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ramener le calme et la paix. C'est ainsi que vous déjouerez les projets des factieux, qui ne pourront plus, à l'aide des altroupemens, demander le rapport du décret. On a mal fait, à mon avis, de diviser le décret du bannissement de la famille royale pour excepter un homme. Mais je demande le rapport du décret qui a été rendu, et l'ajournement du tout jusqu'après le jugement du roi.

Kersaint. Je ne parlerai pas de la proposition qui vient d'être faite de rapporter le décret le plus solennel que vous ayez rendu. (On murmure dans les tribunes et dans une partie de la salle.)

N... Nous quitterons Paris, si nous n'y sommes pas libres. Rabaud. Je demande que le niembre qui vient de parler soit rappelé à l'ordre.

Kersaint. Voulez-vous que l'Europe sache que nous ne sommes pas libres d'énoncer nos opinions? Je demande enfin que cette tyrannie cesse, que nous continuions nos travaux, et que nous mettions enfin un terme à ce scandale, et de l'ordre dans nos délibérations.

L'assemblée reprend la discussion sur l'affaire de PhilippeÉgalité.

Lanjuinais. Étranger à tous les partis, isolé de toutes les sociétés, n'en connaissant d'autre que la Convention nationale, je vais vous présenter une opinion libre et pure de toute influence. La motion qu'il s'agit de discuter aujourd'hui a été, dit-on, inopinée; mais non, pas tant inopinée, puisqu'il y a quinze jours que la Convention a décrété qu'elle s'occuperait de la famille des Capet. J'envisage d'abord la question sous un point de vue général : une première observation, c'est qu'il ne s'agit point ici d'ostracisme; car l'ostracisme, par sa nature, est applicable à toute espèce d'individus. Ici, au contraire, on vous propose une mesure de sûreté générale, qui ne peut avoir lieu que dans la circonstance unique où un état monarchique se change en un état républicain, et qui ne peut se répéter. L'ostracisme est une loi commune à tous les citoyens, qui peut indistinctement frapper sur tous; celle-ci ne peut tomber que sur les citoyens royaux. 26

T. XXI.

Ne cherchons donc pas si l'ostracisme sera une loi de la républi que française ; il n'est pas question de cela, et c'est parce qu'il n'en est pas question qu'il ne faut s'occuper que des individus la royaux. La République est déclarée; nous voulons, nous, conserver; nous rejetons également les rois, les royalistes, les aspirans à la royauté, en un mot tout ce qui tient au royalisme. Nous devons éloigner tous les individus que des prétentions héréditaires pourraient rendre dangereux : cette mesure est le complément essentiel du décret qui a changé la monarchie en république; il n'y a aucune raison de l'ajourner, car elle est le remède efficace d'un mal présent; elle éteint les défiances qui nous divisent; elle déjoue les factions au-dedans, elle étonne et altère nos ennemis au-dehors, elle dissipe la famine, elle écrase l'anarchie, elle anime de plus en plus le courage des peuples contre leurs tyrans.

Ne dites point: Mais les individus de la race royale n'ont fait aucun mal; quelques-uns même ont servi la révolution. Ils n'ont fait aucun mal! ils ont par cela même une influence plus redoutable. Mais nous n'entendons pas les punir; nous ne voulons qu'assurer la tranquillité publique, et nous prémunir contre la superstition du royalisme, qui exerce depuis trois ans, parmi nous, ses ravages. Quelques-uns ont servi la cause de la révolution! Je n'examinerai point si ce n'était pas plutôt la cause de leur ambition, de leur haine et de leur vengeance. J'écarte ces pensées ; mais le danger est-il moins réel? Mais Collatin n'avait-il pas aussi servi la cause de la liberté? On a dit: Ne comparez pas la France avec une petite république de quinze lieues. Comment ne s'est-on pas ressouvenu d'un grand fait qui a paru passer comme principe? Il est vrai que la République n'est pas dans Paris, quoique cette ville agisse souvent comme si elle était la République entière. Mais n'a-t-on pas posé en principe qu'une ville aurait le droit d'exercer l'initiative de l'insurrection? Je n'ai pas besoin d'examiner la question de droit ; vous rejetez tous ce principe affreux. Non, aucune ville n'a le droit d'avoir une pareille initiative; mais Paris a, dans le fait, la faculté de l'exer

cer; et quelques indices, quelques mouvemens peuvent faire craindre qu'il ne soit tenté d'en user.

J'examine maintenant la question particulière à Philippe, dit Égalité. Où reposera-t-il sa tête? vous a-t-on dit. A l'orient, à l'occident; toute la terre lui est ouverte. Ce sont donc des individus bien difficiles à placer, ces individus royaux, si les quatre coins du monde ne leur suffisent pas ! Je connaissais le bon esprit de quelques personnes qui approchent de Philippe Capet; je complai sur une démission ; il s'était même répandu qu'elle viendrait on a adopté un autre système. Mais j'examine la question telle qu'elle a été présentée. L'individu de la race royale, nommé représentant du peuple, peut-il, sans violation des principes, être compromis dans l'expulsion de cette même race? D'abord je demanderai pourquoi non? Quel est ici le principe? Il n'y en a point d'autre que le salut public. Ce qu'il exige, c'est tout ce qui est nécessaire, tout ce qui est possible. Il n'y en a point d'autre que la nécessité de conserver la tranquillité publique dans ces momens d'orage, et dans cette ville surtout qui est en possession de donner l'impulsion à la France, et qui prétend presque en avoir le droit. Le représentant peut se démettre sans consulter ni la section qui l'a nommé, ni l'assemblée dont il est membre: donc il est vrai qu'il n'y a rien d'essentiel à la représentation nationale dans la présence de tel ou tel individu, c'est la Convention nationale qui est essentielle à la République, mais non un individu de la Convention... (Une voix s'élève duns l'extrémité : Quel galimatias! Lanjuinais reprend.) mais non un individu de la Convention, ni même celui qui m'interrompt: si l'individu représentant se démet, ou s'il est jugé coupable, il suffit que son suppléant soit admis pour que la représentation nationale ne perde rien de son intégrité.

