plus de rapport naturel.

Mais en ce cas les fonctionnaires républicains ne pourraient donc pas réclamer eux-mêmes les garanties que la loi leur aurait données.

Les représentans de la nation seront donc plus inviolables contre le peuple pour ce qu'ils auront dit ou fait en leur qualité de représentans?... Quel inconcevable système !

On a dit encore que, s'il n'existait pas de loi qu'on pût appliquer à Louis, c'était à la volonté du peuple à en tenir lieu. Citoyens, voici ma réponse.

Je lis dans Rousseau ces paroles:

‹ Là où je ne vois ni la loi qu'il faut suivre, ni le juge qui doit › prononcer, je ne peux pas m'en rapporter à la volonté générale; la volonté générale ne peut, comme générale, prononcer › ni sur un homme, ni sur un fait (1).

(1) Contrat social, article IV.

Un tel texte n'a pas besoin d'être commenté.

J'arrête ici cette longue suite d'objections que j'ai recueillies de tous les écrits qu'on a publiés, et qui, comme on voit, ne détruisent pas mes principes.

Mais au surplus il me semble que, quelque chose qu'on ait dite ou qu'on puisse dire contre l'inviolabilité prononcée par l'acte constitutionnel, on ne pourra jamais en tirer que l'une ou l'autre de ces deux conséquences: ou que la loi ne doit pas être entendue dans le sens absolu qu'elle nous présente, ou qu'elle ne doit pas être exécutée.

Or, sur le premier point je réponds qu'en 1789, lorsqu'on discuta cette loi dans l'assemblée constituante, on proposa alors tous les doutes, toutes les objections, toutes les difficultés qu'on renouvelle aujourd'hui ; c'est un fait qu'il est impossible de contester, qui est consigné dans tous les journaux d'alors, et dont la preuve est dans les mains de tout le monde ; et cependant la loi fut adoptée telle qu'elle est écrite dans l'acte constitutionnel.

Donc on ne peut pas aujourd'hui l'entendre dans un autre sens que celui que cet acte lui-même présente.

Donc on ne peut plus se prêter aux distinctions par lesquelles on voudrait se permettre de changer l'intention de la loi, ou la travestir.

Donc on ne peut pas restreindre l'inviolabilité absolue qu'elle prononce à une inviolabilité relative ou modifiée.

Je réponds sur le second point, que la loi de l'inviolabilité fûtelle déraisonnable, absurde, funeste à la liberté nationale, il faudrait toujours l'exécuter jusqu'à ce qu'elle fût révoquée, parce que la nation l'a acceptée en acceptant la Constitution, parce que cependant elle a justifié ses représentans de l'erreur même qu'on leur reproche, et parce qu'enfin, ce qui ne permet plus d'objections, elle a fait serment de l'exécuter tant qu'elle existerait.

La nation peut sans doute déclarer aujourd'hui qu'elle ne veut plus du gouvernement monarchique, puisqu'il est impossible que ce gouvernement puisse subsister sans l'inviolabilité de son chef;

T. XXII.

elle peut renoncer à ce gouvernement à cause de cette inviolabilité même ; mais elle ne peut pas l'effacer pour tout le temps que Louis a occupé le trône constitutionnel. Louis était inviolable tant qu'il était roi : l'abolition de la royauté ne peut rien changer à sa condition; tout ce qui en résulte c'est qu'on ne peut plus lui appliquer que la peine de l'abdication présumée de la royauté; mais par cela seul on ne peut donc pas lui en appliquer d'autre.

Ainsi concluons de cette discussion que là où il n'y a pas de loi que l'on puisse appliquer, il ne peut y avoir de jugement; et que là où il ne peut pas y avoir de jugement, il ne peut pas y avoir de condamnation prononcée.

Je parle de condamnation! Mais prenez donc garde que si vous ôtiez à Louis l'inviolabilité de roi, vous lui devriez au moins les droits de citoyen; car vous ne pouvez pas faire que Louis cesse d'être roi quand vous déclarez vouloir le juger, et qu'il le redevienne au moment de ce jugement que vous voulez rendre.

Or, si vous voulez juger Louis comme citoyen, je vous demanderai où sont les formes conservatrices que tout citoyen a le droit imprescriptible de réclamer!

Je vous demanderai où est cette séparation des pouvoirs sans laquelle il ne peut pas exister de constitution ni de liberté?

Je vous demanderai où sont ces jurés d'accusation et de jugement, espèce d'otages donnés par la loi aux citoyens pour la garantie de leur sûreté et de leur innocence?

Je vous demanderai où est cette faculté si nécessaire de récusation qu'elle a placée elle-même au-devant des haines ou des passions pour les écarter?

Je vous demanderai où est cette proportion de suffrages qu'elle a si sagement établie pour éloigner la condamnation ou pour l'adoucir?

Je vous demanderai où est ce scrutin silencieux qui provoque le juge à se recueillir avant qu'il prononce, et qui enferme, pour ainsi dire, dans la même urne et son opinion et le témoignage de sa conscience?

En un mot, je vous demanderai où sont toutes ces précautions

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