Mais par quel mode ordonneriez-vous sa retraite? Par le même qui est adopté pour faire les lois; car à certains égards c'est une loi de l'état, mais une loi provisoire, que la retraite ordonnée d'un individu. Comme il n'est pas possible que la nation s'exprime aussi promptement que le danger peut être urgent; comme

il est même impossible qu'elle s'entende sur une loi réglemen→ taire, telle que le retranchement d'un individu, c'est par sa représentation qu'elle exerce ce droit. Je me souviens que l'astucieux Mirabeau a le premier exagéré dans cette matière, qu'il a même égaré l'opinion; il fut le premier qui soutint que l'assemblée nationale n'avait pas le droit d'exclure un de ses membres. Il pouvait avoir besoin de cette doctrine; mais pour qui l'employait-il? pour maintenir dans l'assemblée nationale un Faucigny, un Maury, les ennemis mortels de la liberté, les éternels perturbateurs de l'assemblée constituante. Voyez la belle conséquence de ce principe!

Il faut être très réservé, j'en conviens, quand il s'agit d'exclure un représentant. Mais la doctrine de Mirabeau est fausse par cela même qu'elle est une doctrine absolue qui ne veut point souffrir d'exceptions; les principes universels sont presque tous d'universelles faussetés. S'il est vrai que vous ayez le droit et le devoir de vous rassembler, vous avez donc le droit de retrancher un individu qui s'opposerait à votre rassemblement, et qui le troublerait sans cesse ; s'il existait un homme qui ne fût assidu à vos séances que pour troubler toutes vos délibérations, si sa présence excitait des méfiances qui entravassent votre marche; s'il était à la tête d'un parti qui aurait pour objet d'avilir votre autorité, alors, après quelques actes de sévérité correctionnelle, n'auriez-vous pas le droit de retrancher de votre sein cet individu? et ne le devriez-vous pas sous peine de trahir vos devoirs?

Si vous n'aviez pas ce droit, il dépendrait donc d'un individu de priver la nation de sa représentation? Par un décret d'accusation, vous savez vous priver d'un de vos membres. Le seul motif de la sûreté d'une famille, ou même d'un individu, suffit pour rendre ce décret : et vous hésiteriez lorsqu'il s'agit du salut de la liberté, du salut de la République! Non, vous n'écouterez pas ces insidieuses subtilités de Mirabeau, si scandaleusement panthéonisé par l'assemblée constituante; vous conserverez le principe dans toute son étendue. Et il n'est pas à craindre que l'assemblée entière des représentans puisse en abuser : elle restera

plutôt au-dessous de ses devoirs; peut-être a-t-elle déjà trop tardé. Mais ici la circonstance est sans comparaison, sans exemple et sans conséquence; ainsi il n'y a pas d'objection raisonnable à faire sur le retranchement de l'individu dont il s'agit.

Mais ressouvenez-vous de cette effroyable lutte d'une cinquantaine de membres contre toute l'assemblée. Rien d'extraordinaire n'était préparé pour ce jour. On vous l'a dit, la motion était inopinée; rien n'était préparé, ni dans l'assemblée ni dans les tribunes; et les cris, les murmures, les trépignemens, les bravos, les huées de certaines tribunes, affligèrent tous les bons citoyens; et cependant les signaux ordinaires du tumulte furent donnés aux affidés, les injures, même les plus grossières, les plus ordurières, furent vomies par les tribunes contre la majorité de l'assemblée : je l'ai vu de mes yeux, je l'ai entendu. Que s'est-il passé depuis? les groupes, les attroupemens, ont commencé dès le lendemain ; ils ont continué, et ils étaient dirigés ouvertement contre votre décret. (Quelques rumeurs s'élèvent dans une tribune.)

N... Je demande que le procès-verbal de la séance soit imprimé, et qu'on y énonce les mouvemens des tribunes, afin que nos départemens voient comment on nous respecte à Paris.

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Kersaint. Il n'y a que quelques particuliers, quelques mauvais citoyens, qui font du tumulte. La grande majorité des tribunes est dans des sentimens purs, et pleine de respect pour la Convention. (Cela est vrai, s'écrient plusieurs membres, nous en sommes certains. Les tribunes applaudissent.) Je demande que le président invite les tribunes, au nom de la Convention, à faire ellesmêmes la police; je suis persuadé qu'elles sentiront que le plus grand des malheurs qu'elles pourraient appeler sur la ville de Paris serait d'en éloigner les représentans du peuple.

La proposition de Kersaint est adoptée.

Le président prononce le décret. - Le silence se rétablit.

Lanjuinais. On a essayé d'influencer cette assemblée de la manière la plus audacieuse; on a dit : « Écoutez-moi, ou me poignardez ! Je dis que ces discours sont les preuves certaines des grands efforts que l'on fait pour influencer vos délibérations.

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